Bonjour à toutes et à tous,
J’ai appris récemment, il y a un mois à peine, que je fais dorénavant partie de la communauté des "vitiléguéens", un terme que l’on pourrait rajouter au dictionnaire.
Je n’ai aucune question particulière à poser, juste l’envie de partager.
Je suis sous les tropiques, en Amazonie plus précisément, depuis bientôt une année. Je ne me suis pas protégée du soleil jusqu’à l’annonce. Avec ma peau de blonde, j’ai évidemment pris quelques coups de soleil, sans toutefois m’exposer inutilement. Sous les tropiques, on cherche l’ombre plutôt que la lumière. Toutefois, comme j’ai vécu auprès des Indiens, j’ai régulièrement travaillé aux champs avec eux, transpirant sous leur soleil de plomb, ce que j’aime plus que tout au monde.
Si j’ose croire les hypothèses émises par la biomédecine, la surexposition au soleil (de surcroît sans protection) peut être un facteur déclencheur voire accélérateur de la maladie. Je vis par ailleurs un grand désarroi sentimental depuis deux ans, une histoire de couple destructrice dont je n’arrive pas à me séparer, si ce n’est par le biais de la distance géographique que je nous ai imposé, lui se trouvant en Suisse, moi ici, en Amazonie. Le stress psycho-affectif est une autre hypothèse émise par la biomédecine.
Travaillant dans le champ de l’anthropologie médicale, et menant actuellement une recherche sur le système thérapeutique autochtone, je me suis évidemment intéressée aux interprétations de la maladie par les autochtones. Aucun consensus en la matière. La maladie ne leur était pas inconnue : tous connaissait quelqu’un qui avait ces mystérieuses taches blanches sur le corps. J’ai alors réalisé à quel point elle était répandue, alors même que, jusqu’à en être victime moi-même, je n’avais jamais vu de personnes qui en étaient atteintes (très certainement que je l’ai vu sans y prêter attention, ce qui est déjà une bonne nouvelle pour nous, vitiliguéens).
Quant à l’origine et aux éventuels traitements, les réponses étaient diverses : cela allait de l’ensorcellement (d’autant plus que j’ai fait des rêves qui l’indiquent, d’après mes amis indiens) à une maladie bégnine qui pouvait être traitées par les plantes, en passant par une maladie incurable.
Tiraillée entre deux systèmes de soins, diverses interprétations de la maladie et différentes alternatives quant au traitement, j’ai du faire mon petit bout de chemin. Cela a été d’autant plus pénible que l’annonce a été très mal faite.
Vous connaissez la chanson : une froideur typiquement médicale, un manque de tact à en couper le souffle (du type : c’est le vitiligo, c’est incurable, ma tante l’a et elle est en dépression), ce qui provoque chez le patient une angoisse et un sentiment d’abandon, une fois la porte du cabinet refermée, presque insurmontable.
Le chemin, je l’ai fait, et continue à le faire, seule, avec l’aide précieuse de mes proches et de mes amis indiens. J’ai abandonné l’idée d’un quelconque soutien médical, entendu au sens psychologique du terme, car cela ne m’est jamais arrivé de tomber sur un médecin qui fait preuve de qualités humaines pourtant aussi élémentaires dans leur métier que le bois pour un charpentier. Je n’attends pas plus de leur part que ce qu’ils savent donner : un appui technique.
Mes taches sont petites, elles ne grandissent pas vite pour le moment. Elles sont, à mon goût, bien situées, dans la mesure où je n’en ai aucune sur le visage, ni le cou, ni le torse.
Pour pouvoir aborder la maladie de façon plutôt positive, j’ai dû prendre du temps, accepter d’être d’abord démolie pour ensuite me relever, enfin progressivement l’apprivoiser.
J’ai d’abord vécu l’angoisse. Des semaines a regarder
mon corps sous toutes ses coutures, à déceler ou
suspecter la maladie sur l’ensemble de mon corps, en
particulier sur les zones les plus redoutées, le visage et
le torse. Des semaines à ne plus trouver le sommeil,
d’autant plus que la maladie réveillait mes sources de
stress enfouis.
Puis la tristesse, une tristesse
accablante. C’est lorsque je commençais à accepter mon
sort. Moi, la princesse que j’ai toujours été et je crois continuerai
à être, se voyait souillée, salie. Mon corps, que j’aimais et j’aime encore tant, m’étant toujours considérée comme chanceuse de ce point de vue, s’auto-détruisait. J’ai toujours aimé le vieillissement, les rides, les veines et les différentes marques du temps, par contre l’idée de finir en patchwork me rendait terriblement triste. Les
Indiens me le disaient : "lorsque tu reviendras, peut-être
seras tu une nouvelle personne." C’était ce que je
redoutais : la transformation, la métamorphose que la
maladie peut opérer.
Puis la tentative de redressement.
Elle est apparue il y a quelques jours. J’ai collé partout
dans ma chambre des phrases pour accepter, relativiser et
avoir confiance : "Tout ce à quoi l’on résiste persiste,
mais si on l’accepte devient précepte. Ce qu’on visualise
avec foi se réalise. Ce à quoi l’on croit fermement
s’accroît." J’ai fait, et continue à faire ce travail, croyant fermement à la puissance de l’esprit dans la résolution des différents maux.
Enfin, la phase actuelle, la fatigue. Lasse, (...)