Bonsoir Roseline,Merci de tes encouragements. Je vois que ce n'est pas la joie actuellement chez toi. Il est vrai que l'alcoolisme est tout sauf une partie de rigolade. Mais ne perds pas espoir pour autant. IL existe des moyens de se sortir de là.
Peut-être que je commence à lasser le monde en sortant une fiche cuisine pour chaque cas de figure, mais voici néanmoins une de mes analyses sur cette fichue maladie qui ne veut pas dire son nom. Je précise que je n'ai aucune prétention de detenir la verité avec un grand V.
Bonne lecture à toi,Roseline, et reprends confiance,la vie parfois n'est pas si moche que ça.
rankxerox
Le Praticien : Quelles seraient, selon vous, les conditions optimales pour qu’un thérapeute puisse réussir à aborder le sujet tabou de l’alcool avec son patient éthylique ?, et en quels termes, à votre avis, serait-il préférable de le faire ?
– En tout premier lieu, il faut avoir à l’esprit que l’éthylisme est une maladie évolutive et que si le malade n’a pas décidé lui-même d’enrayer son mal en se laissant soigner, il continuera inexorablement sa descente aux enfers ; par conséquent, et en préambule à tout traitement médical, celui-ci devra donc reconnaître explicitement être atteint d’éthylisme.
Sans cet aveu, rien, absolument rien, ne pourra s’améliorer pour lui.
Le consultant qui n’a pas encore fait cet aveu d’impuissance à contrôler sa consommation d’alcool est donc toujours dans une phase d’aggravation de son état lorsqu’il pousse la porte du cabinet médical. (voir courbe de descente, à la fin de cet ouvrage).
Et hélas !, le fait que le malade pressente, à l’évidence, qu’il est sur une pente terriblement savonneuse, l’incite rarement à une révélation spontanée ; il semblerait même, au contraire, que cela le pousse à une dissimulation plus forte encore. Et serait-il l’être le plus sincère de la terre qu’il n’arriverait tout de même pas à exprimer son penchant pour l’alcool pour les raisons d’éthique, de peur et d’égarement mental que nous avons énoncées dans le chapitre précèdent.
Alors il vient consulter pour autre chose : des maux de têtes, des douleurs au ventre, etc.…
En fait, le malade n’est pas dupe de son état, mais, à mon sens, il a besoin, pour se rassurer, que le thérapeute entre dans son jeu en ne lui révélant pas ce dont il souffre. Et, en général, cela fonctionne très bien tant cette maladie est, au sens propre du terme, inabordable. C’est ainsi qu’à l’issue de la consultation, il repartira vers le secret de ses bouteilles dissimulées avec ses petites pilules calmantes et un fragile sursis,… jusqu’à la prochaine crise d’angoisse qui l’incitera à revenir, dans un état plus lamentable encore, jouer la même comédie auprès de son médecin traitant, ou bien auprès d’un autre.
Mais ces plaintes fictives peuvent aussi être, quelquefois, des appels au secours déguisés….
Le Praticien : Comme cette maladie est compliquée ! Entre un malade qui ne veut en aucun cas entendre parler de sa maladie, pour se rassurer, et un autre qui, tout en ne l’évoquant pas non plus, voudrait en être guéri, comment s’y reconnaître ?
– Je sais : nous sommes en plein dialogue de sourds, c’est désespérant, mais c’est ainsi, et c’est ce qui rend hélas !, cette maladie si difficile à traiter.
Quoi qu’il en soit, et comme il faut bien, pour entamer le processus de soins, que l’un des deux interlocuteurs se jette à l’eau, la seule personne à pouvoir révéler au malade sa maladie ne peut être, au fond, et en raison de l’hermétisme pathologique de ce dernier, que… le médecin lui-même.
Le Praticien : Dites-nous alors, par exemple, comment cela s’est passé pour vous, et comment vous avez encaissé le choc de cette révélation ?
– Le médecin qui m’a éclairé à l’époque sur mon état, l’a fait sans détour et de façon totalement factuelle. Apres un bref examen clinique, et sans mettre dans sa voix une seule once de morale culpabilisante, il m’a dit tout simplement :
« Au vu de ce que je viens de constater, vous êtes concerné par la maladie alcoolique. »
A ces mots, le ciel m’est tombé sur la tête, j’ai ouvert la bouche pour protester, mais aucun son n’en est sorti.
Puis, sans perdre une seconde, ce médecin a enchaîné sur une explication succincte, mais très précise, de la maladie en gardant toujours vis-à-vis de moi un ton adulte, et en opposant à ma stupéfaction outrée, un calme et une détermination sans faille.
En fait, ce médecin devait avoir pleinement conscience de l’effet excessivement douloureux que cette vérité assenée aussi brutalement me causait. Aussi ne montrait-il aucun signe d’étonnement devant mes dénégations et mes piètres tentatives de dérobade sachant très bien que, de sa fermeté dépendrait l’aveu, ou le non aveu, de mon état. Dans ce jeu psychologique très intense il avait assurément le rôle le plus difficile. C’est que l’on ne rompt pas, chez qui que ce soit, des décennies de mensonge et de dissimulation, comme cela, en deux temps, trois mouvements !, et surtout dans un tel cas de figure.
Petit à petit, mot après mot, en utilisant parfois même des effets calculés de silence, il m’a amené à baisser ma garde et à me faire admettre mon problème d’alcool. Ce qui lui a permis ainsi de passer, dans la foulée, à la deuxième phase de l’opération : me faire toucher du doigt l’idée que je devrais désormais m’en passer !
Se trouver directement concerné par une telle condamnation à l’abstinence totale, lorsque l’on en est réduit à ne plus pouvoir supporter de vivre une seule heure sans boire un (ou plusieurs) verres, est quelque chose de totalement inconcevable !, et voilà pourtant le coup dur qu’il me fallait maintenant encaisser !
Mais j’avais admis mon impuissance devant l’alcool quelques instants auparavant, j’étais donc pratiquement contraint d’acquiescer maintenant au second commandement de ce médecin qui semblait lire en moi comme dans un livre ouvert.
Je n’ai rien répondu pourtant ; ce qu’il a dû interpréter comme un assentiment (mais je me souviens très bien m’être réservé la possibilité de reconsidérer plus tard ce point du problème).
Les deux premières banderilles ayant été placées de façon magistrale, restait à procéder à l’estocade :
« Vous n’arriverez pas à vous en sortir tout seul. Il faut vous rendre, le plus tôt possible, en cure de désintoxication… »
Là, je me suis rebellé en lui opposant un non !, catégorique ; alors il a repris son argumentaire, toujours aussi simplement, toujours aussi calmement, mais avec toujours la même détermination, et même une touche d’humour désarmante, m’a-t-il semblé.
L’un de ses arguments m’a interpellé : « Vous allez retrouver la joie de vivre ! » disait-il.
Bref !, un quart d’heure plus tard, j’avais cédé et, un mois après cette consultation mémorable, j’entrais en cure…
Le Praticien : Cela a donc marché pour vous, et c’est très bien, mais pensez-vous que vous auriez été réceptif à ce même discours à un stade moins avancé de votre maladie ? En un mot : y aurait-il un moment psychologique précis où le malade est plus disposé à entendre la vérité sur lui-même et à se laisser soigner ?
– La chance a voulu que je croise le chemin de ce médecin à une période où j’étais déjà extrêmement bas. A vrai dire, mon état devait probablement crever les yeux de tout le monde depuis longtemps déjà, et sûrement même à des personnes non spécialistes de l’alcoolisme. De plus, comme, à cette époque, j’avais dû abandonner toute activité professionnelle et que je vivais (très mal) une séparation, j’étais à point pour accepter une aide extérieure. Cela a incontestablement permis à ce médecin de dynamiter plus facilement le carcan de silence qui m’entourait, me sauvant ainsi la mise.
Mais il est aussi vrai que ce type de discours, tenu plus tôt, m’aurait marqué – la preuve en est que je n’en ai pas oublié les détails, des années après l’avoir entendu – et que même si j’avais continué mon processus d’autodestruction, il m’aurait été impossible, par la suite, de ne pas tenir compte de ce qui m’avait été dit. Lorsqu’un être humain habilité : un médecin en l’occurrence, vous dit en vous regardant droit dans les yeux que vous êtes atteint d’alcoolisme, croyez-moi, la sensation ressentie est absolument inoubliable !, et si la réaction première est de rejeter loin de soi cette idée insupportable, elle n’en poursuivra pas moins son chemin jusqu’au jour où, peut-être, l’aveu sera possible.
Un groupe d’anciens buveurs, dont j’ai activement suivi les réunions hebdomadaires durant cinq années, évoque avec justesse la nécessité de toucher le fond avant de pouvoir cesser de boire et ajoutent que ce fond est diffèrent à chacune et à chacun : pour l’un, très à cheval sur sa réputation, un simple accident de voiture dans lequel il sera établi qu’il conduisait en état d’ébriété le fera réagir et demander de l’aide ; pour cet autre, par contre, si une longue série de tôles froissées ne provoquera, en lui, nul déclic, la remarque appuyée d’un ami, auquel il tient beaucoup, sur sa consommation, y réussira ; pour cet autre encore, les pires catastrophes qui pourront lui dégringoler sur la tête n’auront aucun effet sur sa prise de conscience, et il attendra peut-être de se trouver à l’article de la mort pour réagir,… s’il le peut encore ! Voyez donc comme l’obtention de l’aveu tant espéré est aléatoire !
Le Praticien : En effet !, l’alcoolisme serait donc, à votre avis, une maladie qui pourrait se soigner pour les uns, mais pour les autres selon des critères subjectifs d’acceptation, ou non, par le malade de son état de malade ?
– Oui !, c’est tout à fait cela !, et c’est pourquoi, dans le doute, et pour ne faire rater sa chance à personne, je pense qu’il n’est jamais trop tôt pour dire à une personne qui présente les symptômes avérés d’une intoxication alcoolique :
« Attention, Madame !, ou attention, Monsieur !, vous êtes engagé dans un cursus dangereux,… qu’il ne tient qu’à vous d’interrompre. », et pour lui expliquer tout simplement la maladie.
En mettant ainsi un nom sur le malaise dont souffre la personne, on lui donne ainsi la meilleure probabilité de s’en sortir,… sans aucune garantie, hélas !, de résultat.
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