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"Je cherche à comprendre"

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cilloux (2292 messages) Envoyer message email à: cilloux Envoyer message privé à: cilloux Voir profil de ce membre Voir addresse IP de cet auteur
17-03-04, 16:57  (GMT)
"Je cherche à comprendre"
Bonjour chers médecins et tout ça,

voilà j'aimerais comprendre comment on peut garder son sang-froid face à ce qui fait peur chez un malade (convulsions, déformations du visage, pertes de conscience etc...).

J'imagine que vous avez tous eu des chocs dans votre carrière.

Je connais un peu la méthode des pompiers, chez eux c'est très technique, ils font des gestes appris par coeur et ne font pas de philosophie sur le coup.

Mais un médecin est parfois seul devant un malade. Il n'a pas une technique brutale à appliquer. Ca se fait quand même plus dans la douceur.

Alors comment faites-vous, lorsque vous avez devant vous un être qui ne va pas bien, qui a quelque chose d'effrayant, pour garder votre calme et rester rassurant ?

Avez-vous des petites astuces, simples (style ... je ne sais pas, moi, penser à votre dernier repas en famille) pour vous rassurer, pour garder votre aplomb ?

Est-ce que c'est une réaction "normale" de se mettre en colère quand on a peur de la maladie de quelqu'un ?

Enfin voilà, si vous vouliez bien me donner des indications. Je ne cherche pas à vous piéger, c'est parce que je suis aussi confrontée à ça parfois et j'ai du mal à gérer ma peur devant la souffrance des autres.

Merci

Cécile

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  Liste des réponses à ce message

  Sujet     Auteur     Posté le:     ID  
 RE: Je cherche à comprendre, moi aussi... Ln2 18-03-04 1
   RE: Je cherche à comprendre, moi aussi... balzy 18-03-04 2
       RE: Je cherche à comprendre, moi aussi... cilloux 18-03-04 3
 RE: Je cherche à comprendre Cafe_Sante 18-03-04 4
   RE: Je cherche à comprendre cilloux 18-03-04 5
   RE: Je cherche à comprendre shackleton (VNI) 27-03-04 6
       RE: Je cherche à comprendre cilloux 27-03-04 7
       RE: Je cherche à comprendre Laurence2 27-03-04 8

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Texte des réponses

Ln2 (2466 messages) Envoyer message email à: Ln2 Envoyer message privé à: Ln2 Voir profil de ce membre Voir addresse IP de cet auteur
18-03-04, 00:53  (GMT)
1. "RE: Je cherche à comprendre, moi aussi..."
Modifié le 18-03-04 à 01:07  (GMT)

Bonsoir Cécile,

Vous posez une question intéressante...

Trouver la réponse constitue la plus grande partie de la vie d'un médecin.
Et chacun a la sienne.

Moi, je n'ai que des embryons de réponse, pour mon embryon de carrière.
Et qui dit embryons de réponse dit explications laborieuses, je vais donc être longue

D'abord, certains ne trouvent comme réponse que l'indifférence, l'insensibilité qui s'installe progressivement.
En fait, nous l'avons tous, mais à des échelles très différentes, en fonction des autres capacités de défense qui ont pu être mises en oeuvre.
Tout simplement parce qu'on ne peut pas survivre à un métier si on prend pleinement la souffrance des autres à bras le corps, toute la journée, tous les jours.

>voilà j'aimerais comprendre comment on peut garder son sang-froid face à
>ce qui fait peur chez un malade (convulsions, déformations du
>visage, pertes de conscience etc...).

Les convulsions ne sont pas ce qui me fait le plus peur. Je m'habitue moins à la souffrance morale qu'à la souffrance physique.

>J'imagine que vous avez tous eu des chocs dans votre carrière.

Bien sûr. Et nous en aurons encore des tas. L'imagination et l'expérience ont des limites que n'ont pas les situations de détresse humaine.

>Je connais un peu la méthode des pompiers, chez eux c'est
>très technique, ils font des gestes appris par coeur et
>ne font pas de philosophie sur le coup.

Certains médecins fonctionnent comme ça aussi.
C'est presque sans importance quand ils sont radiologues, plus grave quand ils sont chirurgiens, et dramatique quand ils sont généralistes.

>Alors comment faites-vous, lorsque vous avez devant vous un être qui
>ne va pas bien, qui a quelque chose d'effrayant, pour
>garder votre calme et rester rassurant ?
>
>Avez-vous des petites astuces, simples (style ... je ne sais pas,
>moi, penser à votre dernier repas en famille) pour vous
>rassurer, pour garder votre aplomb ?

Je ne pense pas que fuir la réalité du malade en pensant à son dernier Noël soit très utile.
Pour garder son calme peut-être, pour être rassurant certainement pas.

En fait, il y a deux questions : comment faire pour supporter la souffrance sans devenir fou à long terme, et comment faire pour la supporter sur le moment pour bien soigner malgré tout ?

Je suis trop jeune pour savoir si mes réponses à la première sont efficaces, et j’ai encore beaucoup de mal à trouver mes réponses à la deuxième…

Pour gérer la situation sur le moment, je pense qu’il faut réussir à se dualiser. (vous me pardonnerez ce néologisme barbare)

Intellectuellement, garder une distance pour rester maître de soi et de ses pensées, pour rester médecin-technicien de santé.

Emotionnellement, j’ai le sentiment qu’il faut se rapprocher de la personne qui ne va pas.
Très près. Trop près pour permettre l’intellectualisation.
Intellectualiser les choses les rend douloureuses, et paralyse le reste de la pensée, celle dont on a besoin pour réfléchir "symptômes-syndromes-maladie-traitement".
S’en imprégner rend accessible.

En somme, sentir un flot d’émotions et se laisser porter par lui sans y prêter attention, comme une musique d’ambiance. A la fois prendre la douleur à bras le corps et ne pas l’écouter, de la même façon qu’on peut être apaisé par un opéra alors qu’on n’en écoute pas vraiment la mélodie.
Ca permet à la fois de ne pas se laisser déborder et de répondre à l'autre autrement que comme une machine aux rouages trop bien huilés.

C’est pour ça aussi qu’on ne pratique pas la médecine sur le net.
Parce que pour comprendre la souffrance, pour lui faire face et pour y répondre, il faut la tonalité et la chaleur de la voix, les gestes esquissés, les regards échangés, les sourires et les grimaces.

Je pense aussi que quand c’est trop dur, quand on ne comprend pas la situation, quand elle nous échappe et qu’on n’a plus les cartes en main pour y répondre, il faut avoir le réflexe de se réfugier derrière des valeurs sûres.
On peut dire une connerie sans qu’elle ait des conséquences néfastes importantes si on la dit avec respect, et avec humilité.

La décompression vient après, quand il faut lâcher tout ça, se vider des émotions accumulées.
Question de survie là encore.

Ca peut être des blagues douteuses entre médecins.
Si vous posiez un micro dans ma salle de garde, vous pourriez m'entendre rire de situations monstrueuses, qui ne m'ont pas fait rire du tout sur le coup, et ne me font pas rire du tout en elles-mêmes.
C'est un peu la même chose que le fou rire nerveux pendant les enterrements.
C'est seulement que si on ne dédramatise pas pendant ces moments choisis d'intimité, on prend le risque de finir par le faire n'importe quand.

Ca peut être parler de ce qu'on vit, de ce qu'on ressent, de ce qui nous révolte.
Personnellement, je parle. Beaucoup. Trop.
Mes amis médecins, non médecins et ma famille ne rêvent que de me faire taire.

Et puis ensuite, c’est tout le reste, tout ce qui peut être assez prenant pour faire oublier la vie professionnelle.
Moi, je fais de la plongée, des jeux vidéo, je fume comme un pompier et je beugle sur des chansons de Brassens (mon voisin aussi ne rêve que de me faire taire ) .
Rien de très médical là-dedans, donc…

>Est-ce que c'est une réaction "normale" de se mettre en colère
>quand on a peur de la maladie de quelqu'un ?

Normale, je pense. Adaptée, non. Difficile à combattre, assurément.
C'est justement l'une des tâches du médecin d'apprendre à gérer la colère et la peur.

>Enfin voilà, si vous vouliez bien me donner des indications. Je
>ne cherche pas à vous piéger, c'est parce que je
>suis aussi confrontée à ça parfois et j'ai du mal
>à gérer ma peur devant la souffrance des autres.

Je ne sais pas si mes indications sont très claires…
Je parle trop, je vous dis



Cordialement,

Hélène, étudiante en médecine

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balzy (4696 messages) Envoyer message email à: balzy Envoyer message privé à: balzy Voir profil de ce membre Voir addresse IP de cet auteur
18-03-04, 06:29  (GMT)
2. "RE: Je cherche à comprendre, moi aussi..."
Bonjour Cecile, bonjour Hélène,
Hélène, je ne sais pas si vous parlez trop, mais qu'est-ce que j'aime bien vous lire. Un seul bémol cependant : j'aimerais bien vous convaincre de chanter plus fort et d'arrêter de fumer. Tant pis pour votre voisin Mais comme je n'arrive pas à persuader mon propre époux, je doute d'être très convaincante pour vous...

Noëlle

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cilloux (2292 messages) Envoyer message email à: cilloux Envoyer message privé à: cilloux Voir profil de ce membre Voir addresse IP de cet auteur
18-03-04, 10:35  (GMT)
3. "RE: Je cherche à comprendre, moi aussi..."
Mes amis médecins, non médecins et ma famille ne rêvent que de me faire taire.

C'est un régal de vous lire Hélène, merci d'avoir osé être aussi longue. Quand c'est intéressant, ce n'est pas long du tout.
Tiens, j'en aurais bien lu encore des pages comme ça.

Dotée d'une oreille musicale, je me souviendrai de la stratégie de l'opéra.

Je vous remercie beaucoup.


Cécile

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Cafe_Sante (8965 messages) Envoyer message email à: Cafe_Sante Envoyer message privé à: Cafe_Sante Voir profil de ce membre Voir addresse IP de cet auteur
18-03-04, 19:22  (GMT)
4. "RE: Je cherche à comprendre"
Bonsoir,

Je venais de lire un article de "Cerveau et Psycho" sur ce problème quand j'ai lu votre message. Physiologiquement, c'est la concentration sur l'opération ou les actes qui font oublier la peur. Le cortex préfrontal (qui permet la concentration) inhibe les centres de la peur. C'est un conflit permanent.
Je crois que ceux qui perdaient systématiquement ce conflit ont cherché un exercice de leur métier qui les évite (dermato, chercheur, médecin conseil, etc.).

Pour ma part, il est évident que dans les situations de grand stress, du genre accident de voiture avec 3 voitures et 5 blessés graves, j'essaye de me remémorer mes cours, de reprendre mes fiches que je garde dans mon sac. Mais j'ai peur en plus.
Devant les pompiers et les badauds je prends un air assuré, parle calmement et essaye de faire des gestes mesurés. Inutile de vous dire que si un badaud la ramène un peu, c'est sur lui que je décharge mon trop plein d'adrénaline.

Après une semaine terrible où j'ai "eu" trois morts dans deux accidents différents et un arrêt cardiaque à domicile et tous chez des jeunes, j'avais les poils qui se hérissaient dès que mon bip des pompiers sonnait. Et ce n'est pas une métaphore, ils se hérissaient vraiment.

Il faut vaincre la peur pour pouvoir réfléchir et c'est pour ça qu'il ne faut jamais soigner sa famille, ses amis proches et surtout soi-même. La peur envahit notre cortex et nous ne faisons que des conneries.

Même quand nous sommes en relation d'empathie avec les patients, nous gardons une réserve, je vois ça un peu comme une vitre qui nous permet de voir, d'être ébloui, mais de nous protéger quand même.

Philippe,
médecin à la campagne

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cilloux (2292 messages) Envoyer message email à: cilloux Envoyer message privé à: cilloux Voir profil de ce membre Voir addresse IP de cet auteur
18-03-04, 23:26  (GMT)
5. "RE: Je cherche à comprendre"
Merci Philippe


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shackleton (VNI) (71 messages) Voir addresse IP de cet auteur
27-03-04, 00:30  (GMT)
6. "RE: Je cherche à comprendre"
Bonsoir, Philippe,

Personnellement, je me suis toujours demandé jusqu'à quel point on peut supporter la souffrance des autres.

Je n'ai jamais voulu être médecin pour une raison : le fait de perdre un seul patient m'aurait été insupportable. Après analyse, je me suis rendue compte que ceux qui ne supportent pas ça ont souvent une relation de pouvoir avec la médecine ; l'impuissance devant une maladie incurable doit être insupportable quand on s'est drapé dans une aura de toute-puissance.

Finalement, le médecin "idéal" n'est-il pas celui qui cherche moins à contraindre la nature qu'à la comprendre et à faire avec elle ?

J'ai plus d'admiration pour le médecin qui doute et qui a peur - et qui le reconnaît - que pour celui qui s'enrobe de certitudes.

Je ne sais quel est votre point de vue sur la question mais j'ai constaté que les médecins les plus efficaces ne sont pas forcément les plus blindés. Reste à savoir quelle est la bonne mesure entre l'angoisse à l'idée de rater son diagnostic ou son intervention et l'abolition de toute sensibilité...

Bonne soirée

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cilloux (2292 messages) Envoyer message email à: cilloux Envoyer message privé à: cilloux Voir profil de ce membre Voir addresse IP de cet auteur
27-03-04, 02:11  (GMT)
7. "RE: Je cherche à comprendre"
le médecin "idéal" n'est-il pas celui qui cherche moins à contraindre la nature qu'à la comprendre et à faire avec elle ?

J'ai plus d'admiration pour le médecin qui doute et qui a peur - et qui le reconnaît


Cécile

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Laurence2 (702 messages) Envoyer message email à: Laurence2 Envoyer message privé à: Laurence2 Voir profil de ce membre Voir addresse IP de cet auteur
27-03-04, 19:35  (GMT)
8. "RE: Je cherche à comprendre"
Bonsoir,

j'ajouterais que j'ai aussi plus confiance en celui qui doute et le dit.
Ma psychiatre m'a déjà dit "je ne sais pas", je préfère ça que celui qui s'entoure de silence et de mystère, genre je sais tout et je ne dis rien, ou qui prend un air savant pour expliquer les chose. Les médecins sont humains, ils ne savent pas tout, pour moi il est plus facile de croire celui qui avouent ses doutes, car quand il avance quelque chose, au moins il ne baratine pas.

Laurence

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