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"Tronche de vie"

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Bphil Lopez (VNI) (5 messages) Voir addresse IP de cet auteur
20-09-02, 07:48  (GMT)
"Tronche de vie"
J'ai 46 balais, plus, dans un placard honteux, tous ceux que ma femme a usés durant quinze ans à essuyer mes souffrances, mes angoisses, mes dépits, plus le local dont le crédit s'achève.
Mon père était commerçant, pas par goût, mais par nécessité. Il voulait que ses enfants aient un métier sûr, un de ceux où les gens ne détalent pas après que vous ayez déballé en pure perte un tas d'articles qu'ils n'avaient, de toute façon, jamais eu l'intention d'acheter.
Ma première sélection par les chèques, c'est celle que mon père a dû faire pour son ( pas trop con de ) fils, qui eut , à sa grande surprise, son concours du premier coup.
La deuxième, ce fut à voir que, même les premiers de la classe congénitaux, ont à recopier des culots urinaires, au moment "hormonal" où ils auraient plutôt envie de déshabiller leur premier malade, et .... leur première infirmière.
La sélection par l'échec suivante, ce fut le jour où les femmes vinrent à mon cabinet tout neuf me montrer leur mycose "juste" parce que la gynéco était en congrès, et leur mouflet "juste" le dimanche où le pédiatre était de repos ( bien mérité, s'entend ) . Un jour d' après, une directrice d'école, auprès de laquelle je négociai l' énurésie d'un élève me demanda qui j'étais pour parler comme un pédo- psychiatre.
Alors, les "touche pas à ma foufoune", les "touche pas à mon mioche", les "touche pas à mon âme" m'ont renvoyé à ce père qui déballait tant d' objets qu'on ne venait pas pour lui acheter. En fait, la médecine générale, c'était des mecs qui allaient en congrès le soir ,après vingt et une heures et la grosse fatigue accumulée, écouter les conseils avisés de types qui, eux, partaient en congrès le jour et les week-ends. Alors ces types plus diplomés, donc moins fatigués que nous, nous en expliquaient un peu, juste qu'on soit pas trop idiot à assurer l'interim le tems qu'ils reviennent de congrès. "E P U ", l'anagramme de " PEU", vous n'aviez pas remarqué ?

Moi, ma plaque, je l'ai déballée toute neuve en octobre 85. Beaucoup l'ont remballée. La plupart des patients m' ont éprouvé, puis approuvé, je suis content. Mais il y en a de plus en plus qui me ramènent à la détresse de mon père.
J'ai bien trimé, j'suis pas trop con. J'ai lu tous les livres de médecine en essayant de sauter les réclames. Là, maintenant, c'est plus que des morceaux de pub médicalisées entre deux réclames. Je ne sais plus quoi lire.
J'ai une assez bonne clientèle. Vingt à trente carte vitale par jour, vingt euros la carte. Faites le compte. Des fois on me parle de médecins qui voient soixante personnes par jour . Moi je me dis que chacun de leurs malades a un soixantième de médecin. Alors je les plains, médecins et malades confondus. Là, ils ont vraiment trop peu à partager.

Ma femme est allée chez le coiffeur ce matin. Elle a cessé ses études pour me faire trois beaux gamins. Aucun ne veut faire généraliste. Et mes deux filles ne seront jamais assez connes pour se marier avec un type qui sera généraliste. Et ma femme a cessé de m'aider voici deux ans. Je gagne assez pour ça, et pour lui "payer" un bon coiffeur tous les 15 jours. Depuis que je ne fais plus les gardes de nuit, je dors mieux, je peux faire l'amour sans être interrompu par une rhino pharyngite, et je travaille mieux le jour dans l'intérêt de ma vie, de celle de mes enfants , et dans celui de mes malades.

Je suis, désormais, un farouche, irréductible partisan de la "permanente" de soin. L'indéfrisable nécessité de n'être plus pris pour un con. Et de pouvoir coiffer ma femme avec le soin qu'elle mérite.
Je veux vieillir assez pour donner à ma femme une existence moins intenable que celle d'une co- permanent-chié d'un système bancal. Je veux aussi pouvoir l'aider à s'offrir le confort que ce foutu métier ,vécu aux torts et aux travers d'un con d'idéaliste , n'a pas su lui donner. J'emmerde tous les directeurs de conscience, tous les gardiens du temple, qui sont partis se coucher en me demandant d'éteindre la lumière après que le dernier convive de la maison de garde soit parti. Et je veux continuer ce beau, intenable
métier d'adultère, où l'on trompe en permanence sa femme auprès du temps donné à ses patients, et où l'on aspire, quelle honte, à niquer un peu, le temps de quelque dérogation désormais auto-proclamée, les vieux sacerdoces éculés, auprès des gosses qu'on a décidé d'avoir.

"veuillez, monsieur le président, croire en mon indifférence appuyée"

bruno

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  Sujet     Auteur     Posté le:     ID  
 RE: Tronche de vie CCZEN (VNI) 10-10-02 1

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CCZEN (VNI) (4 messages) Voir addresse IP de cet auteur
10-10-02, 15:45  (GMT)
1. "RE: Tronche de vie"
Je débute (thése en 2000, installation début 2001 rural), je suis mariée (96) et j'ai deux fillettes (97 et 99) et je ne désespère pas de pouvoir concilier vie professionnelle, vie personnelle, vie de couple et vie de famille.
Peut-être suis-je utopiste (sûrement même) mais j'espère m'être donné les moyens d'y arriver à travers une association dans un cabinet de groupe (nous sommes trois).
Je reconnais que les patients sont encore trés "mon médecin", mais nous essayons de les orienter vers "mon cabinet", pour que nous ayons tous les trois du temps de libre.
J'essaye de les habituer à des horaires fixes, ce qui me permet d'avoir ma vie privée. Le nombre d'heures de travail que j'effectue dans la semaine reste raisonnable (45 heures/semaine) avec une/deux nuits de semaine de garde par mois. Les week-end sont libres, et c'est indispensable (l'année dernière ils ne l'étaient pas mais depuis que SOS Médecin vient jusque dans notre commune, ils font les gardes de week-end et c'est tant mieux car ça c'est vraiment chia..).
Voilà, c'est un beau métier, même s'il vous pompe toute votre énergie, et surtout une grande part de votre disponibilité envers les autres (je suis souvent moins disponible pour écouter mon mari que pour écouter mes patient/es) mais j'en ai conscience et je me soigne :-D
Malgré votre témoignage, je reste confiante en l'avenir.
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