Merci à Dominique pour cette synthèse éclairante sur le dévoiement du concept d’indicateurs.
Il est désormais bien connu qu’en effet assujettir la rémunération à des objectifs quantifiés n’est pas un moyen d’améliorer la Qualité professionnelle, et peut même conduire à la dégrader. Les raisons de cette inefficacité sont nombreuses et pour la plupart assez évidentes, les mécanismes qui conduisent à des effets adverses sont aisés à imaginer, et enfin les preuves sont accablantes depuis des décennies.
On trouve désormais dans la littérature spécialisée sur la qualitique (discipline qui étudie et développe la Qualité professionnelle) maintes mises en garde contre la gestion par « l’intéressement sur résultats », ce qui n’empêche nullement les préposés aux ressources humaines de continuer à la pratiquer allègrement, pour des raisons qu’il faut bien reconnaître très éloignées de la recherche de la Qualité. A ce propos, n’oublions jamais que la première des qualités que doit produire l’entreprise c’est la qualité de vie de ceux qui y travaillent, condition sine qua non de toutes les qualités subséquentes.
Néanmoins, ce serait jeter le bébé avec l’eau du bain que de se débarrasser de la démarche-Qualité en même temps que de l’intéressement sur résultats. Il est en effet possible de primer ceux qui travaillent bien sans se référer à des objectifs pervers. Il est pour cela nécessaire et suffisant de déterminer en commun des objectifs procéduraux : chacun doit éviter les pratiques non recommandées et mettre en œuvre les moyens permettant de réduire l’incidence des erreurs évitables. C’est à cela que se résume la démarche-Qualité, et ça n’a rien à voir avec des objectifs de résultats chiffrés. Autrement dit, tout bon professionnel est tenu à des objectifs de moyens et aucun ne peut être tenu pour responsable des résultats s’il s’est efforcé d’appliquer les standards recommandés.
C’est là qu’apparaît la notion d’indicateur. Contrairement à ce qu’une horrible confusion des mots (donc des esprits) laisse couramment accroire, un indicateur n’a rien de commun avec un objectif. Un indicateur est un instrument de mesure ; il est aussi neutre que peut l’être un thermomètre ou un compteur de vitesse. Les indicateurs sont indispensables pour permettre à chacun de piloter sa propre action. Leur vocation première est de renseigner le professionnel lui-même sur ce qu’il fait, non sa hiérarchie. Personne ne peut contrôler sa pratique et en maintenir la qualité s’il ne dispose pas des outils d’observation que sont des indicateurs bien choisis. Non seulement on ne fait pas ce qu’on sait faire, mais on ne fait pas même pas ce qu’on croit faire.
La première question est donc de choisir des indicateurs pertinents, mesurables et signifiants. Compte tenu de ce qui précède, la seule personne qualifiée pour ce choix est le professionnel lui-même. En outre, les mêmes indicateurs ne sont pas utiles à tous, ni utiles très durablement. Chacun doit déterminer quels sont pour lui les indicateurs les plus essentiels, compte tenu des difficultés propres qu’il rencontre. Néanmoins, ce choix d’indicateurs ne peut pas être exercé seul. Il doit être exercé dans le cadre d’une comparaison entre pairs, d’une analyse personnelle des difficultés inhérentes aux pratiques recommandées et d’un accompagnement par un conseiller en qualitique chevronné. Notre tendance naturelle est de privilégier les indicateurs qui nous arrangent et de rejeter ceux qui nous gênent : grâce au regard d’autrui, cette simple prise de conscience est souvent la solution du problème.
Les indicateurs doivent ensuite être « implémentés » dans l’exercice quotidien, c’est-à-dire rendus aisément utilisables et traçables.
Enfin, les indicateurs doivent être périodiquement analysés, et révisés.
Toute cette démarche est compliquée : elle doit, à l’évidence, être apprise et aidée. C’est l’objet même du développement professionnel continu, garant du maintien de la Qualité.
Le seul objectif qui vaille, c’est celui de s’engager de manière effective dans cette démarche, et c’est cet engagement qui doit être primé. Un médecin qui, avec l’aide de ses pairs et dans le cadre d’un encadrement méthodique, adopte des indicateurs et les utilise pour s’évaluer régulièrement doit être rémunéré pour cela – peut importe alors ce que ses mesures lui indiquent, car il en tiendra compte.
Un dernier mot sur les indicateurs : leurs mesures individuelles sont à usage personnel et elles n’ont pas à être communiquées à d’autres ; néanmoins leur partage au sein d’un groupe, sur la base du volontariat, est parfois d’un grand intérêt. En revanche, les données compilées et anonymisées des divers indicateurs sont d’une importance majeure pour les gestionnaires de la santé. Ce qui compte n’est évidemment pas qu’un individu donné prouve qu’il fait plus ou moins bien. Ce qui compte vraiment est que la moyenne des pratiques observées s’inscrive dans un standard le plus satisfaisant possible (c’est-à-dire avant tout le plus homogène). L’observation des indicateurs agglomérés et de leur évolution permet de voir où sont les difficultés réelles.
Ainsi devient-il possible d’agir à l’échelle (...)