Bonjour,Concernant l'hypothèse du génocide des malades mentaux dans les hôpitaux français pendant la dernière guerre, un article est paru dans le Quotidien du Médecin du 31 octobre :
Retour sur le génocide des malades mentaux sous l'Occupation
La thèse du génocide par la faim des quelque 50 000 malades mentaux décédés dans les hôpitaux psychiatriques français durant la Deuxième Guerre mondiale est écartée. C'est l'une des conclusions de la plus grande enquête historique réalisée sur ce sujet, en partie fondée sur les archives de l'hôpital du Vinatier, où 2 000 décès ont été recensés.
Si la primeur des résultats a été réservée et exposée au personnel de l'hôpital psychiatrique du Vinatier (Bron),il y a quelques jours, les conclusions de cette enquête, conduite par Isabelle von Bueltzingsloewen (1), seront rendues publiques au cours d'un colloque scientifique qui se tiendra à Lyon les 20 et 21 novembre prochains. Conjointement organisé par la ferme, l'unité culturelle du Vinatier et le laboratoire de recherche historique de Rhône-Alpes, ce colloque fera aussi le point sur le devenir d'autres populations « reléguées » dans des collectivités fermées ou semi-fermées, pour le comparer aux résultats de l'enquête d'Isabelle von Bueltzingsloewen et prolonger le débat.
Polémique
Lancée par la Ferme du Vinatier afin « d'accompagner l'institution dans une réflexion sur ses pratiques, son identité et son devenir », l'étude avait commencé en avril 2001. En filigrane, il s'agissait aussi de parvenir à « dépassionner le débat » qui avait germé dans les années 1970, à partir d'une théorie : celle du génocide des malades mentaux par la faim. Au Vinatier, plus qu'ailleurs, cette idée avait été relayée par une thèse de doctorat en médecine, soutenue en 1981 par un interne du Vinatier, Max Lafont, puis par l'ouvrage qui en avait découlé, « l'Extermination douce » (2), publié en 1987. La polémique avait rebondi en 1998, à la parution d'un roman historique « Droit d'asiles » (3), rédigé par un autre psychiatre du Vinatier, le Dr Patrick Lemoine. La résonance médiatique aidant, un nouveau chapitre de l'histoire de Vichy était donc prêt à être écrit.
Or, l'enquête conduite par Isabelle von Bueltzingsloewen semble définitivement lever toute hypothèse exterminationniste. Son équipe a soigneusement diversifié les sources en explorant les archives administratives du Vinatier et de nombreux autres fonds, tels que celui du cabinet du préfet, lequel avait seul pouvoir sur l'hôpital après la suppression du conseil général en 1940, et celui de l'Institut national d'hygiène créé par Vichy. Alors qu'en Allemagne le génocide des malades mentaux sous Hitler a produit des archives considérables, en France il n'y aurait aucune trace d'un programme systématique de mise à mort ni d'élimination par la faim.
Faillite de la société
Toutefois, « la question de l'interprétation de ce drame reste entière », convient l'historienne, en avançant quelques hypothèses. Ainsi, le pic de mortalité au Vinatier, soit 816 décès enregistrés pour la seule année 1941, correspond à une période où l'hôpital était touché de plein fouet par les difficultés d'approvisionnement et par l'impossibilité de faire correctement fonctionner sa ferme. Dès 1943, la situation s'est améliorée. Or cette évolution est directement mise en rapport avec la circulaire Bonnafous, attribuant des rations supplémentaires aux malades mentaux. Ce texte serait même le fruit « d'une mobilisation collective des psychiatres qui, depuis l'automne 1941, exercent une intense activité de lobbying auprès des autorités afin de sauver leurs malades », avance Isabelle von Bueltzingsloewen. A cette interprétation, l'historienne adjoint celle du délitement des liens familiaux, déjà ténus, avec les malades. « La guerre n'a été que le révélateur d'un isolement », confirme-t-elle. Et de préciser un plus loin : « La famine provoquée par l'occupant allemand a ainsi mis au jour l'immense fragilité de tous ceux dont la survie en temps de crise n'est pas jugée impérative. » Aux côtés de l'institution asilaire, les familles et la société elle-même portent donc leur part de responsabilité. En tout état de cause, il reste aujourd'hui nécessaire, pour le Vinatier, de se « réapproprier cette histoire », souligne Carine Delanoë-Vieux, chef de projet à la Ferme. Même s'il n'est nullement question « d'ériger une stèle qui cristalliserait la culpabilité ». La direction doit donc débattre de cette question avec le personnel et se prononcer sur l'intérêt de la commémoration au travers d'une action culturelle.
Caroline FAESCH
(1) Maître de conférence en histoire contemporaine à l'Université Lyon-II
(2) Reparu aux éditions Le Bord de l'eau, en 2001.
(3) Odile Jacob.
Je trouve les résultats de cette enquête historique particulièrement intéressants et réconfortants pour nous tous.
Pandore