LE MONDE du 14 novembre 2004
Une enquête de la revue médicale "The Lancet".
Au nom des impératifs sanitaires, les plus prestigieuses revues médicales et scientifiques internationales ne redoutent plus de se lancer dans le journalisme "d'investigation". C'est ainsi qu'après avoir publié, à la veille de l'échéance présidentielle américaine, une étude épidémiologique fort dérangeante pour le gouvernement Bush sur la situation sanitaire irakienne, les responsables éditoriaux de l'hebdomadaire médical britannique The Lancet attaquent la multinationale américaine Philip Morris.Selon une publication scientifique mise en ligne jeudi 11 novembre sur le site de cette revue, cette firme aurait, depuis plus de vingt ans, sciemment masqué les informations expérimentales dont elle disposait alors qu'elle affirmait publiquement tout ignorer des éventuelles conséquences sur la santé du tabagisme passif.
Les auteurs de la publication diffusée, après relecture par des experts indépendants, sur le site de l'hebdomadaire détaillent la somme des preuves qui, selon eux, permet d'affirmer que les dirigeants de Philip Morris disposaient dès 1982 de certitudes chiffrées sur les risques potentiels du tabagisme passif. Ils rendent publique une série de documents établissant que cette multinationale américaine avait, à cette époque, pris la décision de lancer des expériences sur des rats dans le but d'établir que, comme on commençait à le redouter, l'inhalation des fumées de cigarettes par des non-fumeurs à proximité immédiate de consommateurs de tabac pouvait véritablement constituer un risque sanitaire.
Philip Morris avait soumis des rats de laboratoire à des atmosphères fortement enfumées et ces expériences auraient, dès 1982, conclu que le tabagisme passif était de nature, chez ces mammifères, à induire des lésions des muqueuses nasales, au minimum similaires à celles observées chez des rongeurs inhalant directement la fumée du tabac.
Deux chercheurs suisses, Pascal A. Diethelm et Jean-Charles Rielle (Carrefour Prevention, Genève), ainsi que le professeur britannique Martin McKee (London School of Hygiene and Tropical Medicine de Londres) révèlent notamment que les expériences commandées par Philip Morris avaient été menées en Allemagne par un laboratoire de Cologne dénommé Inbifo, acquis par la multinationale américaine avec des précautions permettant de masquer les liens entre les deux structures.
Après avoir conduit ces tests sur la dangerosité du tabagisme passif, le laboratoire allemand avait averti la compagnie des résultats. Mais alors qu'ils disposaient d'informations scientifiques indiscutables sur les dangers majeurs inhérents au tabagisme passif, les responsables de Philip Morris les auraient gardées secrètes pendant plus de vingt ans. Au saint des saints de la multinationale en effet, seuls quelques hauts dirigeants auraient été pleinement informés, si l'on en croit les signataires de la publication du Lancet, qui assurent fonder leurs écrits sur quelques "millions de pages" de documents internes fournis par les cigarettiers américains dans le cadre d'actions en justice conduites aux Etats-Unis.
"Ces documents internes démontrent que Philip Morris, contrairement à ses déclarations publiques actuelles, était averti des risques du tabagisme passif dès le début des années 1980 et a décidé ne pas le publier", accusent les signataires de la publication du Lancet.
Philippe 1 an depuis le 27 août |
| Je ne suis ni pour, ni contre bien au contraire. (Eve Angeli) |