Salut les enfants...
Je ne peux pas raconter Igor, le vrai.
Je pourrai raconter Igor, un autre, un Igor inventé...
et moi seul saurait
de qui... à quoi... comment...
le faux... le vrai...
le qui dedans...
Non ?
Parce que le vrai, le mien, d’Igor,
il est vraiment plombier...
Il est Russe.
Un jour dans la voiture, il me déclare sérieusement :
"Peut-être qu'il faudrait que je suis gay, peut-être, je suis plus heureux... » Il me fixe d’un grand œil noir, avant d’ajouter : « Enfin, non. Peut être pas PLUS heureux, mais je ferai l'amour plus souvent. » Cette réflexion ânonné en Anglais, bien sûr, avec un fort accent russe. Il regarde mon air ébahi et il rit.
Je maintiens que pour parler russe, il faut penser : « La situation est terrible, mais le pire va encore arriver, on n’y peut rien, et pour faire mal, en plus, parfois il y a l’ennui. » On obtient alors la bonne inflexion.
Afin de capturer l’expression du visage, il faudrait ouvrir de grands yeux sérieux, sans laisser vaciller l’expression d’un bout à l’autre de la phrase…
Mais ça me gène. Quand on écrit sur quelqu’un, c’est souvent au passé, d’une aventure finie, or j’ose espérer que jamais Igor et moi ne deviendrons des étrangers. Pour les mauvaises langues, je ne dis pas cela parce qu’il est plombier.
De plus, si je parle d’Igor et de nos brèves aventures, je ne veux surtout pas que vous imaginiez qu'il y eu jamais plus, entre Igor et moi, que des conversations d’hommes. Des conversations le plus souvent d’ordre pratique, car Igor apparaissait comme un sauveur dans la pauvre épave d’une chaudière asthmatique et d’un chauffage central dépressif, où m’avait laissé un constructeur véreux, qui venait de disparaître en emportant la moitié de la solde des ouvriers... Nous parlions donc plomberie et budget.
Igor avait rapidement déduit ma sexualité. Il y a des choses que l’on ne peut cacher, ni aux marins, ni à son plombier. Il y a une certaine forme de clairvoyance que l’on retrouve chez tous les marins long court. Ayant fait ses armes en tant d’ingénieur de bord dans la marine marchande russe, il n’avait jamais eu un seul doute à mon sujet et après avoir vu les plans de ma salle de douche, Igor savait qu’il n’y avait pas d’homme dans ma vie à ce moment là.
Un chauffage central, c’est particulier. Surtout quand ça a 50 ans, que l’ordre des radiateurs n’a parfois ni queue ni tête… et que cela vient d’être malmené par un saligaud de la pire espèce. Il s’agissait de toute façon de soulever le plancher pour refaire tout le circuit, mais de garder les radiateurs. Et puis, il y avait la salle de douche et toute la plomberie de la cuisine, il y en avait donc pour du boulot. D’ailleurs tous les mots de plomberie que je connais sont en Anglais avec un accent russe. Il y a des choses comme cela qui n’ont pas de prix.
Igor figurera deux mois dans ma vie de façon intense ; Nos rapports sont maintenant beaucoup plus erratiques, au détour d’une fuite… Il m’envoie ses vœux à Noël, et je lui ai parlé au téléphone, mais ce n’est plus un quotidien de cafés matinaux.
Igor me donnait aussi des conseils sur l’ordre d’œuvre des deux jeunes Croates, Jorg masson et Lulah journalier, qui travaillaient maintenant directement sous mes ordres. Nous allions souvent faire les courses ensemble, car j’avais entre-temps appris la méfiance.
Au court de cette intimité, deux ou trois fois, il m’a parlé de sa femme.
Elle était ukrainienne et avait déserté le nid conjugal sibérien, délesté les mois d'absence et le salaire erratique pour suivre les migrations d’un suisse de passage, préférant visiblement la graisse d'oie au beurre d'Elan...
Elle avait choisi la chaleur du feu de bois et le coucou régulier.
La sécurité et le confort.
Après tout, elle avait 37 ans, une petite fille de sept ans, de l’ambition et il ne lui avait pas été donné de lire le contrat avant de signer l’acte de mariage. Elle avait fait ses valises et elle était partie. Je me mettais un peu à sa place ; J’ai la triste habilité de savoir le faire pour tout le monde, sans discrimination, mais je n’en disais rien à Igor. Forcément.
Igor, libéré malgré lui, grâce à l’ouverture des frontières, avait débarqué à Londres bientôt deux ans auparavant et passait beaucoup de temps au travail, pour compenser le manque de femme dans sa vie.
C’est ainsi que mon appartement devint un peu son projet, sa succursale, parfois même sa crèche…
C’est comme ça que je voudrais parler d’Igor…
Il n’y a pas d’histoire…
Vous êtes prévenus…
Et rapport très lointain avec la cigarette… Igor fumait comme un sapeur