Les professeurs de pharmacologie (clinique) ne sont pas empêtrés dans leur académisme ou dans la défense de je ne sais quelle "position sociale" (concept éculé me semble-t-il). Nous sommes, comme tout médecin, préoccupés de comprendre l’origine des sources de variabilité de la réponse aux médicaments. Et le cas du générique du lévothyrox soulève en la matière plusieurs problèmes. Il faut répéter qu’il était fondé de chercher à « stabiliser » le médicament princeps par la mise à disposition d’un générique et que ce générique répond parfaitement aux critères réglementaires de bioéquivalence d’un générique pour un médicament à index thérapeutique étroit.
Le premier problème soulevé est commun à toutes les études de bioéquivalence : elles ne donnent quasiment aucune indication sur les variabilités intra-individuelles entre princeps et générique. Lorsqu’on compare les valeurs d’un paramètre obtenu ou mesuré par deux méthodes distinctes, il est recommandé de présenter un graphique proposé par Bland et Altman en 1986 (https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/2868172) décrivant les différences des valeurs individuelles observées avec les deux méthodes. On aimerait voir un tel graphique avec les aires sous la courbe et les concentrations maximales de thyroxine dans l’étude de bioéquivalence du Levothyrox comme dans toute étude de bioéquivalence. Cela permet de voir les variations existant chez les sujets et donc celles qui sont les plus extrêmes. Il est étonnant que les autorités réglementaires n’exigent pas que soient fournies ces données pour les études de génériques, notamment pour les médicaments à index thérapeutique étroit.
Le second problème, comme le souligne Dominique, tient au fait qu’on ne demande pas de données de pharmacodynamie pour mettre un générique sur le marché mais seulement un profil cinétique (et une qualité pharmaceutique). On prescrit d’abord pour avoir un effet, pas pour atteindre une concentration. Même si le postulat d’une relation entre effet et concentration est robuste, dans le mot « effet », il y a deux éléments : l’effet pharmacodynamique lié au principe actif, en règle bien corrélé à la concentration, mais aussi l’effet ou les effets « annexes » qui peuvent notamment être liés aux excipients à effet notoires. Il est étonnant que les autorités réglementaires n’exigent pas que soient fournies des données de pharmacodynamie pour les études de génériques, notamment pour les médicaments à index thérapeutique étroit.
Un autre problème, dans le cas particulier de la thyroxine, tient au fait que les études de bioéquivalence étant réalisées chez des volontaires sains, leurs résultats ne sont pas nécessairement extrapolables aux patients. La pharmacocinétique de la thyroxine étant influencée par le niveau de la thyroxine, on aimerait avoir au moins quelques données de bioéquivalence chez des patients. Dans un domaine si sensible, il serait légitime de disposer d’une étude (en double aveugle cette fois) du générique chez des patients volontaires et bien suivis avant de généraliser la mise à disposition du générique.
Pour le cas qui nous intéresse ici, ce qui est le plus gênant, c’est qu’on n’a pas ces informations. Les intolérances rapportées par les patients peuvent être liées à une variabilité individuelle des concentrations de thyroxine (que le graphique de Bland et Altman permettrait de suspecter), à l’intolérance à un excipient, à un effet nocebo … ou à plusieurs de ces facteurs combinés. Le centre régionale de pharmacovigilance de la Pitié-Salpêtrière a reçu un grand nombre de notifications d’effets indésirables avec le générique du Lévothyrox. Les symptômes décrits ne sont pas toujours compatibles avec une dysthyroïdie et il est impossible de déterminer s’ils sont dus à un effet nocebo ou à un effet autre. L’effet nocebo existe bien mais il est trop facile de le considérer comme la première hypothèse face à un patient qui manifeste une plainte. Les médecins, qu’ils soient professeurs ou non, savent ou devraient se souvenir qu’il faut écouter les (...)