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Le TDAH expliqué aux généralistes par un généraliste TDAH
Mieux comprendre les enfants qui n’arrivent pas à se concentrer sur leurs devoirs et/ou qui ne tiennent pas en place

Le samedi 12 juin 2021 était la première journée nationale française du TDAH. C’est l’occasion de republier cet article de 2015, destiné à aider mes confrères à comprendre ce profil particulier dont ils n’ont jamais entendu parler pendant leurs cours de faculté.

TDA/H est l’acronyme du Trouble Déficitaire de l’Attention avec ou sans Hyperactivité [1]. Le caractère optionnel de l’hyperactivité physique justifie la barre oblique entre le A et le H.

La Haute autorité de santé (HAS) a publié en 2015 une recommandation concernant le TDAH chez l’enfant et notamment son dépistage par les médecins généralistes.

La formation universitaire initiale de la majorité des médecins actuellement en exercice ne comportait pas de cours sur le TDA/H. Je propose donc à mes confrères (qui n’auraient pas complété eux-mêmes cette lacune) un court article abordant les principaux éléments permettant de dépister le TDAH chez les enfants et adolescents en difficulté scolaire.

C’est quoi ce truc ?

Plus personne de sérieux n’assimile le TDAH à une maladie, d’où ce nom ambigu de "trouble" [2]. Il s’agit plutôt d’un ensemble de traits de caractère susceptibles de déclencher des symptômes handicapant la scolarité et parfois la vie sociale, à savoir une impulsivité, une impatience, et une incapacité à fixer durablement son attention. Une agitation physique est souvent associée aux symptômes précédents, surtout chez les garçons.

La grande majorité des enfants diagnostiqués TDAH n’auraient pourtant aucun problème dans une société primitive, ou s’ils bénéficiaient d’un apprentissage individuel et personnalisé. Les symptômes naissent de la collision entre ce caractère particulier et un contexte contraignant, essentiellement scolaire. L’école actuelle, faite pour le plus grand nombre, est inadaptée pour ces enfants créatifs, curieux et intuitifs, mais épuisants en groupe et incapables de se concentrer durablement sur les tâches scolaires. Un psychologue américain a résumé la problématique du TDA/H en une phrase : "Ce sont des chasseurs contraints de vivre comme des fermiers" [3].

Il n’y a pas de frontière entre le TDA/H et la "normalité". De nombreux enfants sont naturellement impulsifs, agités et inattentifs, ce qui a d’ailleurs longtemps conduit à nier l’existence du TDA/H en tant qu’entité individualisée. C’est l’association ET la forte intensité de ces traits de caractère qui permettent de porter un diagnostic face à des difficultés d’adaptation scolaire et parfois familiale. Pour autant, certains TDAH typiques ne vont vivre aucune difficulté majeure à l’école, notamment ceux (ou celles) qui possèdent une très bonne mémoire ou des aptitudes leur permettant de garder confiance en eux et de réussir tant bien que mal leur scolarité. Certains individus particulièrement brillants ont été des enfants TDAH, Steve Jobs est l’exemple le plus souvent cité, mais aussi Churchill, André Malraux, Walt Disney ou Serge Gainsbourg.

Voici une représentation graphique de l’impact négatif des trois composantes du TDA/H sur les aptitudes scolaires de différentes catégories d’enfants. La part d’aptitudes scolaires "utilisables" est la surface jaune non recouverte par les handicaps (dans les cercles)

Le dernier item, à savoir un enfant avec des caractéristiques de TDAH mais avec une grande intelligence qui lui permet de surmonter son handicap scolaire, est parfois étiqueté HPI (Haut Potentiel Intellectuel) plutôt que TDAH intelligent. Je trouve personnellement ce distinguo assez artificiel.

Pourquoi et comment envisager ce diagnostic ?

La HAS encourage les généralistes a être attentifs aux difficultés scolaires ou sociales qui pourraient faire suspecter l’existence d’un TDAH. Du fait de l’efficacité des prises en charge comportementales ou médicamenteuses, le diagnostic doit être posé sans trop tarder lorsque les difficultés s’installent durablement, c’est à dire au delà de quelques mois.

C’est à partir de problèmes scolaires rapportés par les enseignants que le TDAH sera le plus souvent suspecté, souvent dès le cours élémentaire.
- Impatience et impulsivité : l’enfant perturbe la classe par des questions à contre-temps, en répondant au maître avant même que celui-ci ait fini de formuler sa question, ou en interrompant fréquemment ses camarades.
- Agitation physique, hyperactivité en classe : l’enfant remue ses pieds ou ses mains en permanence, se lève sans demander la permission. Il est "intenable".
- Difficultés de concentration, inattention : devant une tâche qui l’ennuie, l’enfant TDA/H est incapable de se concentrer durablement. Les reproches du maître font apparaître l’agitation ou l’aggravent car l’enfant est en détresse : ce n’est pas qu’il ne veut pas, c’est qu’il ne peut pas se concentrer sur une tâche ennuyeuse. Son cerveau s’embrouille et tourne en rond. Personne ne le croit et il en est très malheureux. Pendant que le maître parle, il "décroche" souvent et s’évade dans son monde intérieur.

L’enfant TDAH est incapable de faire correctement son travail scolaire à la maison, y compris face aux menaces et aux punitions, comme si un frein incompréhensible l’en empêchait physiquement [4]. Ces blocages sont particulièrement évocateurs lorsqu’il s’agit d’enfants par ailleurs brillants et capables de se passionner pour des domaines bien plus complexes. Cette concentration instable et sélective ne peut être confondue avec les difficultés scolaires d’un enfant qui peine à comprendre un exercice difficile ou qui obtient de mauvaises notes malgré un travail assidu à la maison.

Le pédopsychiatre Gabriel Wahl résume parfaitement ce problème dans son livre-référence sur le TDAH de l’enfant : "Le TDAH est une incapacité, pas une faute morale". Punir un enfant TDAH qui n’arrive pas à faire ses devoirs revient à punir un enfant souffrant d’un handicap physique qui ne parvient pas à courir.

Cette difficulté à se concentrer sur les tâches imposées est le symptôme central du TDA/H, l’impulsivité et l’hyperactivité étant optionnelles. Contrairement à certains spécialistes qui y voient un trouble global de la concentration [5], je fais partie de ceux qui constatent presque toujours un déficit sélectif : cet enfant incapable de rester attentif plus de deux minutes devant son livre d’histoire va faire preuve d’une concentration durable et particulièrement intense devant un dessin, un jeu de construction ou un jeu vidéo. Ce paradoxe apparent conduit d’ailleurs certains psychologues à accuser les consoles d’avoir une responsabilité dans le TDAH. Il n’en est rien : les jeux vidéos reproduisent tout simplement une activité guerrière, stratégique ou créative conçue par des adultes TDAH pour des enfants TDAH, et donc aussi fascinante pour eux qu’éloignée de l’ennuyeux programme scolaire.

Il n’est pas rare que le comportement scolaire d’un enfant TDAH soit très différent en fonction des matières ou de la personnalité de l’enseignant. Il sera tantôt dernier, tantôt premier de sa classe lorsque la stimulation intellectuelle apportée par la matière et/ou l’empathie de l’enseignant seront suffisantes pour maintenir son attention. Ces paradoxes apparents restent inexplicables pour ceux qui ne connaissent pas le TDA/H.

Pour résumer, suspecter un TDAH chez un enfant n’est pas très difficile une fois que l’on a compris les caractéristiques de sa personnalité : un esprit vif qui ne supporte pas d’attendre et qui est réellement, physiquement, constitutionnellement, incapable de rester concentré lorsque son excitation ou sa curiosité ne sont plus stimulées.

L’impulsivité et l’hyperactivité physique sont les deux autres piliers de ce caractère qui nécessiterait pour s’épanouir une scolarité spécifique très éloignée des standards éducatifs conçus pour le plus grand nombre.
Les enfants TDAH nécessitant une aide représenteraient un enfant par classe en moyenne. Les garçons sont deux fois plus nombreux que les filles, et le diagnostic est souvent plus tardif chez ces dernières, notamment du fait de l’absence fréquente d’hyperactivité physique.

Difficultés extrascolaires

Un enfant TDAH peut être à l’origine de tensions familiales. Son impulsivité, son impatience et son hyperactivité (difficile à canaliser en appartement) épuisent ses parents et ses frères et soeurs. Il ne finit jmais ce qu’il commence et laisse toujours tout en plan. Plus que tout autre enfant, il perd tout, oublie tout.

Le cadre contraignant des obligations familiales et des interdits est très douloureux pour un enfant particulièrement épris de liberté, d’autonomie et de mouvement. La souffrance générée par ces frustrations accumulées et trop souvent niées peut aboutir à une dépression, à une toxicomanie, ou à des troubles du comportement fréquemment associés au TDAH : le TOP et le TC.

Le TOP est le Trouble Oppositionnel avec Provocation. Il s’agit d’enfants absolument insupportables, vivant à la fois dans la provocation et la victimisation, menant la vie dure à leurs parents qui ne savent plus comment les prendre. Heureusement, ce trouble lié à l’intolérance aux contraintes et à la colère qu’elle engendre disparaît souvent avec l’autonomisation au début de l’âge adulte.

Le TC est le Trouble des Conduites. L’ennui et la contrainte deviennent si douloureux qu’ils poussent l’enfant, ou plutôt l’adolescent, à commettre des actes dangereux ou délictueux pour tenter de recréer l’excitation intellectuelle dont il est privé par le cadre ennuyeux qui lui est imposé. Il s’agit d’une sorte de délinquance irrationnelle ou de vandalisme qui peuvent paraître incompréhensibles si l’on n’a pas identifié le fréquent TDA/H sous-jacent.

Que faire une fois le diagnostic évoqué ?

C’est malheureusement le moment où les difficultés commencent en France. La négation du TDA/H par un courant de pensée longtemps prédominant (et encore tenace) nous a fait prendre beaucoup de retard, et les spécialistes du TDA/H sont rares et débordés. Chaque généraliste doit donc être à l’affût de l’ouverture de nouvelles consultations spécialisées pour pouvoir y adresser ses jeunes patients. Cet avis spécialisé permettra une confirmation du diagnostic et une prise en charge adaptée, dont l’effet positif est parfois spectaculaire.

Un retard au diagnostic peut aboutir à des dégâts irréversibles : l’enfant rabroué, accusé de paresse, nié dans ses aptitudes atypiques, perd totalement confiance en lui. Il peut alors sombrer dans un échec scolaire irrattrapable, puis dans la dépression, la toxicomanie ou la délinquance. Heureusement, en retrouvant une autonomie à l’âge adulte, de nombreux TDA/H maltraités par l’école s’épanouissent dans une vie professionnelle qu’ils ont choisie, notamment s’ils parviennent à travailler sans subir de hiérarchie.

Quelles solutions pourront-elles être proposées une fois le diagnostic confirmé ?

Le simple fait de porter le diagnostic permet de diminuer la souffrance en fournissant des explications rationnelles aux difficultés souvent incomprises de ces enfants. Des approches comportementales, la formation des parents, et des adaptations scolaires (souvent difficiles ou peu accessibles) apportent une aide précieuse. Les psychostimulants comme le méthylphénidate apportent souvent une amélioration, parfois spectaculaire, au prix d’une tolérance variable (sommeil, poids, croissance essentiellement) [6].

Ne risque-t-on pas de tomber dans l’excès de diagnostic ?

Il existe un risque réel de tomber dans les excès nords-américains [7], où plus de 10% des enfants prennent des psychostimulants, et où cette prescription se rapproche d’un dopage scolaire. En effet, ces psychostimulants peuvent aussi améliorer les performances de nombreux enfants qui ne possèdent que partiellement les traits de caractère d’un TDA/H [8], et il existe une pression des parents pour faire poser ce diagnostic afin d’obtenir la "pilule à bonnes notes". Nous connaissons actuellement une pression similaire avec l’orthophonie, très utile dans les troubles de l’apprentissage, mais qui est parfois prescrite comme simple soutien scolaire remboursé l’Assurance-maladie.

Nous en sommes actuellement très loin en France et le sous-diagnostic, associé à de grandes souffrances non prises en charges, restent le problème majoritaire à combattre. J’espère que mes collègues généralistes, mieux informés, pourront venir au secours de ces enfants injustement mis en échec et niés dans leur souffrance. Il faut toujours garder à l’esprit que les enfants TDA/H possèdent des qualités spécifiques qui ne demandent qu’à être mises en valeur : créativité, originalité, vivacité sont les principales. Ils ne sont ni plus ni moins intelligents que les autres, mais leur cerveau fonctionne clairement différemment.

Le TDAH est une fausse maladie, mais souvent un vrai problème !

Si vous voulez en savoir plus sur le TDAH, consultez cette sélection de documents.

PS : je connais bien le TDAH pour en avoir souffert dans l’enfance : redoublements, résultats chaotiques, ennui mortel à l’école dans certaines matières, agitation, indiscipline. Il marque encore mon comportement d’adulte. Voici un bilan psychologique réalisé lorsque j’avais 12 ans. Il se passe de commentaires tant il est démonstratif (le TDA/H était inconnu en France à l’époque).


Notes


[1Le libellé officiel est Trouble du Déficit de l’Attention, mais cette traduction de l’anglais Attention-Deficit Disorder (ADD) est incompréhensible en français, et le concept est suffisamment difficile comme cela pour ne pas en rajouter

[2Le TDAH est parfois considéré comme un trouble du développement cérébral, et il est vrai qu’il est plus souvent présent chez les prématurés, mais cette hypothèse neuro-déficitaire n’est pas consensuelle.

[3Je parle de chasse primitive, et non de chasse postée nécessitant de la patience. Cette chasse est proche de celle des combats des jeux vidéos qui captent si bien l’attention des enfants TDAH !

[4À ce sujet, il est dramatique qu’un travail scolaire à la maison soit imposé dès le primaire par de nombreux enseignants, au mépris de son interdiction ministérielle qui date de 1956.

[5Certaines des analyses développées dans ce billet sont personnelles à l’auteur et sont pas étayées par un haut niveau de preuve, comme c’est le cas pour la majorité des données scientifiques sur le TDAH... Je ne parle pas non plus dans ce billet des hypothèses alimentaires ou environnementales qui associent le TDAH aux métaux lourds ou aux pesticides, tant le niveau de preuve de ces hypothèses est faible, reposant sur des corrélations dont on sait qu’elles ne permettent pas d’établir de lien de causalité.

[6Le mode d’action des psychostimulants sur les symptômes du TDA/H reste mal connu. J’ai une théorie personnelle : les amphétamines apportent au cerveau du TDA/H la stimulation dont il a besoin pour maintenir l’état d’excitation de certaines aires cérébrales. Le reste de son cerveau devient alors disponible pour les apprentissages et une attention stable. Je constate d’ailleurs que beaucoup d’enfants TDA/H travaillent paradoxalement mieux en écoutant de la musique rythmée, voire en regardant du coin de l’oeil la télévision, ce qui hérisse (à tort) leurs parents.

[7Le TDA/H est souvent accusé de faire partie du "disease mongering", ces maladies inventées par l’industrie pharmaceutiques pour promouvoir ses médicaments. Il est clair que si la Ritaline et ses génériques/copies n’existaient pas, on parlerait moins de TDA/H, comme c’est le cas pour les problèmes qui n’ont pas de solution. Mais je trouve que c’est un mauvais procès pour un médicament tombé dans le domaine public depuis longtemps et qui apporte parfois une aide si spectaculaire que s’en priver serait un choix douloureux pour de nombreuses familles.

[8Chez un bon quart de la population, les amphétamines améliorent les capacités de concentration sans générer d’effets secondaires importants, d’où leur usage immodéré par les étudiants dans les années 50 où elles étaient encore en vente libre. Il existe donc un risque de voir la prescription de méthyphénidate dépasser ses indications validées dans le TDA/H pour s’étendre au dopage attentionnel !