Bonjour Sébastien,
Je lis vos commentaires avec un an de retard . J’y réagis quand même, parce qu’il est symptomatique d’un des principaux maux de notre société.
Le journaliste, qui joue un rôle majeur dans la démocratie et l’opinion publique, se réduit à un rôle de tendeurs de micro, confondant information et recueil de témoignages.
Ce lieu ne peut pas être celui d’un débat sur l’absence de légitimité de ce quatrième pouvoir, ni sur l’existence d’un conflit d’intérêt entre les médias qui vivent des problèmes de notre monde et les citoyens qui rêvent d’un monde sans problème (cf les interview des jeunes dans les cités à la veille de l’anniversaire des émeutes dans les banlieues : "si demain vous remettez le feu, vous passerez à la télé").
Si les journalistes faisaient leur travail d’analyse et d’éducation face à l’information, cela rendrait évidents certains faits :
1) comme vous le reconnaissez, reprocher aux médecins de bénéficier d’une formation gratuite est incohérent : soit les études universitaires sont payantes pour tous, soit elles sont gratuites. Dans notre système solidaire, elles sont gratuites, grâce à l’impôt de tous, et les médecins contribuent à cet impôt.
Par ailleurs, les étudiants en médecine que j’ai vu travailler à l’hôpital se forment mais surtout fournissent un travail sans lequel l’hôpital serait en faillite.
S’ils étaient mieux organisés et plus préoccupés de leur avenir que de la santé des patients, ces étudiants auraient fait grève dès la première fois où les journaleux ont laissé comme un élément du débat la gratuité des études.
2) En tant que patient, j’aimerais que les meilleurs fassent médecine, y compris si pour les convaincre il faut leur proposer un niveau de rémunération à la hauteur de la longueur des études et du niveau de sélection.
3) En tant que citoyen et contribuable, une vision saine à long terme fait souhaiter que les meilleurs fassent de l’enseignement ou de la médecine. Y compris pour des raisons purement économiques. Pour les enseignants, ce n’est pas le lieu du débat, mais c’est vital.
Pour les médecins, voici un exemple :
Femme, chauffeur de taxi, divorcée, deux enfants à charge. En arrêt de travail depuis deux ans pour un problème de santé responsable d’une inaptitude. En dépression aussi, du fait des difficultés financières et familiales causées par cet inaptitude. Hospitalisée deux fois, nombreux examens,tous normaux, avec en conclusion un doute sur une simulation.
Vous êtes sans doute plus qualifié que le Dr Dupagne pour évaluer le coût pour la société.
A vue de nez je dirai qu’il dépasse 20.000€. Ce coût peut vous paraître insupportable. La souffrance humaine de cette femme est encore bien plus insupportable.
Cette femme consulte (déplacement à ses frais, rendez-vous obtenu en quinze jours) un énième médecin qui après 5 minutes lui donne un diagnostic probable, prend 20 minutes pour rédiger un courrier afin de permettre d’organiser au plus vite les tests nécessaires à la confirmation du diagnostic et le traitement. Grâce à celui-ci (coût inférieur à 200€), moins de 15 jours après, cette patiente pourra reprendre son travail de chauffeur de taxi.
Questions :
a) La première, nécessaire dans la détestable atmosphère anti-médecins ambiante, est "qu’attend-on pour condamner les médecins consultés initialement et qui n’ont pas fait le diagnostic ?". On peut y répondre par une autre question :
qu’attend-on pour sanctionner les footballeurs qui ne jouent pas aussi bien que Zidane ? Peut-être que c’est ce dernier médecin qui était spécialement bon et non les autres spécialement mauvais.
b) ce médecin a fait payer 130€ pour 25 minutes de son temps, alors que la patiente ne sera remboursée que sur la base de 23€. Faut-il dire "ce dépassement d’honoraires est scandaleux", ou bien "ce remboursement dérisoire est scandaleux, alors que ces 130€ sont assurément la mieux utilisée de toutes les sommes dépensées pour cette patiente". Et si ce médecin qui gagne bien sa vie avait dû choisir une autre profession pour bien gagner sa vie ? S’il s’était dit "j’ai la vocation d’être médecin, mais ma priorité sera mes enfants". Et élever des enfants dans notre société bourrée de défauts et d’injustices, manipulée par des médias sans éthique, au système éducatif dégradé (quel responsable a ne serait-ce qu’évoquer la question des quelques enseignants racistes ?), cela demande de ne pas travailler plus de 45H par semaine pour bien gagner sa vie.
d) La sécurité sociale confie son chéquier (compte-tenu de son organisation, elle y est forcée) aux médecins. Chacun a sous sa plume des montants de dépense colossaux. Est-il intelligent de ne pas rémunérer le temps de réflexion clinique ? Dans notre système, si j’ai besoin de 20.000€ d’examens, je serai remboursé. Si j’ai besoin de 100.000€ de traitement, je serai remboursé. Mais si j’ai besoin qu’un médecin prenne connaissance de mon dossier complexe, réflechisse une heure sur mon cas, je ne serai remboursé que sur la base de 23€. Le paiement à la performance est une rustine poreuse et hors éthique dans un système qui incite diaboliquement et suicidairement à empiler les examens complémentaires (...)