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"Affaire Perruche : du préjudice à exister"

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D_Dupagne (14037 messages) Envoyer message email à: D_Dupagne Envoyer message privé à: D_Dupagne Voir profil de ce membre Voir addresse IP de cet auteur
01-12-01, 09:07  (GMT)
"Affaire Perruche : du préjudice à exister"
Dans l'affaire Perruche, qui conduit à reconnaître que le fait d'exister avec un handicap peut constituer un préjudice indemnisable, il est difficile de se faire une opinion sans avoir lu des textes essentiels :

Le rapport Sargos (novembre 2000)http://www.courdecassation.fr/agenda/arrets/arrets/99-13701rap.htm

Les conclusions Sainte Rose (arrêt du 28 novembre 2001)
http://www.courdecassation.fr/agenda/arrets/arrets/00-11197acc.htm

Le débat est d'une telle complexité que les réactions à l'emporte pièce sont souvent à côté du sujet.


--
Dr Dominique Dupagne

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  Sujet     Auteur     Posté le:     ID  
 RE: Affaire Perruche : Le rapport Sargos D_Dupagne 01-12-01 1
   RE: Affaire Perruche : Le rapport Sargos D_Dupagne 01-12-01 3
   RE: Affaire Perruche : Le conseiller Sargos veut rassurer les médecins D_Dupagne 01-12-01 4
 RE: Affaire Perruche : l'arrêt Sainte-Rose D_Dupagne 01-12-01 2

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D_Dupagne (14037 messages) Envoyer message email à: D_Dupagne Envoyer message privé à: D_Dupagne Voir profil de ce membre Voir addresse IP de cet auteur
01-12-01, 09:09  (GMT)
1. "RE: Affaire Perruche : Le rapport Sargos"
POURVOI N° 9913701

Cour de cassation
Assemblée plénière

Arrêt du 17 novembre 2000

Rapport de M Pierre SARGOS
Conseiller à la Cour de cassation

I . SUR LES FAITS ET LA PROCÉDURE

1. 17 avril 1982 : M. X..., qui est le médecin de famille des époux P..., constate que la fille du couple, alors âgée de quatre ans, présente une éruption cutanée évoquant la rubéole.

2. 10 mai 1982 : le même praticien constate que Mme P..., alors âgée de 26 ans, présente à son tour une éruption identique à celle de sa fille, associée à une fébrilité et à des adénopathies, qui sont le signe de la rubéole .

Or si la rubéole, maladie infectieuse virale, est généralement sans conséquences graves chez l'enfant et chez l'adulte, il en est autrement lorsqu'elle atteint une femme enceinte non immunisée . Un ouvrage qui fait autorité en la matière, le "Dictionnaire des maladies infectieuses" de Didier Raoult ( Edition Elsevier , 1998) précise ainsi que "lorsque l'infection maternelle a lieu avant la 11° semaine d'aménorrhée, le risque d'infection foetale est très élevé (environ 90 %)". Et cette infection a pour le foetus des conséquences d'une exceptionnelle gravité, connues sous le nom de syndrome de Gregg, à savoir, des lésions auditives (surdité), oculaires (allant jusqu' à la cécité), cardiaques et mentales. Ce risque majeur de naissance d'une enfant aveugle, sourd-muet et mentalement atteint a d'ailleurs conduit le ministère français de la santé à imposer en 1978 le diagnostic sérologique de la rubéole lors de l'examen prénuptial des femmes de moins de cinquante ans.

Lorsque l'atteinte rubéolique a été constatée chez Mme P..., elle pensait être enceinte. Le docteur X..., conformément aux exigences des données acquises de la science en la matière, a prescrit un séro-diagnostic de la rubéole que sa patiente a fait réaliser par un laboratoire de biologie médicale (aux droits duquel est maintenant M. K... ).

3. 12 mai 1982 :Un premier prélèvement est fait. Il se révèle négatif .

4. 27 mai 1982 : Un second prélèvement est réalisé par le même laboratoire. Il se révèle positif avec une présence d'anticorps au taux de 1/160.

A cette même date la grossesse de Mme P... est confirmée.

5. Eu égard à ces résultats contradictoires des deux prélèvements le laboratoire a procédé - comme le prévoit la réglementation - à une analyse de contrôle d'un échantillon conservé du premier prélèvement du 12 mai.

Le résultat de cette analyse de contrôle - communiqué au docteur X...par Mme P...- fût présenté comme étant positif avec un taux d'anticorps de 1/160.

6. Or - et ce point ne fait l'objet d'aucune contestation - les conséquences du fait que les résultats des deux prélèvements soient ou non différents sont capitales :

* si le premier prélèvement du 12 mai était bien négatif et le second du 27 mai positif, il en résultait que Mme P... présentait une rubéole en cours avec le risque majeur d'atteinte du foetus.

** si, par contre, les deux prélèvements étaient positifs, il s'agissait de simples traces d'une rubéole ancienne insusceptible d'affecter l'enfant à naître.

7. 14 janvier 1983 : Mme P... met au monde un garçon, prénommé Nicolas, qui a présenté la quasi totalité des manifestations du syndrome de Gregg : troubles neurologiques graves, surdité bilatérale, rétinopathie (oeil droit ne voyant pas et glaucome ), et cardiopathie, impliquant en permanence l'assistance d'une tierce personne . Il n'est pas contesté que l'état de l'enfant est consécutif à la rubéole congénitale contractée pendant la vie intra-utérine.

8. Après avoir obtenu en référé le 13 septembre 1988 la désignation d'un expert, dont le rapport a été déposé le 17 juillet 1989, Mme P... et son mari ont assigné au fond le docteur X...et son assureur, la mutuelle d'assurance du corps sanitaire français (MACSF) ainsi que le laboratoire de biologie médicale, et son assureur, la mutuelle des pharmaciens (MDP).

9 . Par jugement du 13 janvier 1992 le tribunal de grande instance d 'Evry, se fondant sur divers éléments qu'il est inutile de discuter dés lors qu'ils ne sont plus en question devant la cour de cassation, a retenu que le docteur X...et le laboratoire avaient commis une faute en ce qui concerne l'analyse de contrôle du premier prélèvement du 12 mai 1982, qui était en réalité négative alors qu'elle avait été présentée comme positive.

Cette juridiction a donc déclaré le praticien et le laboratoire "responsables de l'état de santé de Nicolas P..." et les a condamnés in solidum avec leur assureur respectif à payer une provision de 500 000 francs à valoir sur son préjudice corporel et 1.851.128 F à la CPAM de l'Yonne au titre des prestations versées. Elle a sursis à statuer jusqu'au résultat d'une expertise en ce qui concerne le préjudice de Mme P...

10. Le docteur X... a interjeté appel de ce jugement en soutenant que le laboratoire était le seul responsable de l'erreur, tandis que ce dernier ne contestait pas sa faute, se bornant à critiquer le seul partage de responsabilité .

Par son arrêt du 17 décembre 1993 la cour d'appel de Paris (1ère chambre, section B) a retenu que le médecin avait commis une faute "dans l'exécution de son obligation contractuelle de moyens" et qu'il devait en réparer les conséquences dommageables pour Mme P... dès lors "qu'elle lui avait fait connaître sa volonté et celle de son mari d'interrompre la grossesse en cas de rubéole" . L'arrêt a donc confirmé le jugement "en ce qu'il a déclaré responsable in solidum le laboratoire de biologie médicale et le docteur X... , ainsi que leurs assureurs respectifs ... des conséquences dommageables causées par leurs fautes respectives" . Ce chef du dispositif de l'arrêt du 17 décembre 1993 est irrévocablement passé en force de chose jugée .

Mais la cour d'appel a réformé pour le surplus et dit "que le préjudice de l'enfant Nicolas P... n'est pas en relation de causalité avec les fautes commises" et que les sommes versées en exécution du jugement devraient être remboursées. Au soutien de ces chefs de sa décision la cour d'appel a énoncé en substance que :

- le fait pour l'enfant de devoir supporter les conséquences de la rubéole faute pour la mère d'avoir décidé une interruption de grossesse ne peut, à lui seul, constituer pour l'enfant un préjudice réparable.

- les séquelles dont est atteint Nicolas P... ont pour seule cause la rubéole que lui a transmise in utero sa mère .... cette infection au caractère irréversible est inhérente à la personne de l 'enfant et ne résulte pas des fautes commises ...

11 . Contre cet arrêt les époux P... ont formé un premier pourvoi en cassation. Leur premier moyen (repris par le pourvoi de la CPAM de l'Yonne) reprochait à la cour d'appel d'avoir ainsi exclu tout lien de causalité entre le préjudice de leur enfant et les fautes "alors que, dés lors qu'il résulte des constatations de l'arrêt que, alors que les parents avaient marqué leur volonté en cas de rubéole de recourir à un avortement, la faute de diagnostic du médecin et d'analyse du laboratoire avait faussement induit les parents dans la croyance que la mère était immunisée contre la rubéole, il en résultait qu'il existait un lien de causalité entre les fautes du médecin et du laboratoire et la perte d'une chance pour l'enfant d'éviter de supporter les conséquences de la rubéole contractée par la même en début de grossesse , si bien que la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard de l'article 1147 du code civil".

Par arrêt du 26 mars 1996 (civ I bull n°156 p 109) la première chambre civile a accueilli ce moyen et prononcé une cassation dans les termes suivants "Attendu qu'en statuant ainsi (cf les motifs résumés au n° 11), alors qu'il était constaté que les parents avaient marqué leur volonté, en cas de rubéole, de provoquer une interruption de grossesse et que les fautes commises les avaient faussement induits dans la croyance que la mère était immunisée, en sorte que ces fautes étaient génératrices du dommage subi par l'enfant du fait de la rubéole de sa mère, la cour d'appel a violé le textes susvisé "

La cassation prononcée est expressément limitée à la seule question du lien de causalité entre les fautes commises et le préjudice de l'enfant et au remboursement des provisions allouées par le TGI d'Evry.

12. Statuant comme cour de renvoi, la Cour d'Orléans, par arrêt du 5 février 1999 a, dans son dispositif "dit que l'enfant Nicolas P... ne subit pas de préjudice indemnisable en relation de causalité avec les fautes commises par le laboratoire de biologie médicale et le docteur X..." et ordonné le remboursement des sommes allouées par le TGI d'Evry. Il s'agit donc d'un arrêt de "rébellion" sur la motivation duquel on reviendra dans la seconde partie de ce rapport.

13 . Contre cet arrêt, signifié à partie le 22 février 1999, les époux P... ont formé un pourvoi en cassation le 14 avril 1999 par le ministère de M° Choucroy, qui a déposé un mémoire ampliatif le 15 juin 1999, signifié aux autres parties le 29 juin.

Le 29 septembre1999 la CPAM de l'Yonne a déposé un mémoire en défense et formé un pourvoi incident (M° Gatineau) en demandant une somme de 19 000 francs au titre de l'article 700 du NCPC. Le même jour M. X...et la MACSF ont déposé un mémoire en défense (M° Le Prado); il en a été de même de la mutuelle des pharmaciens et de M. K..., venant aux droits du laboratoire (SCP Piwnica et Molinié).

II. SUR LES MOYENS DES POURVOIS

14. Comme on l'a indiqué il y a contre l'arrêt attaqué deux pourvois : le pourvoi principal des époux P... et le pourvoi incident de la CPAM de l' Yonne.

Chacun de ces pourvois comporte trois moyens.

Mais seuls le deuxième moyen du pourvoi principal, en sa première branche, et le deuxième moyen du pourvoi incident, concernent la question du préjudice personnel de l'enfant handicapé lorsque son handicap a été contracté in utero ou, situation voisine, est inhérent à son patrimoine génétique. Il s'agit de ce que nous proposons d'appeler le handicap d'origine endogène.

Or c'est cette unique question qui a été l'objet de l'arrêt de "rébellion" de la cour d'Orléans et qui motive le renvoi devant l'Assemblée plénière.

Dés lors, dans le souci d'aller immédiatement à l'essentiel on abordera en premier lieu cette question, l 'examen des autres griefs étant renvoyé in fine.

II. 1 Sur la question du préjudice de l'enfant dont le handicap est d'origine endogène

15. Pour estimer ce préjudice non établi la cour d'appel d'Orléans, après avoir constaté, comme celle de Paris, que Mme P... avait "clairement manifesté la volonté, en cas d'atteinte rubéolique , de procéder à une interruption volontaire de grossesse" et que les fautes commises ne lui avaient pas permis d'y recourir, a énoncé que :

- ... dés lors que le dommage peut avoir une autre cause que la faute constatée, cette faute ne peut être censée constituer la condition sine qua non de la perte de chance ( il s'agit de la perte de chance d'éviter les conséquences de la rubéole contractée par la mère en début de grossesse, mais on notera que la Cour de cassation dans on arrêt du 26 mars 1996 ne s'était pas fondée sur le concept de perte de chance pour prononcer une cassation) ;

- il est constant que les praticiens sont étrangers à la transmission à la mère de la rubéole; ils ne sont intervenus qu' après le début de la grossesse, de sorte que ne pouvait plus être évitée la conception de l'enfant ;

- une thérapeutique quelconque pratiquée en début de grossesse n'aurait pu supprimer, voire limiter les effets de la rubéole sur le foetus ;

- Nicolas , qui n'avait aucune chance de venir au monde normal ou avec un handicap moindre , ne pouvait que naître avec les conséquences douloureuses imputables à la rubéole à laquelle la faute des praticiens est étrangère , ou disparaître à la suite d'une interruption volontaire de grossesse dont la décision n'appartient qu'à ses parents et qui ne constitue pas pour lui un droit dont il puisse se prévaloir ;

- que la seule conséquence en lien avec la faute des praticiens est la naissance de l'enfant ;

- que si un être humain est titulaire de droits dés sa conception , il n'en possède pas pour autant celui de naître ou de ne pas naître, de vivre ou de ne pas vivre ; qu'ainsi sa naissance ou la suppression de sa vie, ne peut pas être considérée comme une chance ou comme une malchance dont il peut tirer des conséquences juridiques ;

- que dés lors , Nicolas P... représenté par son père, ne peut pas invoquer à l'encontre des praticiens , comme source de dommage, le fait d'être né parce que, à raison de leurs fautes conjuguées, ils n'ont pas donné à ses parents les éléments d'appréciations suffisants pour leur permettre d'interrompre le processus vital qui devait aboutir à la naissance .

16.A l'encontre de cette motivation la première branche du deuxième moyen du pourvoi principal objecte "qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt attaqué que la mère de l'enfant avait clairement exprimé sa volonté, en cas d'atteinte rubéolique, de procéder à une interruption volontaire de grossesse et que les fautes conjuguées des praticiens ne lui ont pas permis de recourir à cette solution ; qu'il s'ensuit que ces fautes étaient génératrices du dommage subi par l'enfant du fait de la rubéole de sa mère; qu'en écartant le lien de causalité entre les fautes constatées et le dommage subi par l'enfant du fait de la rubéole de la mère , l'arrêt attaqué a violé l'article 1147 du code civil "

Et le deuxième moyen du pourvoi incident de la CPAM de l'Yonne s'exprime ainsi : "Il résulte des propres énonciations des juges du fond que Madame P... avait manifesté la volonté de provoquer une interruption de grossesse en cas de rubéole; que les fautes conjuguées des praticiens ont induit la fausse certitude que Mme P... était immunisée contre la rubéole et qu'elle pouvait poursuivre sa grossesse sans aucun risque pour l'enfant; qu'en conséquences ses fautes étaient génératrices du dommage subi par l'enfant du fait de la rubéole de la mère; qu'en niant tout lien de causalité entre les fautes constatées et le dommage subi par l'enfant , l'arrêt a violé l'article 1147 du code civil".

On voit donc que, sous quelques variantes de forme , les deux griefs sont identiques de sorte qu'ils doivent faire l'objet d'une discussion commune.

17 .Cette discussion est d'une rare difficulté car, au delà de la problématique juridique du lien de causalité entre une faute et un dommage et des querelles théoriques, sinon scolastiques, le concernant, se pose la question ontologique de l'être humain et la question éthique de la dignité et du respect de la personne humaine. Le droit ne peut l'ignorer et la Cour de cassation, précurseur en la matière, ne l'ignore pas puisque, bien avant les lois bioéthiques de 1994, elle avait affirmé dans l'arrêt Teyssier (Req . 28 janvier 1942 , D.1942, recueil critique, jurisprudence, p 63 ), la valeur fondamentale du " respect de la personne humaine", fondement du devoir d'information du médecin .

18. C'est en effet, comme on le verra, essentiellement sur le principe du respect de la personne humaine que se focalisent les controverses sur le droit pour l'enfant de demander la réparation d'un handicap dont l'origine remonte à la vie intra- utérine et qui, pour être évité, suppose le recours à une interruption volontaire de grossesse. L'alternative est alors redoutable dans sa sécheresse : ne pas vivre, ou vivre avec un handicap majeur . Mais reconnaître un préjudice propre à l'enfant, n'est-ce pas implicitement admettre que la vie d'un handicapé ne vaut pas la vie "normale " puisqu'il faut l'indemniser et admettre aussi que la non vie est préférable à la vie handicapée ? On verra par la suite que cette inquiétude a été exprimée sous des formes diverses tant en France qu'à l'étranger .

19. Mais une réflexion en profondeur doit partir du début. Or ce début se trouve manifestement, car tout en procède , dans la loi n° 75-17 du 17 janvier 1975 relative à l'interruption volontaire de grossesse (II.1.1) ; puis nous aborderons la question de la responsabilité et du préjudice en matière d'I.V.G. (II.1.2 ), en insistant sur la problématique du lien de causalité (II.1.3), et, enfin, nous traiterons du principe du respect de la personne humaine au regard de la réparation du préjudice de l'enfant . (II.1.4) . Il va de soi que l'ensemble de l'étude sera en permanence éclairée non seulement par les décisions judiciaires, mais également par celles du juge constitutionnel et administratif, car en cette matière on ne saurait avoir un esprit de chapelle. Les hasards de l'histoire qui ont conduit aux répartitions de compétences que l'on connaît ne doivent pas empêcher les juges de tous les ordres de s'efforcer d'unifier leurs approches dans l'intérêt supérieur des personnes. Enfin, on évoquera aussi la façon dont des juridictions de pays étrangers ont abordé cette difficulté.

II.1.1. La législation sur l'interruption volontaire de grossesse

20 . On ne reviendra pas bien entendu sur l'adoption difficile, et pour beaucoup déchirante, de cette loi qui a marqué une évolution majeure de nos moeurs et de nos concepts de la personne humaine. Pourtant les cicatrices ne sont pas encore totalement refermées, comme en témoigne, par exemple, le rapport du professeur Israël Nisand du 19 mars 1999 sur les difficultés d'application de l'interruption volontaire de grossesse (cf pour un résumé la RDSS de juillet/septembre 1999 p 499).

Cette loi, après avoir, dans son article premier, affirmé que " la loi garantit le respect de tout être humain dès le commencement de la vie. Il ne saurait être porté atteinte à ce principe qu'en cas de nécessité et selon les conditions définies par la présente loi", prévoit deux cas d'interruption volontaire de grossesse :

- a ) L'interruption volontaire de la grossesse pratiquée avant la fin de la dixième semaine ( art L 162-1 à L 162-11 du C.S.P.)

La femme enceinte que son état place dans une situation de détresse peut demander à son médecin l'interruption de sa grossesse (art L 161-1 ). Elle doit observer une certaine procédure consistant en une première consultation médicale (art L 162-3), puis une consultation d'ordre social (art L 162-4 ), enfin ,une semaine après la première consultation , elle doit confirmer par écrit sa demande d'I.V.G. (art L 162-5).

- b ) L'interruption volontaire de la grossesse pratiquée pour des motifs thérapeutiques ( art L162-12 et L 162-13 du C.S.P.)

Elle peut être pratiquée à toute époque si deux médecins attestent, après examen et discussion, que la poursuite de la grossesse met en péril grave la santé de la femme ou qu'il existe une forte probabilité que l'enfant à naître soit atteint d'une affection d'une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic.

21.Il ressort de renseignements communiqués par la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques du ministère de l'emploi et de la solidarité que les IVG de la première catégorie représentent en écrasante majorité par rapport aux IVG de nature thérapeutique. Sur un nombre total d'I.V.G. qui, entre 1995 et 1998, oscille entre 193987 et 212103, le nombre d'I.V.G. décidées pour des raisons thérapeutiques est, respectivement, de de 2212 et 3026, soit 1,1 % et 1, 4 % .

Dans le cas de Mme P... sa demande d'I.V.G. aurait relevé de la première catégorie puisque, compte tenu des dates, si l'erreur n'avait pas été commise elle aurait été dans le délai de 10 semaines pour faire procéder à une interruption de sa grossesse. Cet élément n'a d'ailleurs fait l'objet d'aucune contestation devant les juges du fond qui tous ont reconnu que la possibilité d'une I.V.G. lui était ouverte. Et, à supposer même qu'elle ait dépassé ce délai de 10 semaines, elle aurait obtenu l'accord de deux médecins pour une I.V.G. thérapeutique compte tenu de l'exceptionnelle fréquence et gravité du risque (cf supra n° 2) et du fait qu'il n'existe aucun moyen curatif des conséquences de l'atteinte d'un foetus par la rubéole.

22 . Il nous parait utile d'ajouter quelques observations sur cette législation et les contestations dont elle a fait l'objet devant le juge constitutionnel et le juge administratif car les solutions données sont de nature à avoir une incidence sur les appréciations de l'Assemblée plénière dans le présent pourvoi .

Un certain nombre de parlementaires ont saisi le Conseil constitutionnel en faisant valoir que cette loi aurait été contraire à des engagements internationaux de la France et à des droits de l'homme .

Le Conseil constitutionnel s'est prononcé le 15 janvier 1975 (décision n° DC 74-54, qui a fait l'objet de nombreux commentaires tels ceux de MM Bey, Eissen, Favoreu et Philip, Franck, Hamon, Rideau, Rivero, Robert (Jacques ) Roujou de Boubee, Ruzic, Schwartzengerg). S'agissant des traités , le Conseil s'est déclaré incompétent. S'agissant des droits de l'homme, il a écarté les griefs en énonçant, en substance, d'une part, que la liberté des personnes appelées à recourir ou à participer à une IVG était respectée, d'autre part, que cette loi n'admettait qu'il soit porté atteinte au principe du respect de tout humain dés le commencement de la vie, rappelé dans son article 1er, qu'en cas de nécessité et selon les conditions et limitations qu'elle définit.

On attirera en particulier l'attention sur le concept de liberté de la personne qui recourt à l 'I.V.G., c'est-à-dire la femme elle-même, comme le constatait par exemple M.Bey au J.C.P. 1975, II, 18030, tout en regrettant qu'il ne soit tenu compte ni de la collectivité, ni du père .

23 .Or ce père est intervenu à l'occasion d 'un important arrêt d'assemblée du Conseil d'Etat, l'arrêt Lahache rendu aux conclusions particulièrement éclairantes de M. Genevois (CE 31 octobre 1980, rec p 403 ; D 1981 p 38 concl. Genevois ; J.C.P. 1982 II 19732 note f. Dekeuver-Desossez).

Un mari , dont l'épouse avait fait interrompre sa grossesse dans un hôpital public, soutenait que cet établissement de santé avait commis une faute car, selon lui, sa femme ne se trouvait pas dans une état de détresse légitimant le recours à une I.V.G. Le mari soutenait donc la thèse, défendue par certains, suivant laquelle il devait y avoir un contrôle de l'état de détresse invoqué par la mère. M Genevois, s'appuyant notamment sur une analyse rigoureuse des textes et des travaux préparatoires, a défendu fermement l'idée suivant laquelle "l'état de détresse mentionné dans la loi de 1975 est donc une notion purement subjective que la femme apprécie souverainement , sauf s'il s'agit d'une femme mineure non mariée . Les consultations organisées par la loi, qu'il s'agisse de celle d'un médecin exigée par l'article L 162-3 ou de celle d'un organisme à vocation sociale, qui est prévue par l'article L 162-4 , sont destinées à éclairer la femme sur la portée de son choix mais non à substituer sa décision à celle d'un tiers". Et dans son arrêt le Conseil d'Etat a clairement décidé qu'il n'appartenait qu'à la femme majeure "d'apprécier elle-même si sa situation justifie l'interruption de la grossesse".

En décider autrement aurait d'ailleurs vidé la loi d'une grande partie de sa portée et fait des consultations une véritable inquisition humiliante et traumatisante pour la femme. Celle-ci n'est même pas tenue de révéler les mobiles de sa décision de recourir à une I.V.G. au médecin ou au service social, et ces derniers n'ont aucun droit de l'interroger sur ces mobiles; ils ne peuvent que prendre acte de l'état de détresse discrétionnairement affirmé par la femme et lui donner les informations - concernant en particulier les risques de l'intervention et les aides dont elle peut bénéficier pendant sa grossesse et après la naissance de l'enfant si elle décide de le garder - énumérées par les articles L 162-3 et L 162-4. Mais la conscience des médecins est évidemment préservée puisqu'ils ont la liberté, elle aussi discrétionnaire, de refuser de pratiquer une I.V.G. (art L 162-8).

24 . Pourtant, malgré ces deux décisions qui situaient clairement l'I.V.G. sur le terrain de la seule responsabilité de la femme et sur son appréciation totalement libre et discrétionnaire d'y recourir (bien entendu dans les conditions légales) des controverses se sont poursuivies - et se poursuivent encore - sur le point de savoir s'il existait réellement "un droit à l'avortement" pouvant s'opposer à un "droit à la vie". Et au nom de ce dernier droit il a été soutenu qu'il était légitime de faire entrave à une I.V.G., ce que la chambre criminelle de la Cour de cassation a écarté par son arrêt du 31 janvier 1996 (Crim. bull n° 57 p 147 ) en relevant que " l'état de nécessité, au sens de l 'article 122-7 du code pénal, ne saurait être invoqué pour justifier le délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse, dès lors que celle-ci est autorisée, sous certaines conditions, par la loi du 17 janvier 1975."

La chambre sociale de la Cour de cassation a même été saisie d'une affaire dans laquelle une assurée sociale demandait à l'URSSAF de lui rembourser une fraction des cotisations de sécurité sociale en faisant valoir qu'elle avait été affectée à des dépenses en relation avec l'interruption volontaire de grossesse. Le tribunal des affaires de sécurité sociale l'ayant déboutée de sa demande, elle a formé un pourvoi qui a été rejeté au motif que "l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales garantissant à toute personne le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ne confère pas le droit d'invoquer ses convictions pour s'opposer à l'affectation, quelle qu'elle soit , des cotisations sociales conformément à la législation en vigueur" (Cass. ch. Soc. 9 décembre 1993 Bull n° 309 p 210 ). Cette formule de la chambre sociale n'est d'ailleurs pas sans rappeler l'observation de M Genevois qui, dans ses conclusions précitées, après avoir émis une réserve personnelle quant au fait que le reconnaissance de l'I.V.G. comporterait uniquement des aspects positifs, souligne qu'il ne se sentait pas "autorisé à faire prévaloir une éthique personnelle sur la volonté clairement manifesté par le parlement de la République". D'aucuns auraient gagné à s'inspirer de cette réflexion de dignité ....

Plus récemment encore des associations ont contesté devant le Conseil d'Etat la légalité d'arrêtés relatifs, notamment, à la détection du risque de trisomie 21 foetale en soutenant que de tels examens portaient atteinte au droit à la vie de l'enfant. Par deux arrêts des 7 mai 1999 (Req 192902) et 10 juin 1999 (Req 186479), le Conseil d'Etat a rejeté des recours en relevant en particulier l'inopérance des griefs au regard de l'article 16-1 du code civil.

25. On citera enfin, toujours au regard de ces combats incessants contre la loi de 1975 au nom de l'affirmation d'un droit à la vie censé légitimer toutes les formes d'opposition, la chronique de Mme Jacqueline Rubellin-Devichi "Le droit et l'interruption de grossesse" parue au numéro 69 du 7 juin 1996 des "Petites affiches" où, après avoir fait notamment référence à des décisions de la Cour de justice des communautés européennes (4 /X/91 RDSS 1992 p 49 note Dubouis) et de la Cour européenne des droits de l'homme (29/X/92 R.D.S.S. 1993 p 37 note Dubouis), elle souligne que "la question de la légitimité de l'I.V.G. ne saurait se poser en termes de droits, droit de l'enfant à la vie, droit de la femme à l'avortement .... Il y a une liberté, celle de la femme dont il convient seulement de se demander si et dans quelle mesure cette liberté est limitée par le respect que les lois du 17 janvier 1975 et du 29 juillet 1994 (alinéa 1 de l'article 16 du code civil ) garantissent à tout être humain dés le commencement de la vie" ( on rappellera que l'article 16 du code civil dispose que " la loi assure le respect de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie".

On peut en définitive estimer que le recours à l 'interruption volontaire de grossesse, qu'il s'agisse, pendant les dix premières semaines, d'une I.V.G. sans autre condition que l'affirmation par la femme de son état de détresse, ou, après la dixième semaine, d'une I.V.G. soumise au contrôle médical de la mise en péril grave de sa santé ou d'une forte probabilité que l'enfant à naître soit atteint d'une affection incurable d'une particulière gravité, s'analyse comme une modalité de la liberté inaliénable, discrétionnaire et strictement personnelle de la femme de décider ou non d'interrompre sa grossesse. Nul ne peut se substituer à elle dans ce choix, ni le lui imposer, ce qui signifie que relève d'une pure ineptie juridique l'opinion suivant laquelle un enfant né affecté d'une handicap pourrait mettre en cause la responsabilité de sa mère pour n'avoir pas eu recours à un avortement. Il ne peut être sérieusement soutenu en droit français que la logique de l'action en "wrongful life" conduirait à transformer la faculté d'avortement reconnue à la mère en obligation. Retenir une responsabilité reviendrait en effet à dire, en violation de la loi du 17 janvier 1975, qu'un avortement pourrait être imposé à la mère contre son gré. Ainsi, à supposer que dans la présente affaire Mme P... ait été exactement informée de son absence d'immunité contre le rubéole et du risque pour le foetus, et qu'elle ait néanmoins décidé de ne pas recourir à une I.V.G., son enfant n'aurait strictement aucun droit de rechercher la responsabilité de sa mère. Quant à la mise en cause de la responsabilité du père, elle est également impossible puisque tout repose sur la seule liberté discrétionnaire de la femme. Cette liberté est bien entendu encadrée par la loi, mais c'est là un trait commun à toutes les libertés. Et, s'agissant d'une liberté, dés lors qu'il y est porté atteinte, se pose la question de la responsabilité administrative, civile, ou pénale, de celui qui y porte atteinte.

II.1.2. La responsabilité et le préjudice en matière d'I.V.G.

On examinera successivement la jurisprudence avant les deux arrêts de la première chambre civile du 26 mars 1996 , puis ces deux arrêts et enfin l'arrêt du Conseil d'Etat du 14 février 1997.

a) bilan jurisprudentiel avant les deux arrêts de la première chambre civile du 26 mars 1996

26. Cette responsabilité a été très rapidement recherchée devant le juge administratif à l'occasion de l'arrêt d'assemblée du Conseil d'Etat "Dell R..." du 2 juillet 1982 , rec p 266 aux conclusions de M .Michel Pinault publiées à la R.D.S.S. 1983, p 95, avec une note de F. Moderne à la G.P. du 14 avril 1983.

Les faits étaient simples : une jeune femme avait subi dans un hôpital public une I.V.G. de la première catégorie, c'est-à-dire pour motif non thérapeutique. Mais il s'est avéré que cette intervention n'avait pas réussi car la grossesse de Melle R... s'était poursuivie et elle avait mis au monde un enfant normalement constitué.

Elle a engagé une action devant le juge administratif en soutenant que l'échec de l'IVG , imputable selon elle à l'hôpital, lui avait causé un préjudice du fait de l'obligation où elle s'était trouvée de mener à terme une grossesse qu'elle avait souhaité interrompre et d'élever son enfant.

Le Conseil d'Etat n'a même pas examiné si la responsabilité de l'établissement de santé pouvait être engagée et sur quel terrain (faute? risque?). Il s'est situé d'emblée sur le terrain du préjudice . Il a jugé "que la naissance d'un enfant, même si elle survient après une intervention pratiquée sans succès, en vue de l'interruption de grossesse demandée dans les conditions requises aux articles L 162-1 à L162-6 du C.S.P. par une femme enceinte, n'est pas génératrice d'un préjudice de nature à ouvrir à la mère un droit à réparation par l'établissement hospitalier où cette intervention a eu lieu, à moins qu'existent, en cas d'échec de celle-ci , des circonstances ou une situation particulière susceptibles d'être invoquées par l'intéressée". Le Conseil d'Etat est d'ailleurs allé plus loin que son commissaire du gouvernement puisque, si celui-ci soutenait fermement qu'à elle seule la naissance d'un enfant non désiré ne pouvait constituer un préjudice, il estimait que dans le cas d'espèce de Melle R... il existait une situation particulière (mère célibataire aux revenus très modestes) justifiant l'attribution de dommages intérêts. On s'est donc interrogé sur le sens de la formulation du Conseil d'Etat relative à des "circonstances ou situation particulière" permettant une indemnisation et d'aucuns ont pensé à la naissance d'un enfant handicapé.

27 .L'arrêt du Conseil d'Etat "Mme K..." du 27 septembre 1989 (rec. 176; G.P. 1990 .2.421 concl. M.Fornaciarri) est parfois présenté comme confirmant cette interprétation. Mais cette opinion est erronée. En effet, comme le constate l'arrêt lui-même, c'est l'intervention tendant à l'I.V.G. qui avait causé un traumatisme au foetus et était à l'origine de la malformation de l'enfant. On était donc sur le terrain classique du dommage subi par un enfant du fait même d'un acte médical (l'I.V.G. étant comme on le sait un acte médical) et non sur celui du dommage inhérent au seul échec de l'I.V.G. sans que le foetus ait été traumatisé par la tentative d' I.V.G. .

28 .La cour de cassation a pris pour la première fois position sur la question par l'arrêt de sa première chambre civile du 25 juin 1991 (bull n° 213 p 139. D 1991 Jur. P 566 note Philippe le Tourneau ). Les faits étaient pratiquement identiques à ceux de l'arrêt "Dell R..." du 2 juillet 1982 : échec d'une I.V.G. demandée par une jeune fille de 22 ans mère célibataire, et elle même orpheline de mère et née de père inconnu, et naissance d'un enfant normalement constitué. La jeune fille demande réparation. La cour de cassation a approuvé la cour d'appel de l'avoir déboutée car " l'existence de l'enfant qu'elle a conçue ne peut, à elle seule, constituer pour sa mère une préjudice juridiquement réparable, même si la naissance est survenue après une intervention pratiquée sans succès en vue de l'interruption de la grossesse (...) qu'en l'absence d'un dommage particulier qui, ajouté aux charges normales de la maternité, aurait été de nature à permettre à la mère de réclamer une indemnité, la cour d'appel a légalement justifié sa décision" (la cour de cassation condamne cependant par un attendu un motif révoltant de la cour d'appel qui, pour rejeter l'action de la mère, s'était fondée sur la possibilité qu'elle avait d'abandonner son enfant à la naissance).

29. Il y avait donc convergence du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation pour condamner par principe toute possibilité de réparation d'une naissance non désirée, en l'absence d'un dommage particulier s'ajoutant aux obligations afférentes à l'entretien et à l'éducation d'un enfant. Et cette convergence s'étendait même au plan international puisque des juridictions de plusieurs autres pays ont statué dans le même sens

Si on relie cette position jurisprudentielle des deux ordres à l'analyse de l'I.V.G. comme constituant une modalité de la liberté inaliénable et strictement personnelle de la femme d'avoir ou non un enfant (cf n°25), on aboutit à l'idée que celui qui porte atteinte à cette liberté n'encourt aucune responsabilité. Il faut qu'à cette atteinte, s'ajoute la naissance d'un enfant handicapé, ce qui a été confirmé un arrêt du 16 juillet 1991 (Civ. I bull n° 248 p 162) d'autant plus topique qu'il concerne, comme dans le présent pourvoi, une rubéole. Lors de l'examen médical prénuptial, un médecin avait omis de prescrire à la femme l'examen sérologique de la rubéole, pourtant obligatoire comme on l'a indiqué au n° 2 . Puis, lorsqu'elle fût enceinte, un autre médecin généraliste, malgré des symptômes de rubéole de la mère, s'abstint de prescrire un test de recherche, tandis qu'un gynécologue ne prescrivait pas un deuxième examen nonobstant les résultats d'un premier faisant état d'anticorps. Un enfant naquit atteint de graves séquelles contractées par le foetus in utero du fait de la rubéole de la mère.

La cour d'appel avait condamné le médecin qui n'avait pas prescrit la sérologie de la rubéole lors de l'examen prénuptial en estimant qu'il avait fait perdre à l'enfant la chance d'éviter de supporter les conséquences de la rubéole contractée par sa mère en début de grossesse. Le pourvoi formé sur ce point a été rejeté, de façon tout à fait classique d'ailleurs car dés lors que la réalisation d'un examen médical était de nature à empêcher la réalisation d'un dommage, son absence génère un préjudice consistant dans la perte de chance d'éviter ledit dommage. Un arrêt n° 234 D de la première chambre civile du 3 février 1993 - pourvoi n°Y9112391 - avait ainsi retenu qu'un médecin, qui avait commis des fautes à l'occasion d'examens tendant à détecter une toxoplasmose, dont les conséquences sur le foetus pouvaient être soignée in utero avec une probabilité de succès évaluée à 97% , avait fait perdre à l'enfant la chance de naître indemne des conséquences de cette toxoplasmose.

Mais, s'agissant des deux autres médecins, la cour d'appel avait écarté leur responsabilité au motif qu' ils n'avaient aucun moyen de prévenir les malformations dues à une rubéole congénitale. Ce chef de l'arrêt a été cassé dés lors "qu'en ne procédant pas aux examens qui leur auraient permis d'informer les époux des risques que présentait l'état de grossesse de l'épouse, les médecins n'avaient pas rempli l'obligation de renseignement dont ils étaient tenus à l'égard de leur patiente et qui aurait permis à celle-ci de prendre une décision éclairée quant à la possibilité de recourir à une interruption de grossesse thérapeutique."

Cet arrêt admet donc nettement que la perte de la possibilité pour la mère de recourir à une I.V.G. est de nature à engager la responsabilité du médecin dés lors que l'enfant est né handicapé. Et là encore on rejoint la position de plusieurs juridictions étrangères admettant que la mère qui a été privée de la possibilité de recourir à une I.V.G. justifie d'un préjudice indemnisable lorsque l'enfant venu au monde se révèle handicapé. On citera ainsi un arrêt de la Cour de cassation fédérale d'Allemagne du 16 novembre 1993, ou encore les décisions de plusieurs juridictions des US A admettant l'action en " Wrongful birth", c'est -à-dire l'action engagée par les parents d'un enfant né avec des troubles physiques ou mentaux lorsqu'une faute du médecin les a privés de la possibilité d'exercer en toute connaissance de cause leur choix quant à la poursuite ou l'interruption d'une grossesse. Pour une étude comparative récente on renverra à celle publiée par le professeur Basil Markesinis, de l'université d'Oxford, dans l'ouvrage édité par Clarendon press à Oxford et paru en 1998 "The law of obligations" "Essays in celebration of John Fleming", sous le titre "Reading through a foreign judgment", pages 261 à 279), ou encore aux études du professeur Vernon Valentine Palmer, professeur à l'université de Tulane (U.S.A.).

b)Les deux arrêts du 26 mars 1996 (Civ. I bull 155 et 156)

30 . Le même jour la première chambre a rendu deux arrêts qui, pour la première fois, soulevaient la question de fautes ayant empêché une mère soit de recourir à une I.V.G., soit de s'abstenir de procréer, et des préjudices pouvant en découler pour l'enfant lui-même . Il s'agit de ce que la doctrine anglo-saxonne appelle l'action en "Wrongful life". On ne reviendra pas sur l'arrêt publié sous le numéro 156 puisque, comme on l'a vu , il s'agit de l'affaire P... elle-même .

Mais la première affaire, n° 155, mérite qu'on l'expose brièvement car elle soulève un problème voisin. Il s'agissait d'un conseil génétique favorable donné au porteur d'un anomalie héréditaire, ce conseil s'étant avéré erroné en ce sens que l'enfant né était porteur du handicap de son père. La cour d'appel, ayant estimé que ce conseil génétique procédait d'une faute, a condamné le médecin à réparer à la fois le préjudice personnel des parents et celui de l'enfant. La Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé, tant en ce qui concerne le préjudice des parents que celui de l'enfant. S'agissant de ce dernier l'attendu de rejet est ainsi rédigé : "Mais attendu que les juges du fond ont pu considérer que la faute commise par le praticien en donnant un conseil qui n'avertissait pas les époux Y..d'un risque de réapparition dans leur descendance des troubles dont M .Y était atteint était en relation directe avec la conception d'un enfant atteint d'une maladie héréditaire ; que dés lors leur décision condamnant M X.. à réparer les conséquences dommageables définitives des troubles de l'enfant est légalement justifié". La seule différence avec la présente affaire est que l'alternative n'est pas vie handicapée ou I.V.G., mais vie handicapée on non conception.

c) L'arrêt du Conseil d'Etat du 14 février 1997

31. Cet arrêt (rec. 44) a introduit une divergence entre la Cour de cassation et le Conseil d'Etat en ce qui concerne le préjudice de l'enfant.

Les faits, tels qu'il ressortent à la fois de l'arrêt et des conclusions du commissaire du gouvernement, Mme Valérie Pecresse, publiées à la fois au recueil et à la R.F.D.A. de 1997, p 374, suivie d'une note de M Mathieu, sont les suivants :

Une femme enceinte de 42 ans avait, compte tenu du risque à cet âge de mettre au monde un enfant affecté de trisomie 21 ("mongolisme"), subi dans un hôpital public un examen prénatal par amniocentèse, dont la fiabilité est de près de 100% lorsqu'il est réalisé dans les règles de l'art. Cet examen a pour but de permettre à la mère de décider d'une I.V.G. et certains médecins refusent d'y procéder, eu égard aux risques inhérents à l'amniocentèse qui peut provoquer un avortement spontané, lorsque la mère décide a priori qu'elle n'aura pas recours à une I.V.G. même en cas de test positif. En l'espèce le résultat de cet examen avait été présenté à la mère comme ne révélant pas d'anomalie chromosomique, mais l'enfant né par la suite était cependant affecté d'une trisomie 21.

La faute du centre hospitalier a été retenue et la cour administrative d'appel de Lyon, par un arrêt du 21 novembre 1991 , l'avait condamné à réparer à la fois le préjudice des parents et celui de l'enfant .

La position de cette cour administrative d'appel était donc identique à celle que la cour de cassation a adopté par ses deux arrêts du 26 mars 1996 , à savoir que le préjudice propre de l'enfant pouvait être indemnisé et pas seulement celui de la mère et du père .

32 .Le Conseil d'Etat a admis le préjudice des parents et, outre l'allocation d'une somme de 100 000 francs à chacun d'eux au titre de leur préjudice moral, des troubles dans leurs conditions d'existence et de certains éléments des préjudices matériels, il a condamné le centre hospitalier à leur verser pendant toute la durée de la vie de l'enfant une rente mensuelle de 5000 F au titre des charges particulières, notamment en matière de soins et d'éducation spécialisée qui découleront pour les parents de l'infirmité de leur enfant.

Par contre il a annulé l'arrêt en ce qui concerne le préjudice propre de l'enfant dans les termes suivants qu'il nous parait nécessaire de citer intégralement : "Considérant qu'en décidant qu'il existait un lien de causalité directe entre la faute commise par le Centre hospitalier régional de Nice à l' occasion de l'amniocentèse et le préjudice résultant pour le jeune Mathieu de la trisomie dont il est atteint, alors qu' il n'est pas établi par les pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'infirmité dont souffre l'enfant et qui est inhérente à son patrimoine génétique, aurait été consécutive à cette amniocentèse, la cour administrative d'appel de Lyon a entaché sa décision d'une erreur de droit".

II.1.3. La problématique du lien de causalité

33. Il ressort ainsi clairement du motif précité que le Conseil d'Etat s'est placé sur le terrain du lien de causalité entre la faute du centre hospitalier et la trisomie 21 affectant l'enfant. Par contre la cour de cassation retient un lien de causalité dans ses deux arrêts du 26 mars 1996 à propos de la rubéole et d'une affection génétique. La première discussion doit donc se faire sur ce terrain.

34.On connaît évidemment les diverses catégories élaborées par la doctrine sur le lien de causalité entre une faute et un préjudice :

- équivalence des conditions : tout fait, fût-il éloigné, sans lequel le dommage ne se serait pas produit est réputé causal.

- proximité des causes : seule la dernière cause est retenue, mais il y a des nuances de doctrine avec les concepts de causalité efficiente, directe, immédiate.

- causalité adéquate : seule la cause prépondérante, c'est-à-dire celle qui comporte la possibilité objective du dommage réalisé, est retenue.

La jurisprudence, aussi bien administrative que judiciaire civile, n'utilise pas cette terminologie, tout en se rattachant plutôt au concept de causalité adéquate, encore appelé dans la doctrine administrative théorie des "conséquences normales".

35. Mais on peut douter que le recours à l'une ou l'autre de ces théories soit pertinent. Si la matière n'était aussi douloureuse, on serait même tenté de reprendre la formule de Patrice Jourdain, qui, dans son commentaire à la RTD civ de 1996, p 623, des deux arrêts du 26 mars 1996, observe que la constatation suivant laquelle les séquelles subies par l'enfant ont pour cause la rubéole est une " lapalissade sans portée". De même , relever que la trisomie n'est pas imputable à l'erreur commise dans la réalisation de l'amniocentèse ou que le conseil génétique erroné n'est pas la cause de l'affection génétique, participe du constat d'une évidence biologique confinant au truisme. Le doyen Nerson a certes mis en lumière ce qu'il appelle un "mouvement de biologisation du droit" ("Les progrès scientifiques et l'évolution du droit familial" Etudes offertes à G.Ripert, T 1 Paris p 403 ; "L"influence de la biologie et de la médecine moderne sur le droit civil" , R.T.D. civ. 1970, p 661) . Pour autant il ne faut pas oublier ce qui est réellement en question dans ce type d'affaires et, au delà de la biologie, songer à ce qui relève de notre compétence, c'est-à-dire le droit.

36. Or ce qui est en question - et la encore Patrice Jourdain l'a exactement souligné aussi bien dans son commentaire précité que dans le Traité de droit civil, "les conditions de la responsabilité" rédigé avec Mme Geneviève Viney (L.G.D.J., édition de juin 1998, n° 249-3 ) - c'est de savoir si sans les fautes commises les dommages auraient pu être évités .On rejoint d'ailleurs là un adage ayant valeur de norme constante du droit de la responsabilité, à savoir que "qui peut et n'empesche pêche " (Antoine Loisel , "Institutes coutumières" , 1607). Dans le drame du sang contaminé, l'origine biologique du virus contaminant se trouvait chez les donneurs, pourtant il ne viendrait à l'idée de personne de soutenir que ceux qui pouvaient empêcher la distribution du sang vicié avaient bien une responsabilité dans la contamination des receveurs. Il faut dès lors centrer la réflexion sur la nature et le contenu des obligations pesant sur le médecin et le laboratoire dans le présent pourvoi.

37 . Depuis l'arrêt Mercier du 20 du 20 mai 1936 (D 1936, p 88 à 96, note Etienne Picard, rapport Josserand et conclusions Matter), la relation d'un médecin libéral avec son patient est analysée comme une relation contractuelle qui met à la charge du praticien l'obligation de donner des soins consciencieux, attentifs et conformes aux données acquises de la science. Et, après cet arrêt majeur, plusieurs dizaines d'autres arrêts de la cour de cassation ont méthodiquement construit le contenu même de ce contrat médical, c' est-à-dire les obligations qu'il impose au médecin et la responsabilité en découlant en cas d'inexécution . L'arrêt Le Bail, rendu le 15 juin 1937 par la chambre des requêtes de la Cour de cassation ( G.P. , 1937, 2° sem . p 411) est d'ailleurs particulièrement éclairant puisque, après avoir repris les termes de l'arrêt Mercier, il précise que " la violation ou l'exécution défectueuse par le médecin de son obligation contractuelle est sanctionnée par une responsabilité de même nature".

Et, vis-à-vis des autres professionnels de la médecine - tels les cliniques ou les laboratoires - la relation est également contractuelle et repose sur l'exigence de soins ou de prestations consciencieux et attentifs (arrêt "clinique sainte Croix" rendu par la chambre civile de la Cour de cassation le 6 mars 1945 (D.1945 p 217).

L'originalité et la richesse du droit de la responsabilité contractuelle est justement dans cette particularité qu'elle a de constituer "le prolongement de l'obligation préexistante qui est issue du contrat", suivant l ' expression de Jean Luc Aubert, Yvonne Flour et Eric Savaux dans leur récent ouvrage (Armand Colin, juin1999) "Les Obligations" 3. " Le rapport d'obligation " n° 172.

Et le mythique "traité pratique de droit civil français" de Planiol et Ripert, tome VI, les obligations par Paul Esmein, édition de 1952 n° 376 et suivants exprimait déjà une idée du même ordre : la responsabilité contractuelle c'est le manquement à des obligations résultant du contrat , manquement qui peut être sanctionné soit sur un terrain purement objectif si l'obligation est de résultat - ou déterminée -, sauf force majeure, soit sur le terrain de la faute si l'obligation, comme en matière médicale, est de moyens.

Comme l'observe Jacques Ghestin dans son Traité de droit civil, "les obligations . Le Contrat Formation", L.G.D.J., 2° édition, n° 162 à 164, on rejoint l'idée chère à Hans Kelsen de cette essence du contrat qui est la participation même des assujettis à la règle qu'il crée, étant précisé que dans cette création de la norme contractuelle le juge peut intervenir soit par défaut (si la norme n'est pas assez définie dans la convention), soit par autorité (si certaines clauses du contrat sont illicites). Pour reprendre encore l'ouvrage précité sur "le rapport d'obligation" , "l'obligation contractuelle préalable est le fondement même d'une responsabilité contractuelle dont l'objet est, précisément, d'en assurer le respect" 38 . Il convient donc de rechercher dans la présente affaire qu'elle était l'obligation contractuelle du médecin et du laboratoire, qui, tous deux étaient contractuellement liés à Mme P... (cf n° 1 et 2 ).

Cette obligation contractuelle est simple à définir d'après la relation constante des faits des juges du fond : Le médecin et le laboratoire devaient donner à Mme P... grâce au séro-diagnostic de la rubéole, une information lui permettant d'exercer le choix qu'elle avait fait de recourir à une I.V.G. si elle présentait une rubéole en cours. Et l'exercice de ce choix, expression de sa liberté personnelle et discrétionnaire (cf supra n° 25 in fine), a été empêché par l'erreur commise. Le handicap de l'enfant apparu peu après sa naissance est donc bien la conséquence directe de la faute commise par le médecin et le laboratoire puisque sans cette faute il n'y aurait pas eu de handicap.

Il n' y aurait pas non plus eu de vie, mais cette conséquence - qui soulève évidemment de redoutables difficultés éthiques et juridiques que nous aborderons dans la dernière et plus importante partie de cette réflexion - est sans incidence sur l'appréciation du lien de causalité entre la faute commises par le médecin et le laboratoire en manquant à leur obligation contractuelle telle qu'elle vient d'être précisée - à savoir donner à Mme P... les éléments lui permettant, pour empêcher le handicap, de recourir à une I.V.G. - et le dommage apparu, c'est-à-dire le handicap de l'enfant.

39 . On ajoutera pour être complet - bien que ce point n'ait jamais été contesté - qu'il est indifférent que le contrat n'ait été formé qu'entre Mme P...et le laboratoire. Dès lors que l'inexécution fautive de l'obligation née de ce contrat a eu des conséquences sur l'enfant, il peut invoquer cette faute, envisagée comme un fait juridique, au soutien de son action en dommages intérêts. De très nombreux arrêts ont ainsi, dans l'hypothèse de fautes médicales commises à l'occasion d'un accouchement, admis la réparation tant du préjudice de la mère que de celui de l'enfant qu'elle a mis au monde (par exemple Civ. I 7 juillet 1998 bull n° 239 p 165 , 4° sommaire).

Il y a certes eu des hésitations sur le fondement de l'action d'un tiers au contrat qui subit un préjudice du fait de l'inexécution d'une obligation née de ce contrat. En matière de contrat de transport l'arrêt "capitaine d'artillerie Noblet" du 6 décembre 1932 (S1934 p 81 ) avait ainsi estimé que la personne transportée stipulait nécessairement en faveur de son conjointe et des ses enfants qui pouvaient ainsi se prévaloir du régime de l'obligation de sécurité de résultat. S'agissant de sang contaminé par le microbe de la syphilis un arrêt du 17 décembre 1954 (J.C.P. G 1955 II 8490 note Savatier) reposait aussi sur la notion de stipulation pour autrui. Plus récemment, en matière de produits sanguins contaminés par la V.I.H., la première chambre a interprété les articles 1147 et 1384 du code civil à la lumière de la directive du 25 juillet 1985 en décidant que "tout producteur est responsable des dommages causés par un défaut de son produit, tant à l 'égard des victimes immédiates que des victimes par ricochet , sans qu'il y ait lieu de distinguer selon qu'elles ont la qualité de partie contractante ou de tiers" (Civ. I 28 avril 1998 ;bull n°158 p 104 et JCP 1999 II G 10088) .Il a aussi été fait appel dans le passé à la notion , difficile à comprendre et à cerner au point qu'elle relève d'une forme de sophisme, de violation d'une obligation envisagée en elle-même indépendamment de tout point de vue contractuel (par exemple Civ. I 9 octobre 1962,bull n° 405).

Mais - se reliant à un courant ancien parfaitement exprimé par Etienne Picard dans sa note déjà citée sous l'arrêt Mercier du 20 mai 1936 où il observait "qu'un même rapport de droit peut être générateur à la fois de responsabilité contractuelle et de responsabilité délictuelle", - la doctrine moderne, en particulier M. Jean-Luc Aubert, Mme Flour et M .Savaux dans leur ouvrage déjà cité sur " le rapport d'obligation", n° 183 souligne que le véritable fondement du droit pour un tiers d'obtenir la réparation du dommage que lui cause un manquement contractuel est celui de l'opposabilité du contrat : "Le tiers victime, qui invoque un manquement contractuel au soutien de sa demande d'indemnisation, ne prétend pas s'introduire dans le rapport d'obligation contractuel : il se borne à faire valoir le fait de son inexécution, comme tout tiers peut invoquer la situation de fait constituée par le contrat, qu'il soit ou non exécuté". Par un arrêt du 15 décembre 1998 ( Bull.Civ. I . n° 368 ), puis du 18 juillet 2000 (Bull .civ I n° 221 ), la première chambre a d'ailleurs très nettement affirmé, au visa des articles 1165 et 1382 du code civil que "les tiers à un contrat sont fondés à invoquer l'exécution défectueuse de celui-ci lorsqu'elle leur a causé un dommage, sans avoir à rapporter d'autre preuve".

40 . Il nous semble donc possible de conclure que l'appréciation du droit qu'à un enfant de demander la réparation du préjudice consécutif à un handicap d'origine endogène ne peut se faire sur le terrain simpliste, sinon erroné, du lien de causalité envisagé biologiquement . A cet égard l'arrêt attaqué qui, pour écarter la reconnaissance d'un préjudice de l'enfant, insiste dans ses motifs (cf supra n° 15) sur le fait que la faute des praticiens est " étrangère " aux conséquences de la rubéole est donc contestable .C'est en réalité sur le terrain du principe fondamental du respect de la personne humaine que pourrait se trouver, le cas échéant, la justification d'un refus de réparer le préjudice de l 'enfant. Là est le véritable coeur de la difficulté .

II.1.4. Le principe du respect de la personne humaine

41.On a déjà évoqué (cf n°18) la redoutable question juridico- éthique qui se présente : la suppression du risque des conséquences de la rubéole implique nécessairement la suppression du foetus. Or le manquement fautif du médecin et du laboratoire à l'obligation née des contrats formés avec Mme P... (cf supra n° 38 ), a permis à l'enfant de venir au monde, mais avec le handicap que l'I.V.G. décidée par la mère devait empêcher. Est-il dès lors légitime, au regard du principe fondamental du respect de la personne humaine, que l'enfant puisse en quelque sorte faire abstraction de la vie à laquelle la faute commise lui a permis d'accéder pour réclamer la réparation de son handicap ?

C'est en ces termes que, dés lors que l'on a écarté les erreurs afférentes à la causalité envisagée "biologiquement", nous parait se poser la plus grande difficulté de cette affaire.

42.Cette difficulté a d'ailleurs été perçue par la plupart des commentateurs des arrêts de la Cour de cassation et du Conseil d'Etat. On commencera, d'abord, par les conclusions de Mme Valérie Pécresse, commissaire du gouvernement au Conseil d'Etat, prononcées dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du Conseil d'Etat du 14 février 1997, analysé au n° 31. Elle estime ainsi qu'" un enfant ne peut pas se plaindre d'être né tel qu'il a été conçu par ses parents, même s'il est atteint d'une maladie incurable ou d'un défaut génétique, dés lors que la science médicale n'offrait aucun traitement pour le guérir in utero. Affirmer l'inverse serait juger qu'il existe des vies qui ne valent pas d'être vécues et imposer à la mère une sorte d'obligation de recourir, en cas de diagnostic alarmant, à une interruption de grossesse. Ce serait aller contre tous les principes qui fondent le droit en matière biomédicale". On rappellera toutefois que dans son arrêt le Conseil d'Etat ne fait strictement aucune allusion à cette dimension éthique puisqu'il se borne, pour écarter tout préjudice de l'enfant, à se fonder sur la seule absence de lien de causalité entre l'amniocentèse et l'infirmité de l'enfant (cf n° 32 in fine ).

43. Plusieurs auteurs émettent des réserves sur l'admission en son principe du préjudice de l'enfant. On ne reviendra pas sur celles qui se focalisent sur le lien de causalité envisagé "biologiquement", lequel, comme on l'a dit, n'est pas pertinent.

Sans prétendre être exhaustif - et on pense en particulier à des études plus générales comme celle de Laure Finel à la R.D.S.S. de 1997, p 223, "la responsabilité du médecin en matière de diagnostic des anomalies foetales" ou encore celle de Philippe Pédrot "diagnostic prénatal et responsabilité médicale" aux "mélanges Cosnard, 1990, p 117 - on évoquera plus particulièrement les auteurs qui ont plus spécialement commenté les arrêts de la cour de cassation et du Conseil d'Etat.

Stéphane Alloiteau (Les Petites Affiches 1997 n° 64) évoque le risque de dérives vers le "tout préjudice" de la jurisprudence de la Cour de cassation et craint que ne soit mis en place une "politique de sélection" aboutissant à l'eugénisme.

Marie Thérèse Calais-Aulois (D. 2000, n° 15) affirme dans un "point de vue" qu' avoir mis au monde un enfant dont on pouvait connaître le grave handicap n'est pas une faute civile car "ce n'est jamais un devoir de recourir à des méthodes anticonceptionnelles ou à l'avortement . S'il en était autrement, ce serait que notre société aurait vraiment franchi un pas décisif vers l'eugénisme officiel".

Maryse Deguergue ("Les préjudices liés à la naissance", R.C.A. mai 1998, numéro spécial p 14) se rallie aux objections de Mme Pécresse quant à l'appréciation péjorative de la vie si on indemnise le handicap de l'enfant et évoque un danger "à la fois d'ordre juridique et éthique".

Jean Hauser ( R.T.D. civ 1996 p 871) se demande si la Cour de cassation n'ouvre pas un nouveau droit subjectif particulièrement inquiétant, et, dans son commentaire sur l'arrêt de la cour d'Orléans objet du présent pourvoi ( R.T.D. civ 2000 p 80) soutient que l'enfant "n'est pas en position de victime ... mais en situation de personne handicapée et que ce n'est pas son dommage qui doit être pris en charge par les assureurs mais son existence qui doit l'être par la collectivité" . Il exprime aussi la crainte d'un " eugénisme de précaution par excès de précaution".

Carol Jonas (Médecine et droit, n° 26 de 1997 p 15) s'interroge sur une "dérive eugénique".

Gérard Mémeteau ("Traité de la responsabilité médicale", mise à jour décembre 1997 n° 126) craint aussi "les implications éliminatrices" de la jurisprudence de la Cour de cassation .

Pierre Murat (JCP 1996, doctrine, 3946), soutient que l'enfant "en gardant la vie n'a rien perdu et il est inadmissible de l 'autoriser, directement ou par le biais de son représentant, à se plaindre de la qualité de cette vie qu'il estime insuffisante. Juger du contraire revient à poser officiellement une pernicieuse hiérarchie entre des vies qui sont toutes uniques et non susceptibles d'être réduites à tel ou tel handicap" . Et il termine en affirmant que "sous couvert de l'intérêt collectif, on en arrive insensiblement à promouvoir insidieusement une politique eugénique" .

Janick Roche-Dahan souligne que la légitimité de l'intérêt sur lequel repose l'action de l'enfant pose problème et se demande si on peut admettre que la vie constitue dans certains cas un préjudice réparable (D 1997, jurisprudence, p 35).

Au plan international (cf en particulier la chronique de droit comparé citée au n° 29 de M. Markesinis, les études de Mme Palmer ou l'ouvrage de Mme Monique Ouellette "Droit et Science" publié par la faculté de droit de l'université de Montréal) des observations du même ordre sont formulées quant au choix impossible entre la vie et le néant.

44 . Que penser de ces critiques ?

Elle reposent sur un point incontestable, à savoir qu'il peut effectivement paraître éthiquement difficile d'admettre qu'une personne puisse se prévaloir contre une autre d'un fait, fut-il fautif, qui en définitive lui a permis d'accéder à la vie. Le principe du respect de la personne humaine est donc, d'une certaine façon, mis en cause si on accepte l'idée d'indemniser un handicap affectant cette vie "sauvée". Un préjudice lié de façon indivisible à l'existence même ne saurait alors être admis .

L'Assemblée plénière pourrait s'arrêter à cette position et rejeter le pourvoi sur le fondement d'une incompatibilité entre ledit principe et le droit de demander réparation à raison d'un fait qui a permis à l'enfant de venir au monde .

45 .Mais plusieurs objections viennent à l'esprit.

On a vu qu'était évoqué l'eugénisme qu'impliquerait l'acceptation de l'idée d'indemniser l'enfant de son handicap endogène. Pareil argument parait difficilement acceptable .

Il repose, d'abord, sur une certaine forme de démagogie, d'autant plus discutable qu'une telle appréciation est de nature à blesser des femmes en situation de détresse. L'eugénisme implique une dimension collective, nécessairement criminelle, alors que la loi du 17 janvier 1975 est pour la femme une loi de responsabilité et ce que l'on serait tenté d'appeler une "loi d'épouvantable solitude" - malgré le dispositif d'assistance qu'elle prévoit - qui la laisse en définitive désespérément seule face à un choix douloureux entre tous. Parler d'eugénisme relève davantage de l'insulte et du mépris de la liberté de la femme que d'un argument et traduit souvent le refus d'accepter le principe même de la liberté que leur reconnaît la loi .Ce refus n'apparaît-il pas, par exemple, dans un propos de Janick Roche Dahan qui, dans son article précité au Dalloz, écrit "...qu'il est pour le moins surprenant de voir des médecins engager leur responsabilité pour n'avoir pas permis à une femme de réaliser un acte qui reste à la limite de la légalité" ? Nous avons évoqué au n° 28 ce motif révoltant d'une cour d'appel qui, pour écarter le préjudice invoqué par une mère à la suite de l'échec d'une I.V.G., s'était fondée sur la possibilité qu'elle avait d'abandonner son enfant à la naissance. Oser laisser entendre à propos du drame douloureux entre tous qui a frappé Mme P... que son attitude participerait d'un processus d'eugénisme est au moins aussi révoltant.

Il ignore, ensuite, le dispositif même de la loi qui n'impose jamais le recours à une I.V.G. - et s'il en était ainsi il faudrait effectivement parler d'eugénisme et le combattre - mais le laisse à la seule conscience et liberté de la femme pendant les dix premières semaines et le soumet après ce délai au contrôle de deux médecins, ce qui est de nature a écarter des I.V.G. pour des anomalies mineures affectant le foetus. Et le faible nombre d' I.V.G. pratiquées chaque années pour motifs thérapeutique (cf n° 21) démontre qu'il n'y a pas de dérive et que la perspective, évoquée par certains, d'une élimination systématique des foetus pour des malformations mineures ou curables relève d'une supposition purement gratuite ou d'autres mobiles ... Pourquoi, par une sorte de présupposé pessimiste sur l' être humain, ne pas faire confiance à la liberté associée à la conscience qui sont les bases de la loi du 17 janvier 1975?

Enfin, dire qu'en acceptant d'indemniser l'enfant de son préjudice la Cour de cassation encouragerait l'eugénisme ressort de l'imprécation - pour rester courtois - et non de la discussion. Il existe une loi républicaine, celle du 17 janvier 1975, que tous les habitants de notre pays doivent respecter. Or cette loi donne à la femme la liberté de recourir à une I.V.G. non seulement sans avoir à donner de motifs, sinon sa situation de détresse, pendant les dix premières semaines, mais même ensuite, avec accord médical, lorsqu'il existe une forte probabilité de naissance d'un enfant atteint d'un affection d'une particulière gravité et incurable. Il existe aussi un principe de base de tout le droit de la responsabilité que toutes les juridictions de la République doivent respecter, à savoir celui de réparer le préjudice causé à autrui par une faute. Or, comme le souligne, par exemple, Yannick Dagorne-Labbé au n° 147 des "Petites Affiches" de 1996, considérer le handicap supporté par l'enfant comme inhérent à sa personne pour en déduire une non réparation n'est-ce pas nier l'atteinte au potentiel humain qui résulte du handicap et nier par là-même son préjudice ? et Patrice Jourdain va dans le même sens dans ses commentaires déjà cités.

46 . On peut aussi observer que le refus d'admettre le préjudice de l'enfant tout en admettant celui des parents recèle une irréductible, sinon incohérente, contradiction interne sur laquelle plusieurs auteurs ont mis l'accent .Cette incohérence tient au fait que le préjudice des parents est, en dernière analyse, fondé exactement sur la même faute que celle invoquée par l'enfant. En indemnisant les parents, on accepte nécessairement l'idée de faire abstraction de la vie qui, sans la faute commise, n'aurait pas existé . On retombe alors sur l'objection évoquée au n° 44.

Bertrand Mahieu (RFD adm 1997 ,p 388) évoque d'ailleurs, à propos de la décision du Conseil d'Etat n'acceptant de réparer que le préjudice des parents "la fragilité de la position du juge administratif alors que les prémices du raisonnement sont les mêmes pour les deux juridictions".

Stéphane Alloiteau (Petites Affiches n° 64 de 1997) ne peut aussi, selon sa propre expression, "s'empêcher de critiquer" la position mitigée du Conseil d'Etat qui en accordant une somme mensuelle de 5000 F aux parents pendant toute la durée de vie de leur enfant attribue en réalité cette indemnité à ce dernier de manière détournée.

Marie Laure Fortuné-Cavalié ( Médecine et Droit, n° 33 de 1998 ) se demande "comment expliquer que la naissance d'un enfant handicapé constitue un préjudice pour les parents et pas pour l'enfant lui-même".

Sylvie Welsch ("responsabilité du médecin" n° 280, édition Litec, mars 2000 ) constate aussi "qu'il est difficilement concevable en droit d'admettre un préjudice par ricochet des parents s'il n'y a pas de dommage immédiat pour l'enfant".

47.Si on se réfère à ce qui reste encore aujourd'hui un ouvrage de référence en matière de droit de la responsabilité médicale, c'est-à-dire le "Traité de droit médical" de R.Savatier , J.-M. Auby, J. Savatier et H.Péquignot, édition de 1956, on peut relever au n° 317, p 299, l'observation suivant laquelle le médecin qu'un malade incrimine d'une faute dommageable à sa santé ne peut compenser ce dommage par les bienfaits du traitement. Et les auteurs poursuivent : "Le médecin qui a sauvé le malade, tout en le laissant infirme par sa faute, ne saurait refuser d'indemniser le patient, sous prétexte qu'en le préservant de la mort il l'a gratifié d'un bienfait très supérieur au dommage dû à sa faute. Ce n'est pas, en effet, parce qu'il a satisfait pour partie au contrat médical qu'il peut se dispenser de réparer le dommage causé par la violation partielle de ce contrat" .

Ce raisonnement n'est-il pas totalement transposable au cas présent ? et ne pas le suivre ne revient-il pas à affirmer que la vie est a priori une cause d'exonération de l'obligation fondamentale de réparer les conséquences de ses fautes ? (c'est seulement dans l'hypothèse particulière du risque grave inhérent à un acte médical qui s'est réalisé sans faute du médecin, mais sans qu'il ait informé le patient de ce risque pour recueillir son consentement éclairé, que la jurisprudence tient compte - mais uniquement pour apprécier la réalité du préjudice et non pour le nier en son principe - du dommage qu'aurait provoqué le refus de l'intervention, cf Civ. I 7 octobre 1998 bull n°287 p 199 à propos d'un cas où l'absence d'intervention entraînait un dommage plus important que celui causé par le risque réalisé).

48. Quant à l'argument suivant lequel admettre la réparation du préjudice de l'enfant c'est admettre qu'il existe des vies qui ne méritent pas la peine d'être vécues puisqu'on les indemnise, il procède davantage de l'image que de la raison. Où est le véritable respect de la personne humaine et de la vie : dans le refus abstrait de toute indemnisation, ou au contraire dans son admission qui permettra à l'enfant de vivre, au moins matériellement, dans des conditions plus conformes à la dignité humaine sans être abandonné aux aléas d'aides familiales, privées ou publiques ?

La position du Conseil d'Etat , qui alloue en réalité aux parents l'indemnisation due à l'enfant - outre sa contradiction interne déjà évoquée , cf n°45 - comporte d'ailleurs l'inconvénient d'un risque de dilapidation, en particulier si le couple se disloque ou abandonne l'enfant, ce qui est malheureusement assez fréquent . Et dans l'hypothèse où les parents meurent avant d'avoir pu agir, la solution "camouflée" de la réparation du préjudice de l'enfant à travers ses parents n'est même plus possible. Imagine-t-on l'enfant handicapé venir réclamer en sa qualité d'héritier de ses parents la réparation du préjudice qu'ils ont subi du fait de son handicap alors que lui, victime directe et immédiate, n'aurait personnellement droit à rien ?

49 .On doit enfin insister sur le fait que, contrairement à une allégation inexacte avancée par certains, ce n'est pas la naissance et la vie même de l'enfant qui constituent le préjudice dont il est demandé réparation. Le préjudice réparable est au contraire exclusivement celui qui résulte du handicap qui va faire peser sur l'enfant pendant toute son existence des souffrances, charges, contraintes, privations et coûts de toute nature. N'est-il pas dés lors pas plus cohérent en droit et en équité de lui allouer personnellement la réparation de ce préjudice plutôt que d'user du subterfuge d'une augmentation artificielle de l"indemnisation des parents ?

A cet égard, il est d'ailleurs possible de relever dans certains pays une évolution sur le terrain de l'action dite en "Wrongful life" (c'est à dire l'action engagée par ou pour l'enfant en réparation de son propre préjudice, l'action en "Wrongful birth" ne concernant que le préjudice de la mère et/ou du père ).

Certes, l'arrêt McKay v . Essex area health authority, rendu en 1982 par la juridiction suprême du Royaume Uni, prohibe une telle action, mais la situation de ce pays n'est pas significative car c'est une loi de 1976 - encore que sa portée soit contestée par certains - qui fait obstacle à l'action de l'enfant. De même ne sont pas significatives les décisions de cours et tribunaux d'Etats des U.S.A. qui ont une législation interdisant ce type d'action.

Mais, à notre connaissance, il n'y a pas de décision de juridictions suprêmes étrangères équivalentes à la Cour de cassation qui rejette ou accepte par principe une telle action en " wrongful life" . Par contre des décisions de cours de quelques Etats des U.S.A., certes minoritaires, admettent de réparer le préjudice de l'enfant consistant dans le coût, notamment médical, induit par son handicap. On évoquera ainsi l'arrêt de la Cour suprême du New Jersey (Procanik V .Cillo ), commenté par M. Markesinis dans son étude comparative susvisée (p 269) qui admet l'action de l'enfant handicapé pour le recouvrement des dépenses extraordinaires afférentes à son handicap. Il cite d'ailleurs un motif éclairant de cet arrêt : "We need not become preoccupied ...with... métaphysical considérations. Our decision to allow the recovery of extraordinaly médical expenses is not premised on the concept that non-life is preferable to an impaired life, but it is predicated on the needs of the living. We seek to respond to the call of the living for help in bearing burden of their affliction".

La Cour constitutionnelle fédérale d'Allemagne dans un arrêt du 12 novembre 1997, si elle pose comme principe que l'existence humaine ne peut être considérée comme un préjudice (point sur lequel il y d'ailleurs un consensus général que nous partageons), admet cependant que les coûts particuliers nécessités par l'alimentation de l'enfant handicapé donnaient droit à indemnisation.

50. L'Assemblée plénière de la Cour de cassation se trouve en définitive devant le choix, soit du refus d'admettre, sur le fondement du principe du respect de la personne humaine, toute réparation du préjudice de l'enfant, soit - et d'une certaine façon ce serait au nom de ce même principe - de l'admettre, mais bien entendu pour les seuls dommages résultant de ce handicap.

Pour se déterminer elle devra aussi sans doute tenir compte d'un arrêt de la Chambre criminelle du 4 février 1998 (Bull n°43 p 109, note Isabelle Moine-Dupuis au JCP 1999, II , 10178). Un père avait violé sa fille et une enfant était née de ce crime. Devant la Cour d'assises, la mère s'était constituée partie civile à la fois en son nom personnel et en qualité de représentante légale de sa fille mineure. La cour d'assises avait déclaré la constitution de partie civile de la mère es qualité irrecevable au motif que "l'enfant n'est pas la victime du crime de viol commis sur la personne de sa mère et qu'elle ne subit aucun préjudice découlant de cette infraction" . La chambre criminelle a cassé cette décision, au visa des articles 2 et 3 du code de procédure pénale dont il résulte que les proches de la victime d'une infraction sont recevables à rapporter la preuve d'un dommage dont ils ont personnellement souffert et qui découle des faits objet de la poursuite, en énonçant que la cour d'assises avait méconnu ces textes et ce principe en ne reconnaissant qu'à la seule personne ayant subi le viol le droit d'exercer l'action civile contre l'auteur des faits. Or le principe même de l'action civile de l'enfant née - d'ailleurs sans handicap physique apparent - du viol pouvait se heurter à l'objection déjà évoquée suivant laquelle sans ce crime elle ne serait pas venue à la vie, de même que sans la faute du médecin et du laboratoire dans l'affaire P..., l'enfant ne serait pas né.

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01-12-01, 09:15  (GMT)
3. "RE: Affaire Perruche : Le rapport Sargos"
Le rapport Sargos m'inspire les commentaires suivants

"(...)Le handicap de l'enfant apparu peu après sa naissance est donc bien la
conséquence directe de la faute commise par le médecin et le laboratoire
puisque sans cette faute il n'y aurait pas eu de handicap."

Contestable. Cet état est la conséquence directe de l'infection. L'erreur
médicale n'a fait que lui donner un avenir.

"Il n' y aurait pas non plus eu de vie, mais cette conséquence - qui soulève
évidemment de redoutables difficultés éthiques et juridiques que nous
aborderons dans la dernière et plus importante partie de cette réflexion -
est sans incidence sur l'appréciation du lien de causalité entre la faute
commises par le médecin et le laboratoire en manquant à leur obligation
contractuelle telle qu'elle vient d'être précisée - à savoir donner à Mme
P... les éléments lui permettant, pour empêcher le handicap, de recourir à
une I.V.G. - et le dommage apparu, c'est-à-dire le handicap de l'enfant."

En effet, mais le lien de causalité ne touche pas le handicap, mais la
survie du handicapé.

"(...)
40 . Il nous semble donc possible de conclure que l'appréciation du droit
qu'à un enfant de demander la réparation du préjudice consécutif à un
handicap d'origine endogène ne peut se faire sur le terrain simpliste, sinon
erroné, du lien de causalité envisagé biologiquement . A cet égard l'arrêt
attaqué qui, pour écarter la reconnaissance d'un préjudice de l'enfant,
insiste dans ses motifs (cf supra n° 15) sur le fait que la faute des
praticiens est " étrangère " aux conséquences de la rubéole est donc
contestable .C'est en réalité sur le terrain du principe fondamental du
respect de la personne humaine que pourrait se trouver, le cas échéant, la
justification d'un refus de réparer le préjudice de l 'enfant. Là est le
véritable coeur de la difficulté ."

Cette causalité biologique est pourtant, AMHA la seule à retenir.

"(...)
46 . On peut aussi observer que le refus d'admettre le préjudice de l'enfant
tout en admettant celui des parents recèle une irréductible, sinon
incohérente, contradiction interne sur laquelle plusieurs auteurs ont mis
l'accent .Cette incohérence tient au fait que le préjudice des parents est,
en dernière analyse, fondé exactement sur la même faute que celle invoquée
par l'enfant. En indemnisant les parents, on accepte nécessairement l'idée
de faire abstraction de la vie qui, sans la faute commise, n'aurait pas
existé . On retombe alors sur l'objection évoquée au n° 44."

En indemnisant les parents, on accepte l'évidence de la causalité de
l'erreur médicale sur leur préjudice. Mais il n'y a pas causalité pour le
préjudice de l'enfant.


"47.Si on se réfère à ce qui reste encore aujourd'hui un ouvrage de
référence en matière de droit de la responsabilité médicale, c'est-à-dire le
"Traité de droit médical" de R.Savatier , J.-M. Auby, J. Savatier et
H.Péquignot, édition de 1956, on peut relever au n° 317, p 299,
l'observation suivant laquelle le médecin qu'un malade incrimine d'une faute
dommageable à sa santé ne peut compenser ce dommage par les bienfaits du
traitement. Et les auteurs poursuivent : "Le médecin qui a sauvé le malade,
tout en le laissant infirme par sa faute, ne saurait refuser d'indemniser le
patient, sous prétexte qu'en le préservant de la mort il l'a gratifié d'un
bienfait très supérieur au dommage dû à sa faute. Ce n'est pas, en effet,
parce qu'il a satisfait pour partie au contrat médical qu'il peut se
dispenser de réparer le dommage causé par la violation partielle de ce
contrat" .

Cette comparaison est particulièrement fallacieuse. Dans ce cas, le médecin
indemnisera le patient parce qu'une faute de sa part aura constitué un
préjudice avec une causalité entre la faute et le préjudice, et que le fait
d'avoir survécu ne peut en effet annuler l'erreur commise. Dans le cas de
Nicolas, son état de santé n'aurait en aucun cas pu être influencé par un
comportement médical non fautif, puisqu'aucun traitement n'était disponible.
Le médecin aurait simplement pu faciliter la non-existence (ou le décès mais
c'est un autre débat) de l'individu, avec son handicap provoqué par la
maladie non évitable.


--
Dr Dominique Dupagne

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01-12-01, 10:05  (GMT)
4. "RE: Affaire Perruche : Le conseiller Sargos veut rassurer les médecins"
Le conseiller Sargos, dans une interview accordée au Concours Médical, tente de rassurer les médecins :
http://www.33docpro.com/Actu/Actu_index.asp?page=corps&c=3461&r=173

Extrait
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QUESTION :
Une autre décision récente de la Cour de cassation a soulevé un émoi considérable, il s'agit de l'arrêt Perruche. Les échographistes redoutent de se retrouver devant les tribunaux pour des risques qu'ils ne pouvaient matériellement pas prévoir…

REPONSE :
Ils ont tort ! La norme fondamentale de la responsabilité médicale repose sur les données acquises de la science, appréciées à la date des soins. Dans le cas de l'affaire Perruche, on sait depuis très longtemps que la rubéole contractée pendant la grossesse peut avoir des conséquences très graves sur l'enfant à naître. Les échographistes se sont émus, alors que c'est un généraliste qui a commis la faute de diagnostic. Au surplus, la Cour de cassation n'avait été saisie que du préjudice résultant de cette erreur de diagnostic. Et, dans les affaires jugées en juillet 2001, les fautes des échographistes n'étaient pas contestées devant la Cour de cassation, seul le préjudice l'était. En tout état de cause, qu'un médecin soit condamné pour un risque non connu au moment de l'acte médical est une hypothèse qui n'a aucun fondement sérieux.


--
Dr Dominique Dupagne

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01-12-01, 09:10  (GMT)
2. "RE: Affaire Perruche : l'arrêt Sainte-Rose"
Conclusions de M. SAINTE-ROSE,

Avocat général


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I - Introduction

Les deux nouvelles affaires de responsabilité médicale dont l'Assemblée plénière est saisie ont pour point de départ commun, la naissance d'un enfant atteint d'une trisomie 21 qui n'a pas été décelée in utero. Mais elles diffèrent très sensiblement quant aux circonstances qui ont déterminé la recherche de la responsabilité des praticiens et l'étendue de celle-ci : l'une où la faute médicale est contestée ne concerne que l'action des parents exercée pour leur propre compte tandis que dans l'autre, ces derniers ont agi tant en leur nom personnel qu'au nom de l'enfant handicapé.

Si la première espèce présente un caractère de nouveauté du moins pour l'Assemblée plénière, la seconde sera examinée au regard de sa jurisprudence la plus récente.

Devant l'ampleur inhabituelle des réactions suscitées par le très célèbre et très controversé arrêt P... du 17 novembre 2000, l'Assemblée plénière a décidé non pas de revenir sur sa décision - ce qui eût été surprenant - mais d'en cantonner la portée.(1)

Par trois arrêts du 17 juillet 2001, elle a réaffirmé le "principe" selon lequel l'enfant né avec un handicap devait être indemnisé dès lors qu'en raison d'une faute médicale sa mère n'a pu recourir à l'avortement afin d'éviter sa naissance.(2) Cependant, elle n'en a pas moins rejeté les pourvois formés contre des arrêts d'appel qui, dans des affaires similaires et conformément à la jurisprudence dominante des juges du fond, avaient écarté l'action de l'enfant - significativement appelée par les anglo-saxons action de vie dommageable (wrongful life)(3) - motif pris de l'absence de lien de causalité entre les fautes retenues et le préjudice invoqué.

En effet, pour la quasi-totalité des cours et tribunaux, la seule faute caractérisée à la charge des praticiens est un manquement à son obligation contractuelle d'information qui ne concerne que la mère, le handicap trouvant son origine dans une anomalie qui est le fait de la nature. La complexité des arguments des tenants de l'arrêt P... se heurte à la simplicité de l'évidence. Le médecin ne pouvant ni prévenir ni guérir cette anomalie qui préexistait à son intervention, l'erreur de diagnostic n'a pu qu'assurer la survie de l'enfant. Si tant est que la mère, dûment informée, aurait décidé de recourir à l'avortement, ce qui n'est pas toujours le cas. Et encore sa volonté ne suffit pas dans les hypothèses d'avortement pour motif dit thérapeutique (désormais médical depuis la loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001, article 10, la prétendue thérapie consistant, en effet, à tuer le malade pour supprimer la maladie).

Aussi, l'arrêt du 17 novembre 2000 nous avait-il paru, comme à beaucoup d'autres, faire le choix d'une causalité immatérielle et abstraite, purement juridique, dictée par le souci de faire porter le poids du dommage par le praticien en charge du diagnostic et pour tout dire fort indirecte. Telle a été l'opinion exprimée par le Comité national consultatif d'éthique dans son avis n° 68 du 29 mai 2001. Rappelons que le Conseil d'Etat a jugé le 14 novembre 1997, qu'il n'y avait pas de lien de causalité directe entre l'erreur commise par un centre hospitalier à l'occasion d'une amniocentèse et la trisomie 21 affectant un enfant handicapé.(4)

Écartant, une fois de plus, les constatations de fait des juges du fond qui avaient relevé, non sans pertinence, que les fautes médicales ne pouvaient être la cause des malformations qu'on reprochait précisément aux praticiens de ne pas avoir détectées, les trois arrêts du 13 juillet dernier affirment, au contraire, que le lien de causalité entre la faute médicale commise envers la mère et le handicap est direct.(5) Sous la réserve cependant que, lorsque la femme n'a pu avorter pour un motif thérapeutique, les conditions prescrites à cet effet par la loi (article L. 2213-1 du Code de la santé publique) soient réunies. À suivre ce raisonnement, la causalité d'imputation ainsi consacrée et qui se heurte à l'incompréhension du corps médical dépendrait de la nature de l'interruption de grossesse qui n'a pas eu lieu.

Il convient donc, pour la clarté du débat, d'apprécier, à la lumière de ces décisions, la portée de l'arrêt P... (a) avant d'évoquer brièvement les conditions d'exercice de l'action de l'enfant (b).

a) Une première observation s'impose. Les choix opérés jusqu'ici reposent, semble-t-il, sur l'idée que l'avortement est sinon un droit du moins un bienfait pour l'enfant atteint d'une anomalie. Très révélatrice est, à cet égard, la référence exclusive à l'article L. 2213-1 précité. Ce texte renvoie à des normes biologiques établies par des généticiens pour l'élimination du foetus. De prime abord, il peut paraître satisfaisant que la justice exerce un contrôle sur les conditions dans lesquelles intervient une interruption de grossesse pour motif "thérapeutique" lorsqu'il s'agit d'apprécier une faute se rapportant à l'acte abortif. Mais l'enfant étant bel et bien né, ce contrôle revêt un aspect des plus insolites et confère aux trois arrêts du 13 juillet une coloration fortement eugénique. Faut-il faire peser sur tout enfant malformé un "votum mortis" au prétexte de lui venir en aide ?(6) À vrai dire, l'examen des travaux préparatoires de la loi du 17 janvier 1975, de la loi elle-même et des textes qui l'ont modifiée révèle que l'avortement rebaptisé interruption de grossesse a été légalisé dans l'intérêt de la femme et sans doute dans celui de la société. Rien ne permet d'affirmer que cette mesure qui était alors qualifiée par ses promoteurs d'ultime recours, de moindre mal(7), ait été prise dans l'intérêt de l'enfant.(8) Cela signifierait que la société accrédite une véritable sélection des personnes.(9) Loin de considérer l'avortement comme une panacée, le législateur de 1975 a, dans une loi n° 75-554 du 30 juin(10), prévu en faveur des personnes handicapées des aides spécifiques qui ont été précisées par plusieurs décrets d'application. C'est l'insuffisance de ces aides qui est la cause des actions intentées contre les praticiens.

La loi, on le sait, prévoit deux formes d'interruption de grossesse :

L'interruption de grossesse en cas de situation de détresse (articles L. 2212-1 à L. 2212-11 du Code de la santé publique), condition de fait laissée à la libre appréciation de la femme(11), ce qui supprime la condition et lui permet d'avorter pour convenance personnelle. L'intervention médicale est cependant enfermée dans un certain délai, initialement avant l'expiration de la dixième semaine de grossesse. La loi précitée du 4 juillet 2001 qui a mis l'accent sur la liberté de la femme a allongé ce délai en le portant à douze semaines et a supprimé (à l'exclusion des mineures non émancipées) le caractère obligatoire de la procédure informative qui valait tant pour le libre choix de la femme que pour la protection de la vie de l'embryon ou du foetus.

Très différent est le régime de l'interruption de grossesse pour motif thérapeutique (médical) soumise à de strictes conditions de fond et de procédure qui n'ont pas été substantiellement modifiées (articles L. 2213-1 à L. 2213-3 du Code de la santé publique). Seule autorisée avant 1975 - en vue de la préservation de la vie de la mère - elle peut être, aujourd'hui, pratiquée "à toute époque", "soit que la poursuite de la grossesse mette en péril la santé de la femme, soit qu'il existe une forte probabilité que l'enfant à naître soit atteint d'une affection d'une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic". Pour avorter la femme doit obtenir une attestation délivrée par deux médecins qualifiés et confirmant que les conditions de fond requises par la loi sont remplies.

Le législateur a défini les cas d'avortement thérapeutique, ce qu'il n'a pas fait pour l'avortement de détresse.

Les deux formes d'interruption de grossesse répondent, en effet, à des finalités bien distinctes. Pour se soustraire à des difficultés d'ordre familial, économique, social ou moral dont elle n'a pas à rendre compte, la femme qui invoque un état de détresse refuse par hypothèse, d'assumer sa maternité, sa liberté de choix étant limitée dans le temps. D'une façon générale, c'est la situation de la mère qui caractérise l'état de détresse, l'état de santé de l'enfant ne pouvant, aux termes mêmes de la loi, justifier qu'un avortement thérapeutique.(12) Celui-ci ne connaît pas de limitation d'ordre temporel et concerne la femme qui, ayant un projet parental, doit se résoudre à interrompre sa grossesse parce qu'elle est dangereuse pour sa santé ou parce que l'accueil dans son foyer d'un enfant handicapé ne lui paraît pas souhaitable. À la différence de l'état de détresse, le motif médical doit faire l'objet d'un contrôle afin d'éviter certaines dérives eugéniques.

Néanmoins, l'idée a été émise que les deux formes d'avortement se succéderaient dans le temps, le recours à l'interruption de grossesse pour motif thérapeutique n'étant obligatoire qu'après l'expiration du délai de dix (douze) semaines(13), ce qui élargit le domaine d'application de l'avortement pour cause de détresse lequel ne dépend que de la volonté de la femme et facilite, en conséquence, l'exercice de l'action de vie dommageable. Certes, l'exposé des motifs de la loi de 1975 donne à penser qu'il en serait ainsi.(14) Mais n'a-t-on pas voulu dire, ce qui est exact, que cette forme d'avortement est seule possible une fois passé ce délai. En tout cas, le texte proposé et voté par le Parlement énonce sans ambiguïté que l'interruption "thérapeutique" de grossesse peut être pratiquée "à toute époque". Sauf à perdre le sens des mots, cela ne saurait signifier une fois expiré le délai de détresse. Les travaux préparatoires ne laissent subsister aucun doute à cet égard. On lit dans le rapport de la Commission des affaires sociales du Sénat : "Quel que soit le stade de la grossesse, avant ou après la dixième semaine, cette grossesse pourra être interrompue si la santé de la mère est en danger ou si une anomalie foetale très probable est décelée".(15) Cette assertion n'a pas été contredite, les débats parlementaires ayant porté uniquement sur la nécessité de fixer un délai maximal qui a été, en définitive, repoussé , certains examens ne pouvant être effectués que tardivement.(16)

En bonne logique, l'appréciation de l'état de santé de l'enfant ou de la mère se fait de la même manière, que l'on se place au début ou à la fin de la grossesse. D'ailleurs, un lien étroit unit l'avortement thérapeutique au diagnostic prénatal qui intervient, sous des formes variées, à différentes étapes de la grossesse et que la loi n° 94-564 du 19 juillet 1994 a assujetti à des conditions strictes, l'article L. 2131-1 du Code de la santé publique limitant son objet à la recherche d'une affection d'une particulière gravité. Ces dispositions sont destinées à éviter le recours systématique à des examens entraînant l'euthanasie foetale pour des anomalies mineures. Ajoutons que l'article L. 2222-3 dudit Code incrimine le fait de procéder à une interruption de grossesse après un diagnostic prénatal sans avoir respecté les modalités prévues par la loi, ce qui paraît inclure la consultation des deux médecins qualifiés. Même si ce texte n'est pratiquement pas appliqué comme du reste d'autres dispositions pénales issues de la loi de 1975, il témoigne cependant de la volonté du législateur de faire respecter les dispositions spéciales régissant l'avortement "thérapeutique". On ne saurait, en effet, procéder à un diagnostic prénatal en envisageant un éventuel avortement pour cause de détresse.

L'idée qu'il existerait un "cumul idéal" d'interruption de grossesse a été également soutenue, la femme ayant en quelque sorte le choix entre les deux formes d'interruption de grossesse.(17) Contraire à la lettre comme à l'esprit de la loi qui les distingue soigneusement en les faisant figurer dans des chapitres différents, cette thèse a été, à juste titre, combattue en doctrine.(18) Le prétendu cumul idéal permettrait de légitimer le fait que dans la pratique, les tests de dépistage étant de plus en plus nombreux et précoces, les femmes invoquent systématiquement leur situation de détresse à la suite d'un diagnostic alarmant. La procédure plus longue et plus contraignante de l'article L. 2213-1 et le risque de s'exposer à un avis médical négatif sont ainsi écartés. Comme l'a écrit un auteur "Le strict contrôle du motif thérapeutique est éludé et les mesures législatives destinées à éviter les dérives eugéniques se trouvent contournées".(19)

Ce n'est pas parce que, dans la pratique, la loi est méconnue que les juges doivent entériner des comportements illégaux.(20)

Les litiges portés jusqu'à présent devant les juridictions des deux ordres concernent les enfants dont le handicap ne s'est révélé qu'à leur naissance à la suite d'une erreur de diagnostic. C'est donc bien l'état de santé de l'enfant qui est en cause et le rend alors indésirable. L'avortement auquel la mère n'a pu recourir, faute d'avoir été correctement informée, aurait eu nécessairement un motif thérapeutique, la procédure prévue par l'article L. 2213-1 susvisé étant alors applicable. Pour en revenir à la première affaire jugée par l'Assemblée plénière, Mme P... qui craignait d'avoir contracté la rubéole - maladie bénigne pour les adultes et les enfants mais aux conséquences redoutables pour le foetus, le risque de contamination étant très élevé - avait annoncé son intention d'avorter si ses appréhensions se confirmaient. Faussement rassurée par des fautes médicales commises au début de sa grossesse, elle a poursuivi celle-ci jusqu'à son terme. En gardant l'enfant au-delà de la dixième semaine, elle a fait par là même la démonstration qu'elle ne se trouvait pas dans une situation de détresse. Dans un discours prononcé le 14 décembre 1974, le ministre de la Santé citait comme exemple d'interruption de grossesse pour motif thérapeutique le risque de contamination rubéoleuse.(21) Précisons que les parents qui exercent l'action de vie préjudiciable se gardent de qualifier l'avortement qu'ils déplorent de n'avoir pu pratiquer. À moins de vouloir pérenniser, en connaissance de cause, une interprétation erronée de l'article L. 2213-1 qui fait dépendre la nature de l'interruption de grossesse de la date à laquelle la faute médicale a été commise, l'arrêt P... ne devrait pas faire jurisprudence.

Pareille interprétation aurait d'ailleurs pour conséquence de consacrer une nouvelle discrimination entre les enfants admis à demander réparation du préjudice résultant de leur handicap. En effet, en cas de faute médicale commise avant l'expiration du délai légal d'interruption de grossesse ayant empêché la femme de recourir à une telle intervention pour raison de "détresse", à supposer son intention établie, le préjudice de l'enfant né handicapé pourrait être indemnisé, quelle que soit la gravité du handicap, puisque la procédure prévue par l'article L. 2213-1 ne pourrait être opposée à la femme se prétendant en détresse. En revanche, en cas de faute médicale commise après l'expiration du délai légal ayant empêché la femme de recourir à une interruption de grossesse pour motif médical selon la procédure de l'article L. 2213-1, le préjudice de l'enfant né handicapé ne pourrait être indemnisé que si son handicap présente un caractère particulièrement grave et incurable. Une telle discrimination entre les enfants ne peut que condamner l'idée d'un cumul idéal d'interruption de grossesse ouvrant à la femme, durant les douze premières semaines, une option entre les deux formes d'interruption de grossesse, dès lors qu'est en cause la santé de l'enfant et que l'on prétend fonder sur l'avortement ouvert à la femme la réparation du préjudice de l'enfant né handicapé.

En résumé, l'action exercée au nom de l'enfant ne saurait être fondée sur le fait que sa mère a été empêchée de pratiquer un avortement pour cause de détresse auquel elle ne pouvait légalement recourir, quelle que soit, durant la grossesse, la date de la faute médicale commise.


b) Le débat sur la causalité a largement occulté une question préalable dont la Cour de cassation n'a pas débattu jusqu'à présent mais sur laquelle la cour d'appel de Paris, juridiction de renvoi de l'affaire P..., devrait sans doute se prononcer, celle de l'existence d'un dommage réparable. Cette condition de la responsabilité civile n'est nullement malléable comme peut l'être la causalité qui constitue le lien entre le dommage et la faute, la propension des juges à l'adapter au but recherché étant bien connue.(22)

Mais l'enfant peut-il obtenir réparation du fait qu'il est né handicapé ? Les auteurs qui se disent favorables à l'arrêt P... se montrent, le plus souvent, fort discrets à cet égard ou n'apportent que des réponses évasives. Soutenir l'affirmative signifie, en effet, que l'enfant a perdu quelque chose (qu'a-t-il perdu ?), qu'il invoque la lésion d'un intérêt légitime juridiquement protégé (celui de n'avoir pas été privé d'une vie jugée inacceptable ?) et qu'il est titulaire, avant sa naissance, d'un droit subjectif qui a été violé (celui fantasmatique de ne pas naître ou de ne pas avoir été éliminé au stade foetal ?). Est-il besoin de rappeler que la reconnaissance d'un tel droit va à l'encontre du simple bon sens puisque la vie est donnée à chacun de nous, qu'il est impossible de choisir de ne pas naître et que l'ensemble des droits subjectifs présuppose l'existence de la personne ? Encore une fois, l'enfant est dans un état dommageable, il n'a pas été victime d'un fait dommageable imputable à un tiers.(23)

En somme, pour atteindre le résultat recherché - l'indemnisation d'un préjudice qui n'a jamais été défini - il faut forcer, à tous les niveaux, les cadres du droit de la responsabilité civile. Ce qui rendra ce droit très difficile à discipliner et ne sera pas sans conséquences en dehors des hypothèses concernant la responsabilité médicale.

De plus, l'application des règles qui régissent le droit de la responsabilité civile conduit inévitablement à de véritables impasses éthiques et logiques dans la mesure où la réparation en droit tend à remettre les choses en état comme si le dommage ne s'était pas produit. Or, la non-survenance du dommage ne réside que dans l'interruption de grossesse, ce qui signifie que l'enfant est admis à se plaindre de n'avoir pas été euthanasié. N'y a-t-il pas, d'autre part, une irréductible contradiction entre le fait de saisir la justice, donc de se prévaloir de sa qualité de sujet de droit et le fait de demander au juge de dire qu'on ne devrait pas exister ?

Une autre aporie tient à l'évaluation du préjudice puisqu'il s'agit de mettre en parallèle non pas deux états successifs d'une même personne qui aurait perdu une partie de son potentiel mais la vie handicapée et l'inexistence. L'absence de vie qui n'est pas évaluable, par définition, constitue néanmoins le seul terme de comparaison dès lors que l'avantage pour l'enfant, selon ses parents, aurait été d'être avorté. La justice peut-elle attribuer au néant une valeur supérieure à la vie handicapée ?

Les juges seront alors obligés de dégager des critères de normalité à partir desquels ils apprécieront qu'il y a tel ou tel degré de préjudice et tel ou tel niveau de réparation. Or, ces critères n'existent pas en fait mais puisqu'il faudra les inventer pour les besoins de l'évaluation, ils seront forcément arbitraires et ne pourront avoir de frontières objectives faute de pouvoir se référer à un état corporel antérieur que l'erreur fautive du praticien aurait détérioré.

Sur le plan biologique, la science peut caractériser des états pathologiques mais n'est pas apte à déterminer les critères de la "normalité" susceptible de fixer des éléments de référence pour l'appréciation du préjudice corporel. On voit mal comment de tels critères que devront inventer les juges du fond pourraient se constituer de manière objective. Quant au préjudice moral, la souffrance psychique liée à l'existence est sans frontières définissables. L'hypothèse est différente de celles dans lesquelles le préjudice moral est réparé car là encore il s'agit d'évaluer la souffrance d'être - avec telle ou telle caractéristique - et non la souffrance ressentie par la perte d'un être cher ou par l'altération d'un état antérieur.

Dans le même ordre d'idées, la logique des arrêts du 13 juillet 2001 impose en quelque sorte le recours à une expertise médicale lorsque l'interruption de grossesse qui n'a pas eu lieu aurait eu un motif médical qui tient, répétons le, à l'état de santé de l'enfant et non à la date à laquelle a été commise la faute du praticien. Mais l'évaluation du préjudice de l'enfant implique que le droit soit conditionné par des normes biologiques déterminées par les experts. Or, l'expertise médicale lors du diagnostic prénatal est normalement conçue et justifiée pour apprécier la faute médicale et, en l'espèce, la légalité de l'intervention de grossesse pour motif médical. La référence admise en droit positif aux données acquises de la science est dans ce cas pleinement justifiée. S'il s'agit non plus d'apprécier la faute mais le caractère réparable du préjudice, l'expertise est détournée de son objet et sert au contraire à déterminer le critère du droit à réparation lui-même. Par suite, le droit subjectif de la personne handicapée se trouvera subordonné à des normes ou à des appréciations biologiques de son état naturel dont les experts tiendront nécessairement compte. Les rôles respectifs du droit et de la science s'en trouveraient en quelque sorte inversés au bénéfice des normes scientifiques.

Cela donnerait raison à Georges Canguilhem qui, après avoir démontré que la normalité par opposition à la pathologie ne saurait être transposée des sciences médicales aux sciences sociales, prévoyait et redoutait que la norme biologique d'un organisme humain résulte de "la coïncidence de cet organisme avec les calculs d'un généticien eugéniste".(24)

Les parents, dont les demandes constituent une remise en cause de l'existence même de l'enfant, sont-ils, du reste, les mieux qualifiés pour assurer sa représentation en justice ? Peut-on nier les inévitables conflits d'intérêts ?

Par ailleurs, la vie de l'enfant, sa relation avec ses proches sont-elles à construire autour de cette notion de préjudice qui l'enferme dans sa différence et les circonstances de sa naissance ?

On comprend que, tout en revendiquant les moyens d'élever dignement leur enfant handicapé et d'assumer son avenir, nombre de parents soient choqués qu'il y ait visiblement avantage à être né à la suite d'une erreur médicale et contre le souhait de ses géniteurs plutôt que d'être accepté par ceux-ci malgré une malformation connue ou non.

Si l'action de l'enfant est consacrée par la jurisprudence, les parents ne seront-ils pas tenus, en leur qualité d'administrateurs légaux, de l'exercer en son nom ? À défaut, ils commettraient, en effet, une faute dont ils pourraient être solidairement responsables en vertu de l'article 389-5 du Code civil.

Enfin, force est de reconnaître que l'action de vie dommageable - qui fait de l'enfant un préjudice pour lui-même et pour sa famille - est contraire au principe d'égalité car elle multiplie les discriminations entre des personnes dont les besoins sont objectivement les mêmes. Elle ne sera pas ouverte aux handicapés qui naissent dans les hôpitaux publics. Seuls bénéficieront d'une éventuelle indemnisation ceux qui peuvent invoquer une faute médicale. Et, à l'intérieur de ce groupe, ceux dont les parents auront exprimé le regret qu'ils soient venus au monde. Si l'on maintenait, malgré tout, le clivage entre les enfants qui auraient pu subir un avortement pour cause de détresse et ceux qui ont échappé à l'avortement thérapeutique, les premiers seraient mieux traités que les seconds. Enfin, pour ceux-ci, tout dépendra de la gravité du handicap qui sera nécessairement l'objet d'appréciations subjectives, donc susceptibles de diverger d'une juridiction à l'autre.

Au total, nombreux sont les obstacles de nature essentiellement juridique qui s'opposent à l'exercice de l'action de vie dommageable ou qui ne lui permettent pas d'atteindre son but. L'examen des deux affaires inscrites au rôle de ce jour nous conforte dans cette opinion.


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* * *

II - L'affaire époux X... (arrêt 1) contre Mme Y... (arrêt 1)

A. Les faits et la procédure

Les circonstances de la cause ne sont pas exposées avec une rigueur suffisante par les juges du fond qui ont statué au vu des pièces d'un dossier médical. À défaut d'ordonner une expertise qui n'a pas été sollicitée par les demandeurs à l'action, ils auraient mieux fait de recourir à la consultation d'un généticien qui les aurait renseignés sur les données médicales litigieuses et le comportement du praticien, celui-ci soutenant n'avoir commis aucune faute.

Il ressort en tout cas de l'arrêt confirmatif que, déjà mère d'un enfant dont elle avait accouché par voie de césarienne et qui, d'après le jugement, souffre de troubles psychomoteurs, Mme X... (arrêt 1), après avoir fait le choix d'un nouveau gynécologue, Mme Y... (arrêt 1), l'a consultée, en avril 1996, pour le suivi d'une deuxième grossesse. Elle a, selon ses dires, informé le praticien des difficultés rencontrées lors de son précédent accouchement et lui a confié que la soeur de son mari, était atteinte d'une trisomie 21.

Mme Y... (arrêt 1) a prescrit un test de dépistage de cette anomalie qui n'a jamais été effectué, sa patiente ayant fait une fausse-couche sans étiologie apparente.

De nouveau enceinte en septembre 1996, Mme X... (arrêt 1) a été suivie par le même gynécologue qui, cette fois, s'est abstenu de prescrire un examen de dépistage. Le 27 avril 1997, elle a mis au monde un enfant porteur d'une trisomie 21.

C'est dans ces conditions que reprochant au docteur Y... (arrêt 1) de n'avoir pas procédé à un contrôle ou à un examen conforme aux données acquises de la science, les époux X... (arrêt 1) l'ont assigné devant le tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand en réparation du préjudice matériel et moral qu'ils estimaient avoir subi.

Par jugement du 3 février 1999, le tribunal a retenu que le praticien avait commis une faute en manquant à son devoir d'information envers les époux X... (arrêt 1) et l'a condamné à verser à chacun d'eux une somme de 500 000 francs pour indemniser un préjudice constitué par l'impossibilité de prendre une décision éclairée de mettre ou non un terme à la grossesse. En revanche, le tribunal les a déboutés de leur demande d'indemnisation du préjudice matériel.

Sur l'appel de toutes les parties, la cour d'appel de Riom a, par un arrêt du 16 décembre 1999, confirmé la décision des premiers juges mais a réduit à 200 000 francs le montant des dommages et intérêts alloués au titre du préjudice moral.

Contre cet arrêt les époux X... (arrêt 1) se sont pourvus en cassation ; un pourvoi incident a été relevé par Mme Y... (arrêt1).

La procédure paraît régulière.

Il n'est pas sans intérêt d'observer liminairement que les demandeurs au pourvoi principal n'ont pas exercé, en l'espèce, l'action de vie dommageable au nom de leur enfant. Citons à cet égard les termes du mémoire ampliatif : "À l'évidence, l'infirmité du jeune Yvan ne pouvait être regardée comme une conséquence du refus du docteur Y... (arrêt 1) de pratiquer une amniocentèse : la trisomie est une anomalie génétique pour laquelle il n'existe aucun traitement et la circonstance qu'elle ne soit pas détectée in utero n'a pour effet ni de provoquer l'infirmité de l'enfant ni de retarder la mise en service de moyens thérapeutiques.

Le dommage imputable au gynécologue ne pourrait donc résider dans l'infirmité de l'enfant, quelque fâcheuse qu'elle fût pour lui-même comme pour ses parents".

Cela dit, l'examen du pourvoi incident est préalable, le médecin contestant la faute qui lui était reprochée.


B. Le pourvoi de Mme Y... (arrêt 1)

Le moyen unique du pourvoi comporte deux branches.

1) Faisant valoir que le praticien n'est tenu de conseiller à la femme enceinte de pratiquer un test de dépistage ou une amniocentèse que lorsqu'il existe des risques que le foetus soit atteint d'une aberration chromosomique, la première branche du moyen, prise d'un manque de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil, s'attaque aux constatations dont la cour d'appel a déduit que le comportement du gynécologue avait été fautif. L'arrêt retient que "la conjugaison de (l')antécédent familial d'anomalie de structure chromosomique et des difficultés présentées par la parturiente au cours des deux grossesses précédentes permettait de considérer qu'elle était une patiente à risques(25) alors qu'elle n'était âgée que de trente ans, justifiant l'indication d'une amniocentèse ou à tout le moins du test HT 21 déjà prescrit en cours de deuxième grossesse"(26).

Ces motifs qui amalgament des éléments de fait sans rapport entre eux ne sont a priori guère convaincants. Les difficultés rencontrées lors du premier accouchement de Mme X... (arrêt 1), qui étaient dues à un rétrécissement du bassin et à une toxémie gravidique n'ont rien à voir avec la trisomie 21. Quant à la cause de la fausse couche qui a interrompu la deuxième grossesse, elle est restée inconnue.

L'arrêt ne s'explique pas sur "l'antécédent familial" mais on comprend mal que le gynécologue se soit abstenu de prescrire un test de dépistage au cours de la troisième grossesse alors qu'elle l'avait fait peu de temps auparavant.

Le jugement confirmé relève que Mme Y... (arrêt 1) reconnaissait qu'elle aurait prescrit de nouveau un test si elle avait eu connaissance de la trisomie 21 de la belle-soeur de sa patiente. Mais cet argument est sans valeur dès lors que cette anomalie était mentionnée dans le dossier médical de Mme X... (arrêt 1), peu important que ce fût à l'occasion de sa deuxième grossesse. Il appartenait au praticien d'assurer, à quelques mois d'intervalle, un suivi efficace de la troisième grossesse, ce qui n'a pas été le cas.

Certes, les caryotypes de chacun des époux établis après la naissance de l'enfant, n'ont rien révélé d'anormal mais l'arrêt a constaté que la belle-soeur de Mme X... (arrêt 1) était atteinte, d'après le dossier médical, d'une trisomie par translocation, signe d'une anomalie chromosomique parentale. A la différence de la trisomie "libre" qui est due uniquement au hasard chromosomique, cette forme de trisomie est parfois transmissible. L'un des parents "normal" est porteur d'une translocation "équilibrée" et court donc le risque d'avoir un enfant trisomique.(27) Informée de l'état de la soeur de Mme X... (arrêt 1), même s'il n'induisait pas que celui-ci fût atteint de cette anomalie génétique, le docteur Y... (arrêt 1) aurait du faire preuve d'une vigilance toute particulière et inviter le couple à se soumettre à un diagnostic prénatal. Ces précisions éclairent la référence faite dans l'arrêt à "l'antécédent familial de structure chromosomique" dont les juges ne semblent pas cependant avoir compris la véritable portée. Ajoutons que depuis 1996 a été institué, sans être obligatoire, un dépistage systématique de la trisomie, un test remboursé par la Sécurité sociale devant être proposé à chaque grossesse.

Toutefois, si le comportement du praticien paraît inconséquent et bien que ses explications soient empreintes de mauvaise foi, les énonciations du juge du fond qui se fondent sur la "conjugaison" d'éléments de fait sans lien apparent semblent insuffisantes pour caractériser la faute médicale. Une cassation pour manque de base légale est donc envisageable.

2) Au cas où la première branche du moyen serait rejetée, la seconde devrait connaître un sort identique. Prise, elle aussi, d'un manque de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil, elle fait reproche à la cour d'appel de n'avoir pas recherché, comme elle y était invitée, si les parents n'avaient pas renoncé, à l'avance, à pratiquer une interruption volontaire de grossesse.

En réalité, les époux X... (arrêt 1) s'étaient initialement plaints d'avoir été privés d'une information susceptible de les aider à se déterminer relativement à la poursuite de la grossesse tout en reconnaissant ne pas être sûrs de leurs choix s'ils avaient connu, en temps utile, le risque de trisomie encouru par leur enfant.

Dans ses écritures d'appel, Mme Y... (arrêt 1) avait allégué qu'il n'était pas certain que Mme X... (arrêt 1) aurait opté pour l'avortement mais elle n'a pas demandé aux juges du second degré d'effectuer la recherche prétendument omise et qui ne concerne pas du reste l'action des parents. La seconde branche du moyen manque en fait.

On soulignera, en dernier lieu, que, dans l'hypothèse d'une faute d'abstention d'un praticien, la distinction dans le temps entre les deux formes d'avortement devient pratiquement impossible. Le seul critère à retenir est alors celui de l'état de santé de l'enfant qui justifie, le cas échéant, le recours à l'interruption de grossesse pour motif médical.


C. Le pourvoi des époux X... (arrêt 1)

Deux moyens de cassation ont été présentés au soutien du pourvoi principal qui ne sera examiné qu'en cas de rejet du pourvoi incident.

1) Le premier moyen fait grief à la cour d'appel d'avoir débouté les époux X... (arrêt 1) de la demande tendant à obtenir réparation de leur préjudice matériel. En statuant ainsi, au motif que la faute médicale n'était pas en relation causale avec l'anomalie génétique de l'enfant, la cour d'appel aurait violé l'article 1147 du Code civil.

Du fait de la naissance d'un enfant handicapé à laquelle ils n'étaient pas préparés psychologiquement et matériellement les parents se trouvent dans l'obligation de supporter certaines dépenses (aménagement d'un logement, assistance d'une tierce personne).

Sans se prononcer sur l'étendue de leur préjudice matériel, la première chambre de notre Cour en a admis le principe d'abord dans un arrêt du 16 juillet 1991 suivi de deux décisions rendues le 26 mars 1996 dont l'une concerne l'affaire P...(28).

De même, l'arrêt déjà cité du Conseil d'Etat du 14 février 1997 a réparé, outre le préjudice moral des parents, leur préjudice matériel en incluant dans celui-ci une rente mensuelle pendant la durée de la vie de l'enfant.

Cette solution n'a soulevé aucune difficulté d'ordre juridique ou éthique. On s'autorisera à rappeler que la jurisprudence P... tire son origine du souci de ne pas laisser les parents dilapider des sommes destinées à garantir à l'enfant une vie décente après la disparition de ses père et mère. Il n'est pas certain que cette méfiance le plus souvent injustifiée à l'égard de ces derniers, administrateurs légaux des biens du mineur, serve véritablement les intérêts de celui-ci.

En effet, si l'action de vie dommageable se heurte à bien des obstacles - en raison notamment de son inadaptation aux principes de la responsabilité civile - celle des parents trouve un fondement juridique certain dans les articles 203 et 213 du Code civil qui leur font respectivement l'obligation de faire vivre l'enfant et de préparer son avenir.

Le préjudice matériel des parents correspond aux charges excédant celles qu'ils doivent normalement supporter pour l'entretien de l'enfant et nous paraît entrer dans les prévisions des textes susvisés.

C'est pourquoi nous ne partageons pas l'avis de Monsieur le conseiller rapporteur qui suggère de substituer au motif critiqué par le pourvoi et tenant à l'absence de lien de causalité entre la faute médicale et le handicap un motif de pur droit qui tend à réserver à l'enfant l'action en réparation de son propre préjudice lequel s'étendrait donc au préjudice matériel.

On ne peut que s'interroger sur le bien-fondé d'une proposition qui exclut a priori toute indemnisation du préjudice matériel des parents sur qui pèse la charge de certaines dépenses liées au handicap de l'enfant. Indemniser celui-ci au titre de ce même préjudice revient d'ailleurs à élargir l'assiette du recours subrogatoire des organismes de sécurité sociale, ce qui ne serait pas le cas dans l'hypothèse où serait accueillie la demande des parents.

Une cassation pourrait, dès lors, intervenir sur un moyen relevé d'office et pris de la violation des articles 203 et 213 du Code civil. La juridiction de renvoi se prononcera sur les éléments du préjudice matériel invoqué par les époux X... (arrêt 1) et qui, d'après leurs conclusions, serait constitué par les frais d'éducation de l'enfant.

2) Selon le second moyen de cassation, les juges du fond étant tenus de trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables et non sur l'équité, la cour d'appel ne pouvait, sans violer l'article 12 du nouveau Code de procédure civile, réduire la somme fixée par les premiers juges au motif que celle de 200 000 francs correspondait à une indemnisation équitable de leur préjudice moral.

En l'occurrence, la cour d'appel ayant reconnu l'existence d'un tel préjudice lié à l'impossibilité pour les parents de recourir à l'interruption de grossesse, en ont souverainement apprécié le montant sans pour autant statuer en équité. Le terme équitable ayant été utilisé de manière impropre, le moyen ne peut qu'être écarté.(29)


*

* * *

III - L'affaire Mme X... (arrêt 2) c/ M. Y... (arrêt 2)

A. Les faits et la procédure

Mme X... (arrêt 2), âgée de 20 ans, dont la grossesse avait été suivie par le docteur Y... (arrêt 2), gynécologue, a mis au monde le 7 janvier 1995 un garçon atteint de trisomie 21.

Or, à seize semaines d'aménorrhée (dix-huit semaines de grossesse), elle avait subi un examen chromosomique par prise de sang permettant le dosage de certaines substances appelées "marqueurs sériques", dans le cadre d'une opération de dépistage des anomalies chromosomiques du foetus.

Ayant appris que l'examen pratiqué à la demande de M. Y... (arrêt 2) avait révélé des résultats considérés comme très supérieurs aux valeurs admises comme normales et qui laissaient donc craindre un risque accru de trisomie sans que le praticien le lui ait signalé ni prescrit des examens complémentaires, Mme X... (arrêt 2) l'a assigné en référé aux fins d'expertise.

Dans son rapport, l'expert a conclu "qu'il peut être affirmé qu'au vu des examens biologiques et autres réalisés au cours de la grossesse, à savoir un dosage élevé de bêta HCG... et une discordance entre les mesures du diamètre bipariétal et du fémur du foetus, aurait dû être évoqué auprès de la patiente le risque de survenance d'une trisomie 21". Aux résultats du test s'ajoutaient, par conséquent, des "signes d'appel" échographiques.

Reprochant au docteur Y... (arrêt 2) de l'avoir privée de l'information qui lui aurait permis de "prendre ses propres responsabilités quant à la poursuite de la grossesse", Mme X... (arrêt 2), agissant en son nom personnel et comme administrateur légal de son fils, l'a assigné devant le tribunal de grande instance de Brest en réparation de son préjudice moral et afin que soit ordonnée une expertise médicale pour décrire l'état de l'enfant et évaluer son préjudice matériel.

Elle a, en outre, demandé acte de ce qu'elle se réservait de réclamer l'indemnisation du dommage subi par l'enfant lui-même.

Le 11 mars 1998, le tribunal a jugé que M. Y... (arrêt 2) n'avait pas donné une information appropriée à sa patiente, l'a condamné à réparer son préjudice moral et désigné un expert aux fins demandées.

En revanche, le tribunal a déclaré irrecevable la demande d'indemnisation formée au nom de l'enfant dont l'état ne pouvait être qualifié de préjudice en l'absence d'atteinte à un intérêt légitime juridiquement protégé.

Sur l'appel de Mme X... (arrêt 2), la cour d'appel de Rennes a, par un arrêt du 15 septembre 1999, décidé d'évoquer l'affaire et de statuer sur les points qui n'avaient pas été jugés en première instance.

Le 19 janvier 2000, la cour d'appel a condamné M. Y... (arrêt 2) à verser à l'appelante une somme de 100 000 francs pour son préjudice économique, déclaré recevable la demande d'indemnisation du préjudice subi personnellement par l'enfant, évalué ce préjudice à 650 000 francs et confirmé le jugement en ses dispositions non contraires.

Estimant insuffisantes les réparations allouées à son fils, Mme X... (arrêt 2) s'est pourvue contre cette décision. Un pourvoi incident a été relevé par le défendeur.

La procédure n'appelle aucune observation particulière.

Il convient d'examiner, en premier lieu, le pourvoi du praticien qui a trait à sa responsabilité.

B. Le pourvoi de M. Y... (arrêt 2)

Le moyen unique du pourvoi qui vise l'article 1383 du Code civil ne conteste pas la faute mais la corrélation entre celle-ci et le handicap que l'enfant portait en lui, précise-t-il, dès le moment de la conception. Il soutient que la cour d'appel n'a pas caractérisé le lien qui unit le défaut d'information de la mère à la trisomie 21 de l'enfant et rappelle en outre, que le fait de naître ne saurait constituer en soi un préjudice.

Se singularisant par rapport aux autres juridictions du fond, la cour d'appel de Rennes considère, en effet, que la faute commise par le praticien est en relation causale avec la naissance de l'enfant porteur de la trisomie 21. Elle semble ignorer la jurisprudence de la Cour de cassation(30) qui, à l'instar du Conseil d'Etat,(31) a jugé que nul ne peut se plaindre de sa naissance. Son raisonnement ne l'a pas conduite jusqu'à retenir une causalité directe entre le diagnostic erroné d'une aberration chromosomique qui est le fruit du hasard, l'absence consécutive d'interruption de grossesse et le handicap de l'enfant. L'action de vie dommageable ne procède-t-elle pas d'une confusion entre la naissance et le handicap ?

Quoi qu'il en soit, la critique du moyen est inopérante compte tenu de la position prise par l'Assemblée plénière sur le lien de causalité. Toutefois, les trois arrêts du 17 juillet 2001 ont introduit dans notre jurisprudence un concept nouveau, celui de causalité directe conditionnelle, les conditions étant celles prévues par la loi en ce qui concerne l'interruption de grossesse pour motif thérapeutique. Or, au cas d'espèce, l'interruption qui aurait pu être envisagée relevait de cette catégorie, non pas en raison de la date de la faute médicale dont nous avons dit qu'elle était indifférente mais parce que l'état de santé de l'enfant est en cause.

L'arrêt entrepris ne faisant même pas allusion aux conditions fixées par l'article L. 2213-1 du Code de la santé publique, la censure est encourue sur un moyen qui devrait être relevé d'office et pris de la violation de ce texte.

Décider du contraire parce qu'il s'agit d'un enfant trisomique ne serait guère cohérent, la loi, de portée générale, s'appliquant à toutes les anomalies congénitales quelle que soit leur origine. On ne peut envisager, dès à présent, d'indemniser l'enfant, comme le fait Monsieur le conseiller rapporteur sans préjuger que l'avortement aurait eu lieu et tenir pour acquis non seulement l'avis des médecins qualifiés que désigne l'article L. 2213-1 du Code de la santé publique mais encore le consentement de la femme.

Il serait redoutable pour la justice d'affirmer ou de laisser entendre que tout individu atteint d'une trisomie 21 aurait dû être avorté. Une catégorie entière de malades serait ainsi disqualifiée. Une autre catégorie suivrait et encore une autre. On entrerait dans cette qualification/élimination dont Poliakoff et Hanna Arendt ont dit qu'elle caractérisait les régimes totalitaires.(32)

On ne saurait partir d'une probabilité statistique dès lors que de nombreux parents laissent vivre ou accueillent des enfants trisomiques, les élèvent, les aiment et sont aimés en retour.

Faut-il juger "raisonnable" qu'à cause d'un retard mental, d'ailleurs variable d'un sujet à l'autre, l'avortement aurait été inévitable, en faisant l'enfant plaider qu'il aurait mieux fait de ne pas exister. Cette solution n'est pas raisonnable au sens kantien du terme car elle n'est pas susceptible d'être généralisée. C'est ce que l'on juge en matière de refus de soins, l'autodétermination de l'intéressé ne pouvant faire obstacle à la décision de le sauver quand même.(33)

Dans la logique des arrêts du 13 juillet, la juridiction de renvoi devra vérifier que les conditions requises par ledit article auraient été réunies en l'espèce et, par conséquent, s'agissant d'un contrôle médical que les juges ne peuvent effectuer eux-mêmes, faire rechercher par des experts si, à l'époque où sa mère était enceinte, l'enfant n'aurait pas dû être avorté.(34)

Nous avons déjà souligné, dans nos précédentes conclusions, combien pareille recherche est contraire au droit comme à l'éthique. Elle méconnaît sûrement le principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine au sens où l'entend le Conseil constitutionnel et qui est la reconnaissance de l'égale appartenance de tout homme à l'espèce humaine.(35)

Ce principe se retrouve dans l'article 16 du Code civil, qui implique l'égale dignité des êtres humains.

Affirmer que l'enfant aurait dû être tué revient à le retrancher de l'humanité ; c'est anéantir rétroactivement sa personnalité juridique.

On ne saurait mieux mettre en évidence que l'objet de l'indemnisation n'est pas son handicap mais bien sa vie. Et s'il est lucide, l'enfant découvrira qu'il est un préjudice pour lui-même comme pour ses parents. A-t-on mesuré la violence qui lui est faite ?

Par ailleurs, quel rôle veut-on faire jouer aux experts judiciaires ? Confrontés à l'évidence du handicap d'un enfant malformé, ils devront en quelque sorte se dédoubler pour se mettre à la place des deux médecins qualifiés et formuler une sorte de pronostic rétrospectif alors que le risque s'est réalisé. La procédure prend ainsi un tour bien particulier, les hommes de l'art étant chargés d'expliquer pourquoi les diverses pathologies décelables au cours de la grossesse les auraient conduits, objectivement, à estimer qu'il y aurait eu plus d'inconvénients à laisser vivre l'enfant qu'à le supprimer. Après la survenance du dommage, le risque a toutes les chances de paraître inacceptable. L'indicible est alors en cause, ce qui n'est pas du domaine du droit.

Au demeurant, ce contrôle a posteriori est-il compatible avec les devoirs généraux du praticien qui, d'après l'article 2 du Code de déontologie médicale "exerce sa mission dans le respect de la vie humaine, de la personne et de sa dignité" ?

On doit aussi s'interroger sur la compatibilité avec la loi elle-même de la "mission impossible" qui serait confiée aux experts. Il résulte de l'article L. 2213-1 du Code de la santé publique que l'avortement n'est légal que si l'enfant à naître est très probablement atteint d'une affection particulièrement grave et reconnue comme incurable au moment du diagnostic.

La consultation des deux médecins qualifiés est clairement située dans le temps - au moment du diagnostic - et il est évident que "l'examen ex post par une autre équipe d'experts ne peut conduire à ce résultat", ce qui "démontre que la situation objective de l'enfant est inséparable de l'avis contemporain des deux médecins". Autrement dit, cet avis n'ayant pas été donné et ne pouvant plus l'être, la femme ne saurait prétendre avoir été empêchée d'avorter pour motif médical.(36) Enfin, appartient-il aux experts de se prononcer sur le droit à indemnisation ?

Un dernier paramètre doit être pris en considération : il s'agit du consentement de la femme à l'acte abortif. Comment les experts ou les juges pourront-ils affirmer avec certitude qu'elle aurait fait le choix d'interrompre sa grossesse ? Que peut valoir la déclaration de la femme qui, par avance exprime sa volonté d'avorter en cas de diagnostic alarmant ? Se procurer une preuve à soi-même n'est pas juridiquement admissible et ce serait créer un avantage injustifié à la future mère qui, instruite par l'expérience ou plus avisée que d'autres, fait une telle déclaration. Sa liberté de choix lui permettant de se rétracter, on ne saura jamais ce qu'elle aurait finalement décidé.

En l'espèce, après avoir reconnu qu'il n'existait aucune certitude quant à la décision qu'aurait prise Mme X... (arrêt 2) si elle avait été correctement informée, la cour d'appel s'est contredite, en privilégiant, sur la base de suppositions, l'hypothèse de l'interruption de grossesse. Une probabilité se transformerait ainsi en certitude absolue. N'est-ce pas dénier à la femme son libre arbitre ? D'exception apportée par le législateur au principe d'ordre public du respect de la vie dès son commencement, l'avortement deviendrait alors la règle.

Pour toutes ces raisons, une cassation totale devrait intervenir mais sans renvoi.

C. Le pourvoi de Mme X... (arrêt 2)

Si, comme nous le pensons, le pourvoi incident est accueilli, il devient inutile de statuer sur le pourvoi de Mme X... (arrêt 2) qui discute l'évaluation du préjudice matériel de l'enfant par la cour d'appel à qui elle reproche de n'avoir retenu l'assistance d'une tierce personne que pour les premières années de sa vie au motif qu'il devait être placé dans une institution spécialisée, les frais d'internat étant pris en charge par des organismes sociaux. Mais ce chef de préjudice ne concerne-t-il pas d'abord la mère qui a été dédommagée de son préjudice économique ?

La demanderesse fait encore grief à l'arrêt de n'avoir pas indemnisé l'incapacité permanente partielle de son fils. Mais celui-ci ne justifie pas que sa capacité physique ait été diminuée depuis sa naissance.

Monsieur le conseiller rapporteur propose de soulever d'office un moyen de cassation pris de la violation des articles 1147 et 1382 du Code civil, ayant pour objet de limiter la réparation du préjudice de l'enfant "aux éléments de son préjudice personnel, correspondant aux souffrances physiques et morales par lui endurées et à ses préjudices esthétique et d'agrément".

On remarquera d'emblée que ce moyen ne tient aucun compte des trois arrêts du 13 juillet 2001 alors qu'il ne résulte pas des constatations des juges du fond que les conditions prescrites pour l'avortement dit thérapeutique aient été remplies en l'espèce. Simultanément et une fois de plus, le débat sur le préjudice réparable est éludé mais il ne pourra pas l'être indéfiniment.

Pour restreindre la réparation du préjudice de l'enfant aux seuls éléments de son préjudice "personnel" à l'exclusion du préjudice matériel - en contradiction avec ce qui est suggéré dans l'affaire précédente - Monsieur le rapporteur s'appuie sur deux arguments qui lui paraissent s'opposer à une condamnation du médecin fautif à la réparation intégrale des conséquences dommageables du handicap de l'enfant.

D'une part, il ne serait pas équitable à l'égard du médecin de mettre à sa charge une obligation de réparation disproportionnée par rapport à sa faute(37). Celui-ci ne devrait répondre que de la part d'indemnité correspondant aux souffrances physiques ou morales et aux préjudices esthétique et d'agrément. D'autre part, le domaine de la réparation des préjudices économique et corporel serait en quelque sorte assuré au titre de la solidarité nationale ; ce qui éviterait un cumul entre indemnisation du préjudice matériel et prestations sociales versées par les organismes sociaux, contraire au principe de la réparation intégrale qui veut que la victime ne subisse ni perte ni ne tire profit.

On ne peut souscrire à une telle analyse.

D'abord, sur le terrain de la causalité, si on admet que la faute médicale de diagnostic prénatal est la cause du préjudice de l'enfant résultant de son handicap, elle est alors la cause de la totalité du préjudice. Il est arbitraire de poser que le médecin serait plus responsable du préjudice personnel que matériel.

Ensuite, loin de le respecter, l'analyse et la solution proposée méconnaissent le principe de réparation intégrale du préjudice constamment réaffirmé par toutes les chambres de notre Cour(38). Juridiquement, il n'est guère pertinent de prendre appui sur l'action sociale en faveur des personnes handicapées pour justifier l'exclusion d'une indemnisation du préjudice matériel de l'enfant né handicapé. Il serait d'ailleurs piquant de constater, d'un côté, que l'insuffisance si souvent dénoncée de la politique menée en faveur des personnes handicapées ait pu conduire à la jurisprudence initiée par l'affaire P..., mais d'un autre côté, que la même politique sociale soit maintenant jugée suffisante pour exclure la réparation du préjudice matériel de l'enfant afin qu'il ne tire aucun profit d'un éventuel cumul. Mais surtout, l'action sociale en faveur des personnes handicapées ne remplit pas une fonction de réparation d'un préjudice. Les prestations servies par les organismes sociaux et les collectivités publiques en faveur des personnes handicapées ont un caractère social ou familial, qui plus est essentiellement alimentaire. Leurs conditions d'octroi ne se réduisent pas à l'existence d'un taux d'incapacité défini par les textes, mais sont aussi fonction de la nature de chaque prestation. C'est ainsi, par exemple, que l'allocation aux adultes handicapés ne peut se cumuler avec les ressources personnelles de l'intéressé que sous certaines conditions, notamment de plafond fixé par décret (article L. 244-1 du Code de l'action sociale et des familles ; article L. 821-3 du Code de la sécurité sociale). Il en va de même pour l'allocation compensatrice (article L. 245-6 du Code de l'action sociale et des familles). Par ailleurs, les prestations d'aide sociale versées aux personnes handicapées ne sont en principe que des avances récupérables, notamment sur la succession de l'intéressé, sauf l'exception prévue en faveur de l'héritier du bénéficiaire lorsqu'il est le conjoint, un enfant ou une personne ayant assumé la charge effective et constante du bénéficiaire (articles L. 241-4, L. 245-6 du Code de l'action sociale et des familles). Il convient en outre d'éviter les confusions sur les attributaires des prestations. Ainsi, par exemple, l'allocation d'éducation spéciale (visée dans le rapport, p. 11) n'est pas attribuée à l'enfant handicapé mais à la personne qui en assume la charge (article L. 242-14 du Code de l'action sociale et des familles ; article L. 541-1 du Code la sécurité sociale). Comment, dans ces conditions, et sans qu'il soit besoin de multiplier les exemples, prendre appui sur une réglementation de l'action sociale et familiale dont la nature, la fonction et le régime sont très particuliers et dépourvus de tout lien avec l'idée de réparation, pour justifier, en la forme d'un principe, l'exclusion de toute réparation du préjudice autre que strictement personnel de l'enfant né handicapé à la suite d'une faute médicale de diagnostic prénatal ? En quoi le principe de la réparation intégrale du préjudice serait-il sauvegardé par une telle exclusion, nullement compensée d'ailleurs par une action sociale qui, si elle a le mérite d'exister, n'en est pas moins jugée insuffisante aujourd'hui (y aurait-il une affaire P... dans le cas contraire ?). Quant aux éventuelles difficultés de combinaison entre les prestations versées aux personnes handicapées et une indemnité réparatrice du préjudice de l'enfant né handicapé, faut-il rappeler qu'elles n'existent qu'en raison de l'admission même du principe de la réparation d'une vie handicapée préjudiciable que l'on prétend, de façon contestable, imputer à la faute de diagnostic du médecin.

Si l'on maintient ce principe de réparation, il faut alors en assumer les conséquences et réparer la totalité du préjudice, conformément au droit de la responsabilité civile, sans chercher maintenant, par un moyen discutable, à minorer l'étendue de la réparation en renvoyant l'enfant aux bons soins, mais insuffisants, de la solidarité collective.

En toute hypothèse, dès lors que comme le concède Monsieur le conseiller rapporteur le préjudice corporel de l'enfant a pour cause le fait de la nature, il est difficilement concevable que le praticien soit tenu de réparer des préjudices moraux consécutifs à ce préjudice corporel. Encore une impasse logique !

Si l'on devait s'engager dans la voie, périlleuse pour la crédibilité de la justice, de l'abandon du principe de réparation intégrale, la problématique de l'évaluation des chefs de préjudice retenus resurgirait aussitôt.

Les souffrances sont le plus souvent celles de l'entourage de l'enfant. Peut-on raisonnablement indemniser un "mongolien" à cause de son faciès et de son aspect général ? En ce cas, toutes les personnes disgraciées de naissance et que leur physique rend peu attirantes seraient en droit de saisir la justice. Et quels critères retenir en dehors de ceux de la statuaire grecque ?

Dans son acception la plus large, le préjudice d'agrément englobe la privation de toutes les satisfactions que l'on peut attendre d'une vie "normale"(39) que, de toute évidence, le trisomique n'a jamais menée.

Qu'on le veuille ou non, les préjudices moraux de l'enfant sont la conséquence de l'état qui est le sien depuis sa venue au monde. La faute médicale n'a en rien diminué ses potentialités qui étaient altérées dès l'instant où il a été conçu.

L'alternative pour lui n'était pas celle, shakespearienne, "d'être ou de ne pas être" mais "d'être ainsi ou de ne pas être du tout".

L'action de vie dommageable n'est qu'une construction artificielle qui repose "sur l'idée absurde que l'on aurait pu être incarné autrement qu'on est tout en existant quand même".(40)

La dépréciation de l'existence des personnes handicapées nécessaire au triomphe de ce type d'action n'est-elle pas plus dommageable que les prétendus préjudices moraux que l'on envisage de réparer ?


CONCLUSION

Admettre l'action de vie dommageable qui transfère vers l'assurance privée la prise en charge des enfants mal formés revient, en définitive, à considérer le fait de vivre comme un préjudice indemnisable. Cette action a pour fondement la loi sur l'interruption de grossesse qui n'a entendu régler que la question qu'elle traitait mais que l'on veut appliquer après la naissance de l'enfant. La philosophie qui sous-tend une telle démarche appelle bien des réserves tant au regard du statut des personnes handicapées que de la vie en général.

Nul n'est fondé, croyons-nous, à juger en droit de la légitimité des vies humaines. Aucune norme ne permet de dire qu'une vie ne mérite pas d'être vécue ni qu'un individu est justifié à tenir son existence pour inutile. Personne ne peut le penser ni le faire savoir à sa place.

Source de multiples difficultés aussi bien sur le plan juridique, éthique et logique, en contradiction avec les droits fondamentaux de la personne, facteur d'inégalités entre individus qui connaissent la même infortune, l'action considérée ne peut avoir à terme que des effets pervers : en encourageant les parents d'enfants handicapés à agir contre les praticiens ; en engageant ceux-ci à renoncer à certaines opérations de dépistage non obligatoires, ce qui augmentera le nombre des handicapés ; en les incitant surtout à préconiser au moindre doute l'avortement qui ne suscite aucune action(41) ; en renforçant les tendances eugéniques qui existent dans notre société ; en limitant par la même la liberté des femmes auxquelles on inculquera le devoir d'avorter ; en donnant de la médecine foetale l'image d'une médecine thanatophore de nature à décourager les vocations. A moins qu'en soumettant cette action à des conditions invérifiables après l'accouchement et en réduisant à sa plus simple expression une indemnisation qui demeure aléatoire, on ne cherche à en paralyser l'exercice ? Mais alors pourquoi l'avoir admise ?

Il est regrettable en tout cas que le législateur n'ait pas saisi l'opportunité de l'examen de la loi sur les droits des malades pour traiter du problème des personnes handicapées.

1. B.I.C.C. 542 ; D. 2001, p. 2325, note P. Jourdain ; Gaz. Pal., 7-8 septembre 2001, note J. Guigue ; JCP 2001, n° 40, II, 10601, avec nos conclusions, note F. Chabas ; J. Hauser et P. Delmas Saint-Hilaire, Le foetus ? Une personnalité sous condition ?, Personnes et famille, octobre 2001, p. 20 ; RGDA 2001, n° 3, p. 751, note L. Mayaux ; L. Aynès, Un droit à naître sans handicap ? Les cahiers du C.C.N.E., n° 29, oct. 2001, p. 12 ; G. Loiseau, Chronique d'une vie non désirée : le droit de ne pas naître de l'enfant handicapé, Droit et patrimoine, n° 98, nov. 2001, p. 101.

2. Cette réaffirmation a, dans un premier temps, retenu toute l'attention de certains médias qui ont laissé croire que les pourvois avaient été accueillis. Elle a aussi provoqué de nouvelles protestations des associations défendant les intérêts des handicapés et de leurs familles qui sont pourtant les bénéficiaires de la "générosité" exprimée par l'arrêt P... mais qui n'ont pas admis que la vie d'un enfant puisse être considérée comme un préjudice indemnisable.

3. Cf. G. Mémeteau, L'action de vie dommageable, JCP 2000, I, 279.

4. CHR de Nice c/ époux Q..., CE, 14 février 1997, Rec., p. 44 ; R.F.D. adm. 1997, p. 3741, concl. V. Pécresse, note B. Mathieu.

5. Le terme était implicitement contenu dans l'arrêt P.... La cour d'appel d'Aix-en-Provence s'est néanmoins prononcée en sens contraire le 21 mars 2001 : cf. JCP 2001, n° 40, II, 10600, note C. Bloch.

6. L'arrêt de l'Assemblée plénière du 29 juin 2001 fait peu de cas de la vie naissante qui n'est plus protégée pénalement (JCP 2001, n° 29, II, 10564, rapport P. Sargos, nos conclusions et la note de M.L. Rassat). La vie de la personne handicapée ne vaut guère mieux puisqu'en l'indemnisant on laisse entendre que l'inexistence aurait été préférable pour elle.

7. Cf. les rapports de la commission des affaires familiales et sociales de l'Assemblée nationale (n° 1134 de 1974, p. 10 et 11, n° 826 de 1973, p. 50). Depuis l'avortement a été institutionnalisé.

8. Admettre que l'avortement a été légalisé dans l'intérêt de l'enfant revient nécessairement à limiter la liberté de la femme.

9. D. Fenouillet, Pour une humanité autrement fondée, Droit de la famille, avril 2001, n° 4, p. 4.

10. Loi qui n'est plus en vigueur depuis le 23 décembre 2000 dont les dispositions ont été reprises dans le Code de l'action sociale et des familles.

11. CE, 31 octobre 1980, Rec., p. 403 ; D. 1981, p. 38, concl. B. Genevois.

12. Cf. l'article L. 2212-1 du Code de la santé publique : "La femme enceinte que son état place dans une situation de détresse peut demander à un médecin l'interruption de sa grossesse." Si l'on peut comprendre que l'annonce d'un diagnostic alarmant au début de la grossesse provoque chez la femme une détresse "psychologique", comment pourra-t-elle prétendre, après avoir accouché, qu'elle se serait trouvée dans cette situation si elle avait connu le risque de handicap et surtout comment pourra-t-elle le démontrer ?

13. P. Sargos, rapport sur l'affaire P..., JCP 2000, II, 10438, 25 ; P. Jourdain, note au D. 2001, n° 29, p. 2325 ; Contra : G. Mémeteau, chr. précitée, JCP 2000.

14. A.N. Documents parlementaires, n° 1297 du 14 novembre 1974.

15. Rapport n° 120, annexe au procès-verbal de la séance du 6 décembre 1974, p. 53.

16. J.O. Sénat, CR décembre 1974, p. 2951.

17. P. Sargos, Réflexions médico-légales sur l'interruption de grossesse pour motif thérapeutique, JCP 2001, I, 322.

18. Cf. Encyclopédie Dalloz, Interruption de grossesse par F. Dekeuwer-Defossez, n° 94 ; F. Dreyfus-Netter, Observations hétérodoxes sur la question du préjudice de l'enfant victime d'un handicap congénital non décelé au cours de la grossesse, Médecine et Droit, n° 46, p. 2.

19. F. Dekeuwer-Defossez, ibidem, n° 94.

20. Cf. C. Atias, D. Linotte, Le mythe de l'adaptation du droit au fait, D. 1977, p. 251.

21. Cf. J.O. Sénat, 14 décembre 1974, p. 2951.

22. Cf. L. Aynès, Préjudice de l'enfant handicapé : la plainte de Job devant la Cour de cassation, D. 2001, chr., p. 492.

23. Ne faudrait-il pas revenir comme le suggère M. J. Hauser (RTD Civ., janvier-mars 2001) à l'ancienne distinction entre préjudice et dommage qui rendrait mieux compte de la réalité : le dommage étant défini comme la lésion subie, le préjudice en étant la conséquence (cf. Le Tourneau et Cadiet, Droit de la responsabilité civile et des contrats, Dalloz 1998, n° 604).

24. Cf. Le normal et le pathologique, PUF, 2e éd., 1975, p. 194. Selon le même auteur : "Proposer pour les sociétés humaines, dans leur recherche de toujours plus d'organisations, le modèle de l'organisme, c'est au fond rêver d'un retour non pas même aux sociétés archaïques mais aux sociétés animales".

25. Les critères de risque retenus pour la prise en charge financière d'un caryotype foetal sont les suivants : femme âgée de 38 ans et plus ; femme ayant déjà eu un enfant atteint ; aberration chromosomique équilibrée chez la femme ou le conjoint ; "signes d'appel" ainsi que, quel soit l'âge de la femme, le risque prédictif de trisomie 21 résultant d'un examen portant sur les marqueurs sériques. (Cf. le Dictionnaire permanent de bioéthique, Vo Diagnostic prénatal, nos 22 et suivants).

26. ... "Le dépistage de la trisomie 21 est proposé aux femmes enceintes à partir d'une prise de sang effectuée entre la 14ème et la 17ème semaine d'aménorrhée (16ème à 18ème semaine de grossesse), permettant le dosage de certaines substances appelées "marqueurs sériques". Sur 100 femmes pour lesquelles les marqueurs sériques seront dosés, 5 à 10 seront considérées comme ayant un risque supérieur à celui de leur âge. Sur 100 femmes à risque accru, seules une ou deux attendent réellement un enfant trisomique 21, ce qui signifie qu'en moyenne 98 % des femmes devront subir une ponction du liquide amniotique (amniocentèse) à cause d'un résultat faussement alarmant (faux positif). Parmi trois trisomiques 21 conçus, deux ont des marqueurs sériques perturbés. Pour le troisième (faux négatif), le résultat a été annoncé comme normal aux parents qui ne découvriront la trisomie 21 de leur enfant qu'après l'accouchement. La ponction du liquide amniotique entraînait il y a quelques années une mort foetale de l'ordre de 1 %. Actuellement, le risque est beaucoup plus élevé du fait de la multiplication des prélèvements effectués par des obstétriciens qui n'en ont pas l'habitude" (Extrait d'une note qui nous a été communiquée par Mme le professeur Réthoré).

27. Cf. E. Passarge, Atlas de poche de génétique, p. 180, 342, Flammarion 1995 ; M. Arthuis et alii, Neurologie pédiatrique, 2e éd., Flammarion, 1998.

28. Bull. 1991, n° 248 ; Bull. 1996, n°s 116, 118.

29. Cf. dans le même sens : Com., 12 octobre 1993, pourvoi n° 91-19.456 ; Crim., 19 septembre 2000, pourvoi n° 99-86.577 ; Soc., 22 février 2001, pourvoi n° 97-44.978.

30. 1ère Civ., 25 juin 1991, Bull., n° 213, D. 1991, jur. P. 566, note P. Le Tourneau.

31. CE, delle R..., 2 juillet 1982, Rec., p. 266.

32. Cf. G. Mémeteau, La définition de la personne par la loi, Journal international de bioéthique, 1997, vol. 8, p. 3.

33. Cf. C.E., 26 octobre 2001, D. 2001, n° 39, p. 3134 ; G. Mémeteau, Cours de droit médical, 2001, éd. Les études hospitalières, p. 269 et s.

34. Cf. en ce sens P. Jourdain, note précitée au D. 2001.

35. Le principe de dignité a été déduit du Préambule de la Constitution de 1946 par le Conseil constitutionnel, décembre, n° 94-343/344 du 27 juillet 1994 ; D. 1995, p. 327, note B. Mathieu.

36. Cf. F. Chabas, note précitée au D. 2001.

37. Monsieur le conseiller rapporteur admet enfin que le handicap est le fait de la nature, ce que nous n'avons cessé de dire.

38. Cf. Y. Chartier, La réparation du préjudice, Dalloz 1983, nos 112 et s. ; G. Viney, Traité de droit civil, La responsabilité-effets, LGDJ 1988, nos 57 et s. et les arrêts cités.

39. Cf. G. Viney, Droit civil, Les conditions de la responsabilité, LGDJ, 2ème éd., n° 265.

40. Cf. D. Folscheid, Le mépris des valeurs, La lettre de l'espace éthique 2001, hors série n° 3.

41. Jusqu'au jour où les parents réclameront systématiquement l'autopsie du foetus après l'avortement et rechercheront la responsabilité du médecin lorsqu'il sera prouvé que le foetus était parfaitement sain.

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