Bonjour,voilà déjà huit mois que je travaille à mis-temps dans une bibliothèque dans le cadre d'un CES. Dans un premier temps j'ai eu très peur de ne pas réussir à me lever le matin pour aller travailler, peur aussi de ne pas tenir le coup dans la durée car mon contrat doit durer un an, peur enfin que ce qu'on me demande soit trop difficile pour moi et de ne pas répondre aux attentes, en dernier lieu peur de mettre une mauvaise ambiance dans l'équipe.
Avec le recul, je peux dire que j'ai réussi à être imbattable sur les horaires, bien plus d'ailleurs que ce que l'on attendait de moi et pour l'instant aussi je continue de tenir le coup. Quelques fois la semaine est longue mais ce qui me porte surtout c'est d'avoir du temps pour moi en plus de mon travail. Que j'aime ces petits matins calmes, après une bonne nuit, lorsque j'ai une heure devant moi pour écouter la radio et boire mon thé tranquillement, je profite aussi souvent du trajet pour aller prendre un café en ville, la pluspart du temps dans un bar tabac enfumé.
Le travail que l'on m'a demandé de faire s'est révélé tout à fait à ma portée, je me suis découvert un esprit organisé et efficace et là encore j'ai dépassé les attentes. Je réalise cependant qu'en partie ce n'est pas pour mes capacités que j'ai été recruté (vu la complexité du travail que l'on m'a demandé) mais plutôt parce que ma chef pensait qu'un jeune mettrait une meilleure ambiance dans l'équipe. Aussi c'est surtout là que pour moi a été la difficulté car je suis facilement orgueilleux et dans leurs relations de travail mes collègues se tutoient et se traitent en amis, les marques de hiérarchie se trouvent ailleurs, dans les détails.
C'est en partie là que j'ai déçu car, je le savais avant de m'engager, je mets souvent une mauvaise ambiance dans les groupes auxquels je suis mélé (c'est d'ailleurs en partie pour cette raison que j'ai arrêté mes études). Connaissant mes faiblesses je me suis attelé à bien faire mon travail et à être irréprochable sur la politesse. Tout s'est bien passé au début, ma chef me trouvait "drôle", "curieux", "exotique" et je suis un peu devenu sa "chose" mais avec le temps mes défauts sont ressortis et j'ai eu peur qu'elle ne me prenne en grippe. Ainsi elle a pu me dire un jour : "On s'en fout des handicapés", sachant que je suis reconnu travailleur handicapé et que c'est, en partie, pour cette raison qu'elle m'a recruté.
Les gens ne comprennent pas pourquoi je suis reconnu travailleur handicapé parce que, à part mon côté exotique et mes 300mg de solian, je n'ai ni fauteuil roulant, ni jambe dans le plâtre. Pour cette raison, j'ai eu l'impression que ma chef a eu le sentiment de s'être faite avoir en m'embauchant parce qu'elle croit que j'ai exploité le système au maximum. C'est difficile à supporter pour moi ce sentiment d'être un tricheur, une sorte d'usurpateur. J'ai l'impression de ne pas avoir servi la cause des handicapés avec mon orgueil, mes problèmes de communication et aussi le fait de n'avoir aucun symptôme.
Aujourd'hui, j'approche de la fin de mon contrat, je peux témoigner que je continue d'adorer mon travail, j'avoue que je n'ai jamais été aussi heureux depuis bien longtemps, grace aux personnes que j'ai rencontré, grace au sentiment d'être utile, de rendre service et puis tout simplement de pouvoir aller à la banque en sachant que j'ai un travail et un salaire, de faire un peu plus partie de la société, d'être un citoyen, de ne plus m'interroger sur le regard des gens dans la rue ou lorsque je prends le train. Mon travail me donne de l'aplomb et un sentiment de sécurité.
Maintenant, si j'en crois Freud, une vie réussie c'est : "aimer et travailler". J'ai rencontré de nombreuses filles dans mon travail mais je ne suis pas encore prêt à me laisser aller vers l'une d'elle, peur de moi, peur de faire mal, peur de la fille aussi et puis je n'ai pas envie de mentir et de me cacher pour prendre mes cachetons. J'attends d'être un peu plus dans l'abondance pour aller vers l'une d'elle, de telle sorte que je sois capable de donner et aussi de recevoir. C'est bête et banal, c'est tout ce que j'ai trouvé, je voudrais juste être un homme.
Bien à vous,
Oz