Modifié le 18-03-04 à 01:07 (GMT)Bonsoir Cécile,
Vous posez une question intéressante...
Trouver la réponse constitue la plus grande partie de la vie d'un médecin.
Et chacun a la sienne.
Moi, je n'ai que des embryons de réponse, pour mon embryon de carrière.
Et qui dit embryons de réponse dit explications laborieuses, je vais donc être longue …
D'abord, certains ne trouvent comme réponse que l'indifférence, l'insensibilité qui s'installe progressivement.
En fait, nous l'avons tous, mais à des échelles très différentes, en fonction des autres capacités de défense qui ont pu être mises en oeuvre.
Tout simplement parce qu'on ne peut pas survivre à un métier si on prend pleinement la souffrance des autres à bras le corps, toute la journée, tous les jours.
>voilà j'aimerais comprendre comment on peut garder son sang-froid face à
>ce qui fait peur chez un malade (convulsions, déformations du
>visage, pertes de conscience etc...).
Les convulsions ne sont pas ce qui me fait le plus peur. Je m'habitue moins à la souffrance morale qu'à la souffrance physique.
>J'imagine que vous avez tous eu des chocs dans votre carrière.
Bien sûr. Et nous en aurons encore des tas. L'imagination et l'expérience ont des limites que n'ont pas les situations de détresse humaine.
>Je connais un peu la méthode des pompiers, chez eux c'est
>très technique, ils font des gestes appris par coeur et
>ne font pas de philosophie sur le coup.
Certains médecins fonctionnent comme ça aussi.
C'est presque sans importance quand ils sont radiologues, plus grave quand ils sont chirurgiens, et dramatique quand ils sont généralistes.
>Alors comment faites-vous, lorsque vous avez devant vous un être qui
>ne va pas bien, qui a quelque chose d'effrayant, pour
>garder votre calme et rester rassurant ?
>
>Avez-vous des petites astuces, simples (style ... je ne sais pas,
>moi, penser à votre dernier repas en famille) pour vous
>rassurer, pour garder votre aplomb ?
Je ne pense pas que fuir la réalité du malade en pensant à son dernier Noël soit très utile.
Pour garder son calme peut-être, pour être rassurant certainement pas.
En fait, il y a deux questions : comment faire pour supporter la souffrance sans devenir fou à long terme, et comment faire pour la supporter sur le moment pour bien soigner malgré tout ?
Je suis trop jeune pour savoir si mes réponses à la première sont efficaces, et j’ai encore beaucoup de mal à trouver mes réponses à la deuxième…
Pour gérer la situation sur le moment, je pense qu’il faut réussir à se dualiser. (vous me pardonnerez ce néologisme barbare)
Intellectuellement, garder une distance pour rester maître de soi et de ses pensées, pour rester médecin-technicien de santé.
Emotionnellement, j’ai le sentiment qu’il faut se rapprocher de la personne qui ne va pas.
Très près. Trop près pour permettre l’intellectualisation.
Intellectualiser les choses les rend douloureuses, et paralyse le reste de la pensée, celle dont on a besoin pour réfléchir "symptômes-syndromes-maladie-traitement".
S’en imprégner rend accessible.
En somme, sentir un flot d’émotions et se laisser porter par lui sans y prêter attention, comme une musique d’ambiance. A la fois prendre la douleur à bras le corps et ne pas l’écouter, de la même façon qu’on peut être apaisé par un opéra alors qu’on n’en écoute pas vraiment la mélodie.
Ca permet à la fois de ne pas se laisser déborder et de répondre à l'autre autrement que comme une machine aux rouages trop bien huilés.
C’est pour ça aussi qu’on ne pratique pas la médecine sur le net.
Parce que pour comprendre la souffrance, pour lui faire face et pour y répondre, il faut la tonalité et la chaleur de la voix, les gestes esquissés, les regards échangés, les sourires et les grimaces.
Je pense aussi que quand c’est trop dur, quand on ne comprend pas la situation, quand elle nous échappe et qu’on n’a plus les cartes en main pour y répondre, il faut avoir le réflexe de se réfugier derrière des valeurs sûres.
On peut dire une connerie sans qu’elle ait des conséquences néfastes importantes si on la dit avec respect, et avec humilité.
La décompression vient après, quand il faut lâcher tout ça, se vider des émotions accumulées.
Question de survie là encore.
Ca peut être des blagues douteuses entre médecins.
Si vous posiez un micro dans ma salle de garde, vous pourriez m'entendre rire de situations monstrueuses, qui ne m'ont pas fait rire du tout sur le coup, et ne me font pas rire du tout en elles-mêmes.
C'est un peu la même chose que le fou rire nerveux pendant les enterrements.
C'est seulement que si on ne dédramatise pas pendant ces moments choisis d'intimité, on prend le risque de finir par le faire n'importe quand.
Ca peut être parler de ce qu'on vit, de ce qu'on ressent, de ce qui nous révolte.
Personnellement, je parle. Beaucoup. Trop.
Mes amis médecins, non médecins et ma famille ne rêvent que de me faire taire.
Et puis ensuite, c’est tout le reste, tout ce qui peut être assez prenant pour faire oublier la vie professionnelle.
Moi, je fais de la plongée, des jeux vidéo, je fume comme un pompier et je beugle sur des chansons de Brassens (mon voisin aussi ne rêve que de me faire taire ) .
Rien de très médical là-dedans, donc…
>Est-ce que c'est une réaction "normale" de se mettre en colère
>quand on a peur de la maladie de quelqu'un ?
Normale, je pense. Adaptée, non. Difficile à combattre, assurément.
C'est justement l'une des tâches du médecin d'apprendre à gérer la colère et la peur.
>Enfin voilà, si vous vouliez bien me donner des indications. Je
>ne cherche pas à vous piéger, c'est parce que je
>suis aussi confrontée à ça parfois et j'ai du mal
>à gérer ma peur devant la souffrance des autres.
Je ne sais pas si mes indications sont très claires…
Je parle trop, je vous dis …
|
Cordialement, Hélène, étudiante en médecine |