Je te réponds que tu as une approche un peu simpliste des problématiques du système de santé et que tu es en train, non d’essayer de comprendre, mais de démontrer une théorie d’un point de vue corporatiste, celui de la médecine libérale.
La santé n’est pas un bien de consommation courante et le problème ne peut pas être réduit à la notion de « productivité ». Pour un bien de consommation courante le succès d’un produit peut se ramener à des notions uniquement quantitatives totalement résumées dans la comptabilité d’une société : ce qui mesure la viabilité économique d’un produit c’est son succès commercial c’est-à-dire arriver à vendre le plus d’unités possible le plus cher possible par rapport au coût de production pour dégager la plus grande marge possible. L’enjeu c’est donc de stimuler et de rencontrer les désirs du consommateur car le produit sera valorisé à hauteur de sa demande et de sa satisfaction.
Aucune de ces notions n’est pertinente dans la relation de soins qui ne peut pas se réduire à la « productivité » du médecin, ni à la satisfaction du patient. La santé est un droit, elle fait partie des droits de l’homme et elle peut faire l’objet de mesures objectives qui ne correspondent pas forcément, pas souvent, au degré de satisfaction du consommateur.
« Soigner » un patient nécessite toute la complexité d’une relation subjective établie sur des bases saines et toute la rigueur de l’EBM.
En France, le secteur libéral a d’abord été conçu pour démocratiser l’accès aux soins parce qu’on a envisagé les soins comme un équivalent de richesse financière à redistribuer.
Le problème c’est que la flèche a depuis longtemps dépassé la cible et qu’elle a abouti a une surconsommation de soins, la France se plaçant en deuxième position après les Etats Unis en 2013 pour le rapport dépenses de santé /PIB (17,7 et 11,9). Le problème c’est qu’il y a un tiers des actes qui sont considérés comme inutiles (même si il faudrait définir exactement ce qu’inutile veut dire) et que les français consultent plus que les pays voisins, que les consultations se terminent plus souvent par des prescriptions que dans ces pays et qu’elles comportent aussi plus de lignes et des médicaments plus chers. Et qui dit prescription inutiles dit aussi iatrogénie évitable et inutile.
On peut penser que c’est dû, en partie au moins, à la double casquette du médecin libéral : à la fois commerçant cherchant à optimiser ses revenus par son activité et soignant. Cela favorise le clientélisme et je crois que personne ne peut le nier. Donc les critères quantitatifs de productivité ne sont pas suffisants pour évaluer l’activité de soins et l’amélioration de la santé qu’elle procure à une population. Si on y regarde de plus près on se rendra compte que l’introduction d’un facteur marchand, dans les échanges, est toujours inflationniste.
En France, près de 90% de l’activité des cliniques privées est financée par la sécurité sociale et environ les 2/3 (13,7 /20,5 Mds) des honoraires des médecins libéraux dont 2,7 mds correspondent à des dépassements d’honoraires.
Pour être juste et réaliste il faut aussi tenir compte de l’ambivalence, très grande, de l’Etat, qui n’arrive pas à décider, sous la pression de divers lobbies, si la santé est un droit à préserver ou si le système de santé doit d’abord servir à booster l’économie et rétribuer certains acteurs, assurances et industriels, du secteur. L’Etat joue le premier rôle dans l’évolution du système de santé.
Du côté de l’exercice de la médecine tandis que la médecine libérale peut inciter à voir le patient comme un filon à exploiter plutôt que comme une personne à soigner, le salariat n’est pas parfait, parce que il peut y avoir un défaut d’incitation. Dans les deux cas les choses se décident dans l’intimité de la subjectivité du médecin et de son état d’esprit général. Mais le mode de rémunération est un facteur qui peut faire basculer les choses dans un sens ou dans l’autre. Le salarié, en tous cas, n’est pas placé d’emblée dans une situation d’ambivalence. Et s’il est bien formé et qu’il a choisi ce métier par intérêt pour son travail et esprit de service le salariat lui donne le loisir de ne se préoccuper que du patient. Je renvoie vers mes classiques : the cost conundrum http://www.newyorker.com/magazine/2009/06/01/the-cost-conundrum l’enquête d’un médecin américain qui cherche à comprendre l’explosion des coûts de la santé aux Etats Unis. Il y explique à quel point l’obsession des gains peut être un facteur d’explosion des coûts avec des effets délétères de iatrogénie et de soins inappropriés pour le patient. En revanche, à la Mayo Clinic à Rochester, considérée comme l’une des meilleures cliniques des Etats Unis, les médecins sont salariés, les coûts sont contrôlés, la iatrogénie est minimisée.
Je termine sur la citation de cet article qui explique bien ce qu’il veut dire même si c’est un cas particulier, : « I talked to Denis Cortese, the C.E.O. of the Mayo Clinic, which is among the highest-quality, lowest-cost health-care systems in the country. A couple of years ago, I spent several days there as a visiting surgeon. Among the things that stand out from that visit (...)