Au risque de passer pour un iconoclaste, je vais avouer que le problème des conflits d’intérêt me semble secondaire...
Je ne cherche pas à excuser la crapulerie décrite car vouloir éliminer les conflits d’intérêt et faire des lois qui limitent leur vérification en est une.
Ma réflexion se base sur deux questions :
1) Elimine t-on les conflits d’intérêt en déclarant les sommes versées ?
2) Y a t-il quelque chose qui permette à la personne en conflit d’intérêt de donner un avis non conforme aux connaissances disponibles ?
En réponse à la première question, comme vous vous en doutez, je pense que non. Par exemple, je suis patron dans un service hospitalier, j’ai 2 agrégés, un qui travaille sur les essais, l’autre qui est expert. C’est donc un service très intéressant pour l’industrie pharmaceutique. Comment s’assurer que l’expert ne sera pas influencé ?
Les laboratoires pharmaceutiques sont internationaux. Je suis expert, j’ai un enfant qui part faire un stage (bien rémunéré) chez un prestataire du labo loin de France.
Je vous laisser imaginer d’autres possibilités d’aider un expert en restant en conformité avec le document de l’ANSM au bout de ce lien http://ansm.sante.fr/content/download/42810/555905/version/1/file/Expertise_Incompatibilites.pdf
Bref, cela me semble utopique de penser que l’on peut éliminer la possibilité de conflits d’intérêt.
Cela ne veut pas dire qu’il ne faille pas tenter de les limiter mais je pense qu’il faut rester conscient que cela ne règlera pas tous les problèmes.
Maintenant seconde question :
La conséquence néfaste d’un conflit d’intérêt est l’obtention de la part d’un expert d’un avis non conforme à la réalité des études ou des données disponibles. L’expert est celui qui donne un avis d’expert (le niveau le plus faible de l’EBM) à partir des données obtenues par des essais randomisés supposés bien conduits (niveau le plus élevé de l’EBM). A partir de ces avis, les décisions sont prises.
Comme, vous pouvez vous en douter, je pense que le problème est plus crucial à ce niveau. Le différentiel entre les informations à disposition de l’expert et celles à disposition des non experts permet cette conséquence néfaste des conflits d’intérêt.
Si tout le monde peut disposer des mêmes informations, l’avis d’expert pourra le cas échéant être discuté sur les bases scientifiques. La communauté scientifique pourra en plus disposer de la montagne d’informations que constituent les données brutes des essais cliniques.
La mise à disposition des données de base (raw data) était la première préconisation du groupe des assises. Totalement passée sous silence. Depuis 1997, l’EMA se penche sur le problème de la transparence des données. Le 22 novembre prochain, un court workshop est organisé pour en discuter. Y participeront, le médiateur européen qui a plusieurs cas de demandes non satisfaites de données brutes auprès de l’EMA, Ben Goldacre qui vient d’écrire un livre (Bad Pharma), insistant sur les données non publiées (publication bias) et le besoin de mise à disposition du public des données brutes, et Peter Gøtzsche (Cochrane Collaboration) qui devrait décrire les difficultés à obtenir des données de l’EMA. (pour plus d’infos : http://www.ema.europa.eu/ema/index.jsp?curl=pages/news_and_events/events/2012/07/event_detail_000656.jsp&mid=WC0b01ac058004d5c3 .
Bien que de nombreux experts demandent les données brutes des essais (PLOS, Trials), les autorités de santé freinent des quatre fers sur le sujet. En fait ce refus constitue à mon avis le meilleur argument pour penser que la mise à disposition du public des données brutes est un point crucial !
Peut-être aussi que l’accès aux données brutes est refusé au public car ces données ne sont pas analysées au sein de l’EMA (comme le disait le Pr Lechat au cours des Assises).