Bonjour Kenny,Bonne question : comment ai-je fait pour m’en sortir ? Tout d’abord je suis toujours sous traitement par Risperdal et je n’ai pas l’intention d’en changer pour l’instant car c’est un médicament qui me convient très bien.
Ensuite comment j’ai fait ? Il y a près de dix ans alors que j’étais hospitalisée après une rechute sévère j’ai eu sérieusement envie de mourir car je n’en pouvais plus de souffrir comme ça. J’étais sur mon lit à ne rien faire et à ne rien avoir envie de faire, je me voyais comme un légume avec une vie végétative et je me rappelais du temps où j’étais active, où je sortais, prenais du plaisir à l’existence. Je n’arrivais pas à comprendre comment j’avais pu tomber aussi bas mais surtout pourquoi j’étais ainsi livrée à mes peurs et à ma fatigue chronique. Je me suis dit que la solution n’était pas dans les médicaments que je prenais depuis plusieurs mois et qui n’avaient pas l’effet escompté même si mon psy lui se disait content du résultat. J’ai eu alors le déclic pour entreprendre une psychothérapie car j’avais lu quelques années plus tôt le magnifique bouquin de Marie Cardinal « les mots pour le dire ». Si je donnais du sens à ma souffrance je pouvais transformer ma vie pour me la rendre acceptable et aussi moins douloureuse. Mon psy s’est fortement opposé à ma demande en me rétorquant que je n’étais pas en état de le faire, que j’étais trop déstructurée et aussi trop dépressive, qu’aucun analyste ne voudrait me prendre. Je me suis heurtée de plein fouet avec lui, nos rapports se sont tendus et contre son avis j’ai pris rendez-vous avec un psychothérapeute. La seule chose qu’il a accepté de me donner c’est le nom d’une consoeur qui prenait les psychotiques en analyse car me voyant déterminée sa crainte était que je tombe sur un « charlatan ». Le premier rendez-vous a été absolument terrifiant car j’avais l’impression de passer l’oral d’un examen. Je sentais que je jouais ma vie car si ce psychothérapeute ne voulait pas me prendre alors j’étais condamnée à finir ma vie à prendre des cachets sans autre espoir que d’attendre les progrès de la science. Je me rappelle y avoir mis toute mon énergie, avoir été d’une sincérité absolue et aussi avoir pleuré tant j’avais la trouille d’un refus. A la fin de la séance la psy (qui est toujours ma thérapeute…) m’a dit sur un ton neutre et froid : « bon j’ai bien entendu votre demande, je vais réfléchir et voir si j’ai envie de vous suivre ». Je n’ai pas vécu de la semaine car avec mes idées persécutrices j’étais intimement persuadée qu’elle allait me dire non, qu’elle allait comploter avec mon psychiatre, que j’étais incurable, que j’étais aussi trop nulle pour faire une analyse…Tout y est passé. Cela dit avec l’ambivalence qui était la mienne à cette époque j’espérais secrètement qu’elle dirait oui. Quand je suis allée au rendez-vous la semaine d’après la peur au ventre et qu’elle m’a dit en préambule : « j’ai bien réfléchi, je vais vous prendre en thérapie, vous avez les moyens d’en faire une, ce ne sera pas facile voire douloureux mais nous allons travailler ensemble pour que vous alliez mieux ! ». J’ai cru que mon cœur allait s’arrêter de battre. Je n’étais plus seule à avoir le désir de m’en sortir elle aussi et c’est ce désir qui me porte depuis dix ans…Elle était aussi active que moi dans mon suivi et n’était pas « obligée » de me soigner comme mon psy ! Je lui en suis très reconnaissante d’avoir pris ce temps de réflexion, d’avoir été honnête avec moi dès le départ et de s’impliquer autant dans MON projet. Ensuite me sentant soutenue dans tous les moments difficiles de mon existence, entendue et reconnue dans mes efforts et ma souffrance, j’ai surmonté un à un tous les obstacles. Je ne dis pas que ce fut facile. Il y a des moments j’ai touché le fond, eu envie de me suicider car je n’ai pas toujours bien supporté de retraverser les moments douloureux de mon existence. Mais j’ai pu en mettant des mots apprivoiser le souvenir puis le refouler pour vivre avec sans que cela ne continue à me détruire. La seule chose que je regrette aujourd’hui c’est de ne pas l’avoir commencé plus tôt j’avais 29 ans à l’époque….
Je ne voudrais pas non plus oublier le rôle primordial de mon conjoint. Il a œuvré quotidiennement dans l’ombre pour que je puisse m’en sortir. Jamais il n’a eu pitié de moi ou fait du misérabilisme en me disant « ma pauvre, reste à la maison, c’est trop dur pour toi d’aller bosser ! ». Non au contraire, il a entendu mon désir de m’en sortir et c’est lui qui chaque matin me sortait du lit en me disant « allez Isabelle je sais que c’est dur et que tu souffres mais si tu ne gagnes pas cette petite victoire sur toi-même en restant au lit, tu seras encore plus mal de ne pas aller bosser et tu m’en voudras de t’avoir malgré toi poussé à renoncer ! Chaque effort de fait est un pas de plus vers ton amélioration ! » S’il s’est permis de me parler ainsi c’est aussi parce qu’il a su entreprendre une psychothérapie car il a senti au bout de six mois de vie commune que cette maladie, telle une lame de fond allait l’emporter lui aussi sur son passage. C’est un beau cadeau qu’il m’a fait là et je pense qu’il ne pouvait pas mieux me dire « je t’aime »… Et qu’on ne m’argumente pas que les psychothérapies c’est pour les intello, mon conjoint a quitté l’école au niveau de la cinquième, c’est un travailleur manuel qui se trouve en bas de l’échelle sociale et non en haut…
Je n’ai pas le sentiment d’être quelqu’un d’exceptionnel ni d’avoir eu un suivi hors du commun. C’est à la portée de tous les malades et de toutes les familles… Je ne me suis pas laissée prendre par des préjugés stupides sur les psy ou les médicaments, j’ai eu la sagesse de me dire que si j’étais partie prenante dans mon suivi j’avais plus de chance de m’en sortir que si j’attendais béatement un miracle venant du corps médical. Les médecins comme les malades ne sont que des humains, pas des Dieux ni des surhommes…
Je le dis et le répète la schizophrénie n’est pas une fatalité en soi, il y a des moyens de s’en sortir. Encore faut-il se les donner…
Amitiés
Isabelle