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"La médecine a fait tellement de progrès que plus personne n’est en bonne santé !" *


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Et si le monde de la santé du futur était déjà là ? Le meilleur des mondes ?

Quelques réflexions ouvertes d’éthique médicale

Première publication : dimanche 11 septembre 2011,
par Jacques Lucas - Visites : 10961

De tout temps, les médecins ont intégré les évolutions scientifiques, techniques et technologiques dans leurs pratiques. Parfois avec des difficultés initiales, quand les évolutions vont contre les « idées reçues » et tout autant contre « la force des habitudes ». Il en sera toujours ainsi, mais aujourd’hui tout s’accélère. Le progrès technique et scientifique est-il toujours un progrès humaniste ? Le monde de la santé du futur est déjà gestant. Irait-on vers le « meilleur des mondes » vu il y a déjà longtemps par Aldous Huxley ?

Quel monde et quelle santé ?

Toute avancée scientifique n’est ni bonne ni mauvaise en soi. Tout dépend des usages et des applications qui en sont faites. Déjà Rabelais, docteur es-médecine, écrivait au Moyen Age : « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». On peut avancer que l’inverse n’est sans doute pas mieux. L’application des sciences en médecine doit obéir au principe éthique de bienfaisance et non céder au culte de la prouesse technique pour elle même. Le sujet de la santé du futur, avec les espoirs et les appréhensions que les avancées des connaissances et des moyens suscitent, doit ouvrir un débat éthique dans le corps social. Ce débat n’est pas la seule affaire des médecins ni des spécialistes « éthiciens ». Il n’est pas non plus seulement l’apanage des politiques.

Quelques sujets de réflexion parmi d’autres :

- Assistance à la procréation et assistance à la mort. Débat éthique majeur : Quelle assistance ? Quelles sont les limites ? Quels sont les interdits ? Quel en est le sens ? Ce débat se nourrit, aujourd’hui déjà, de contributions sur le web. Sommaires et péremptoires souvent, alors que la réflexion éthique est faite d’interrogations qui s’appliquent tout autant à la personne qu’à la société dans laquelle elle nait, vit et meurt. Dans la société de ses proches d’abord. Il est nécessaire de prendre la distance de réflexion qui s’impose, comme vertu intellectuelle et morale, face à l’immédiateté des réactions émotionnelles, et à leur possible instrumentalisation. Un débat éthique ne doit pas être de nature passionnelle, partisane ou polémique.

- Hébergeurs de données personnelles de santé. Ce ne sont des auberges ouvertes à tous vents. La protection des données personnelles des citoyens, et tout spécialement celles qui concernent leur état de santé, est une exigence fondamentale dans une société qui doit être respectueuse du droit des personnes. La formation initiale et continue des médecins doit rappeler cette exigence première : ne pas céder à la fascination technologique sans effectuer l’inventaire éthique de ses applications. Cette exigence n’est pas antagoniste du progrès, au contraire. Les libertés peuvent s’épanouir dans la société de l’information et de la communication, si les secrets des personnes sont protégés contre les intrusions et ne sont pas vendables à l’encan. Quelle place pour les « réseaux sociaux » en médecine ? Mettre des données personnelles de santé sur des géants comme Google ? Faire circuler des messages médicaux sur les messageries ouvertes des grands opérateurs ? On pressent le danger d’exploitation des données ou de leur divulgation.

- Les applications de télémédecine pour prendre en charge et soigner les personnes souffrantes, mal en point, dépendantes ou désorientés, souffrant de pathologies chroniques en particulier, permettent d’apporter « l’expertise médicale » par les technologies modernes de la communication au plus près des réalités sociologiques dans les bassins de santé et contribuer ainsi à l’équité dans l’accès aux soins, à la prévention, à l’éducation thérapeutique en tout point du territoire. Pour autant cela ne doit pas conduire à la perte du lien humain, du lien social. Les technologies devraient au contraire contribuer à le renforcer et non le pervertir dans des appétits de « e-commerce ». L’attention dans ce domaine n’est pas seulement franco-française, comme certains l’expriment. Elle doit porter sur l’élaboration des Directives de la Commission européenne, car ces Directives s’imposent aux Etats membres, par application du principe de la libre circulation des personnes et des biens et de la libre prestation de service. Il faut donc être vigilantsf, présents et actifs à Bruxelles. Quelle Europe de la santé demain ?

- On sait déjà que des systèmes experts et des robots aident au diagnostic médical, aux interventions du chirurgien, à l’acquisition des données d’imagerie. Cela est un fantastique progrès mais, pour autant, aucun système automatisé ne devrait se substituer à la relation humaine entre un médecin et une personne souffrante. Toute décision médicale doit s’appuyer sur les compétences professionnelles et les moyens techniques appropriés qui concrétisent la voie des possibles. Mais toute décision résulte d’un choix. Ce choix doit être fait dans le seul « intérêt singulier » de la personne qui consulte et en fonction du pronostic dans la balance bénéfice /risque. Cette personne doit toujours participer à la décision médicale qui la concerne au premier chef et bouleverse son vécu. La consultation d’annonce ne concerne pas que les pathologies lourdes. C’est tout au long de la maladie, quand elle est au long cours, que le médecin a un devoir d’information et de recueil du consentement. Cela ne peut se faire à coup de formulaires, ni de formules trop rapides et encore moins par dispositif électronique…

- C’est sans doute en raison de cette complexité dans la communication et en raison du temps nécessaire à la compréhension de sa maladie que la personne malade va de plus en plus souvent collecter des informations sur le web santé. Et c’est pour cela aussi que le respect des personnes, la qualité des informations délivrées par ce média, la « démocratie sanitaire » et l’éducation thérapeutique imposent de faire un effort pédagogique important pour que ces sources virtuelles soient fiables, hors des domaines marchands, philosophiques ou idéologiques. Internet peut renforcer la relation médecin-patient, tout dépend de l’indication et de la posologie. Cyberchondrie et cyberaddiction ça existe aussi comme pathologies, tout comme l’exploitation de la crédulité des personnes vulnérables.

Si ce monde de la santé du futur est gestant, « le meilleur des mondes » ne serait-il pas celui où l’individu resterait libre en tant que personne, mais comme une personne responsable de ses choix dans une société solidaire ?

Jacques Lucas est Vice président du Conseil national de l’Ordre des médecins, délégué général aux TIC en santé. À titre personnel, il est @jcqslucas sur Twitter

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