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"Comment un banal questionnaire participe à la manipulation"

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Rimbaud (24 messages) Envoyer message email à: Rimbaud Envoyer message privé à: Rimbaud Voir profil de ce membre Voir addresse IP de cet auteur
11-12-01, 19:02  (GMT)
"Comment un banal questionnaire participe à la manipulation"
Le Quotidien de Médecin fait un sondage en ligne introduit par le préambule suivant :
"Deux arrêts de la Cour de cassation inquiètent les médecins et en particulier les échographistes parce qu'ils permettent à un enfant dont le handicap n'a pas été découvert pendant la grossesse de se faire indemniser pour le préjudice causé par sa naissance. Informée de l'éventuel handicap du foetus, comment la mère aurait-elle pu éviter le handicap de son enfant ?"

Comment un sondage peut-il être crédible avec telles incitations préalables ? C'est un déni méthodologique époustouflant. La dernière phrase laisse pantois. Elle annonce, d'une manière totalement partisane, la conclusion de ce qu'il faut en penser : on n'évite pas le handicap en interrompant une grossesse - compris ?
Bon, maintenant lisez donc le libellé des questions, c'est gratiné.

1/ Pensez-vous que les arrêts de la Cour de cassation ouvrent la porte à l'eugénisme ?

Qu'est-ce que "l'eugénisme" ? A peu près personne ne sera d'accord sur la même définition. Obliger à répondre par oui ou par non à de telles formulations, et prétendre tirer des inférences de l'amalgame des résultats, relève de la malhonnêteté.
D'autre part, l'expression "ouvre la porte" est d'une telle ambiguïté qu'on ne sait comment les répondants pourraient l'interpréter.
Sur le fond, il est bien certain que les arrêts de la Cour (ouvrant droit à réparation pour l'enfant lui-même) ne sauraient avoir le moindre lien avec une quelconque acception de l'eugénisme (contrôle des naissances), et le simple fait de lier ces termes dans une question est une méthode de suggestion (bien connue).

2/ Pensez-vous qu'un médecin doive être condamné pour ne pas avoir repéré une anomalie foetale au cours d'une échographie ?

Outre que l'avis de tous est bien connu d'avance (ce qui disqualifie la question et transforme ouvertement cette pseudo-enquête en pétition), la formulation est encore trop vague pour qu'on puisse y répondre par oui ou par non. Il est bien évident que les conditions de ce "non-repérage" pourraient ressortir tantôt à la simple erreur, tantôt à la faute professionnelle.
D'autre part, poser la question de la condamnation "pour ne pas avoir repéré", c'est manifestement faire planer la menace, voire suggérer que c'est ce qui s'est passé. Absolument rien de tel ne s'est produit ! Seules des fautes professionnelles avérées ont motivé les condamnations, et la plus haute juridiction s'est contentée de modifier les destinataires de l'indemnisation.

3/ Pensez-vous qu'un médecin doive être condamné pour le handicap causé à l'enfant du fait de l'anomalie qu'il n'avait pas décelé ?

On enfonce ici le clou de la désinformation précédente, en y ajoutant cette formule dénuée de sens juridique : "condamné pour le handicap". Il est bien clair que l'on n'est jamais condamné au civil que pour une faute, et les conséquences ne servent qu'à évaluer le préjudice.
Le questionneur n'ayant lui-même rien compris au problème, il ne peut pas formuler la bonne interrogation, qui serait : "pensez-vous qu'un enfant puisse bénéficier d'une indemnisation pour une anomalie qui, si elle avait été décelée, aurait empêché sa naissance ?"

4/ Pensez-vous que les anomalies foetales pouvant entraîner un handicap ultérieur soient toujours repérables ?
5/ Pensez-vous que les anomalies repérées sur le foetus par l'échographiste ont une valeur absolue ?

On connaît trop bien les réponses à ces deux questions pour avoir un intérêt objectif à les poser. Elles traduisent une démarche plébiscitaire, qui révèle que ce questionnaire n'est en fait qu'un support militant.

6/ Pensez-vous que l'on risque de voir le ''principe de précaution'' appliqué aux foetus porteurs d'une anomalie ?

Que d'ambiguïté et, encore une fois, quelle suggestion manifeste !
Sur le fond, il est clair que la Cour demande l'application par le professionnel des méthodes les plus en accord avec l'état de l'art. C'est justement la non-conformité des pratiques à cet état de l'art qui a motivé les condamnations dont on parle.
L'élimination abusive de foetus serait donc non pas une échappatoire, mais au contraire un motif évident de condamnation - non seulement au civil, mais cette fois-ci au pénal. Cependant, lui appliquer le vocable trompeur de "principe de précaution" transforme soudain cette monstruosité en une sorte de pratique défendable (sous la bannière d'un concept nouvellement promu par nos gouvernants dans des contextes totalement étrangers) et laisse ainsi faussement accroire que certains pourraient y adhérer à cause des sous-entendus qui précèdent.

7/ Le Pr Nisand propose aux échographistes de ne plus pratiquer d'échographies foetales morphologiques en l'absence d'une prise de position ferme du législateur. Qu'en pensez-vous ?

Voilà la seule bonne question du sondage. On aurait pu s'en contenter.

Pour tenter d'avoir un peu de clarté dans la fumée ambiante, il faut en effet lire dans le Concours Médical l'entretien avec la Directrice du risque médical et des sinistres de la MACSF :
http://www.33docpro.com/Actu/Actu_index.asp?page=corps&c=3479&r=73&p_page=AM2

D'autre part, on trouve dans le compte-rendu des 19es Journées de Gynécologie de Nice et de la Côte d'Azur (Juin 2001), quelques interventions sur ce sujet bien d'actualité (...depuis plus de 3 millions d'années) : Que vaut la vie ?
http://pro.gyneweb.fr/sources/congres/nice/01/sommaire.htm

Pierre




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  Sujet     Auteur     Posté le:     ID  
 RE: Comment un banal questionnaire participe à la manipulation D_Dupagne 11-12-01 1
 RE: Comment un banal questionnaire participe à la manipulation mariedu85 29-09-04 2
   RE: Comment un banal questionnaire participe à la manipulation Rimbaud 05-10-04 3
       RE: Comment un banal questionnaire participe à la manipulation Rimbaud 15-10-04 4

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D_Dupagne (14037 messages) Envoyer message email à: D_Dupagne Envoyer message privé à: D_Dupagne Voir profil de ce membre Voir addresse IP de cet auteur
11-12-01, 19:42  (GMT)
1. "RE: Comment un banal questionnaire participe à la manipulation"
Le sondage, ou plus couramment le micro-trottoir, est en effet un des plus mauvais moyens pour se faire une opinion sur un sujet.
C'est pourtant une mode croissante, notamment à la radio, ou le micro-trottoir tend à remplacer l'avis de l'expert du sujet, sans doute pour faire plus vécu ?

--
Dr Dominique Dupagne

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mariedu85 (5 messages) Envoyer message email à: mariedu85 Envoyer message privé à: mariedu85 Voir profil de ce membre Voir addresse IP de cet auteur
29-09-04, 19:10  (GMT)
2. "RE: Comment un banal questionnaire participe à la manipulation"
Et vous que pensez vous de l'eugenisme?
y atil un bon et un mauvais eugenisme?
Merci de votre réponse
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Rimbaud (24 messages) Envoyer message email à: Rimbaud Envoyer message privé à: Rimbaud Voir profil de ce membre Voir addresse IP de cet auteur
05-10-04, 20:00  (GMT)
3. "RE: Comment un banal questionnaire participe à la manipulation"
L'eugénisme consistant à sélectionner les enfants à naître, on a du mal à imaginer des critères de sélection qui soient défendables.

L'eugénisme classique est une théorie qui repose sur une méconnaissance de la génétique. Cette hérésie héréditariste, issue d'une conjonction interprétative et erronée du malthusianisme et du darwinisme, suppose d'une part que les enfants dont la société a besoin ne peuvent naître que de parents dont la réussite montre qu'ils sont "favorisés par la nature", et d'autre part que la déficience sociale prédispose à engendrer des déficients sociaux.

Certes, chacun sait que les éleveurs sont capables de sélectionner des races animales dotées de certaines caractéristiques souhaitées. Il s'agit là d'un processus de reproduction contrôlée sur plusieurs générations, permettant de créer un groupe totalement endogame. En théorie, il serait sans doute possible de manipuler les populations humaines comme des espèces domestiques, afin d'y fixer certains traits phénotypiques, mais cela nécessiterait d'obtenir l'isolement reproductif de groupes sélectionnés, pendant plusieurs générations - et d'empêcher ensuite toute dérive génétique en interdisant les croisements ultérieurs hors du groupe. En aucun cas on n'améliorerait ainsi l'espèce humaine dans son ensemble - contrairement au rêve des eugénistes. Tout au plus créerait-on des races humaines artificielles, condamnées à vivre en vase clos sous contrôle vétérinaire, et dotées de caractéristiques recherchées pour on ne sait quel usage, au profit d'on ne sait quel "éleveur"...

Malgré tout, il semble que le statut social ne traduit aucun "avantage génétique transmissible" de sorte qu'il est totalement illusoire d'utiliser par exemple le sperme des lauréats du prix Nobel pour avoir des rejetons "intelligents" - même si l'on parvenait à multiplier les inséminations, comme pour les taureaux de concours.

A coté de cet eugénisme "positif", destiné à propager d'improbables "gènes favorables", il existe un eugénisme "négatif" visant à éradiquer les gènes défavorables. C'est ainsi que des dizaines de milliers de femmes ont été stérilisées, dans plusieurs pays (notamment les Etats-Unis) au cours des années 1920-1930. Ces campagnes de stérilisation ont été entreprises dans l'intérêt collectif, sous prétexte que ces femmes auraient eu des enfants forcément tarés, c'est-à-dire inutiles à la collectivité, voire à sa charge, et sans doute eux-mêmes malheureux. Cet eugénisme suppose que les déshérités sont condamnés à l'être du fait de leur filiation, et qu'on ne peut rien pour eux - sinon les empêcher de naître. Il en résulte une politique sociale simple et peu coûteuse. Sous prétexte d'éliminer de prétendus "mauvais gènes", on réduisait en fait le poids des familles défavorisées... en les exterminant. Comme s'il suffisait d'empêcher les pauvres de se reproduire pour faire disparaître la pauvreté. Autant préconiser, comme Alphonse Allais, de "construire les villes à la campagne, car l'air y est bien meilleur".

Il est néanmoins vrai qu'un certain nombre de maladies congénitales sont transmissibles sur un mode mendélien : il s'agit des maladies monogéniques. On a pu croire qu'il suffirait d'empêcher la reproduction des porteurs pour éradiquer les maladies en question. L'exemple de l'hémophilie, qui a spectaculairement frappé les familles royales européennes à la fin du XIXe siècle, a fortement frappé les imaginations. Ainsi certains se sont-ils convaincus qu'il suffirait d'interdire la reproduction aux porteurs de tares transmissibles pour libérer l'humanité des maladies héréditaires. En réalité, la plupart de ces maladies ne peuvent pas être éradiquées dans la mesure où des mutations spontanées entretiennent dans la population un "pool" de gènes défectueux. En outre, nombre de malformations congénitales sont dues à des anomalies génétiques non héréditaires (par exemple chomosomiques).

Cependant, on peut imaginer qu'une pratique systématique de l'analyse génotypique permette de diagnostiquer tous les foetus porteurs d'anomalie et de les éliminer. Il s'agit là d'un strict eugénisme, qui a ses partisans. La recherche prénatale de la trisomie, aujourd'hui banalisée, n'a été qu'un premier pas vers cette sélection des naissances. Quand les progrès scientifiques autoriseront la reconnaissance, non seulement des anomalies chromosomiques, mais d'une multitude de mutations géniques délétères, et quand la technique permettra une généralisation aisée de ce dépistage, il est probable que les parents demanderont à en bénéficier et que les pouvoirs publics ne verront que des avantages à en favoriser la pratique.

L'avènement d'un eugénisme "négatif", consistant à supprimer les foetus porteurs de tares génétiques identifiables, est donc probablement inéluctable. Dans l'état actuel des connaissances, il n'y a pas lieu de craindre - ou d'espérer - que de telles méthodes rendront possible de sélectionner certains traits phénotypiques complexes (tels que la préférence sexuelle, la performance sportive ou le goût pour les mathématiques), car ces derniers ne relèvent pas d'un marqueur génique reconnaissable.

En revanche, le choix du sexe de l'enfant à naître est aisé : peut-on le tolérer ? On sait que l'humanité pratique l'infanticide pour ce motif depuis des temps immémoriaux. Demain, la couleur des yeux pourra probablement être prédite, comme bien d'autres traits phénotypiques simples. De tels choix justifieront-ils un jour la sélection des enfants à naître ? Jusqu'où l'analyse génotypique prénatale ménera -telle l'humanité future ?

Au moins l'eugénisme véritable, même sous ses formes les plus imbéciles, a t-il toujours été une démarche utopique pour le bien de l'humanité. Si l'enfer est pavé de bonnes intentions, on peut se demander quelle voie nous pavent les aspirations égocentriques de notre civilisation.

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Rimbaud (24 messages) Envoyer message email à: Rimbaud Envoyer message privé à: Rimbaud Voir profil de ce membre Voir addresse IP de cet auteur
15-10-04, 09:48  (GMT)
4. "RE: Comment un banal questionnaire participe à la manipulation"
A propos de dépistage génétique, lire le Journal du CNRS

http://www2.cnrs.fr/presse/journal/1713.htm

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