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Bonjour Yanou et tout le monde
Samedi dernier, j'ai failli "dévisser" de la paroi montagneuse tant convoitée. J’étais pourtant en bonne forme physique, bien harnachée, stabilisée sur de bons appuis, prête à me lancer pour atteindre le piton suivant, tout se passait bien - mais …et oui, mais !? …D’un seul coup, en pleine course, j’ai ressenti de l’impatience à atteindre le prochain bivouac, sorte de terrasse tapie dans le flan de la montagne. A cet endroit, dans un passé proche, le paysage se vêtait de couleurs et de sons qui m’exaltaient contrairement à mes co-équipier(e)s qui n’y voyaient qu’un moyen de repos. Pour accélérer ma course, j’employais des prises rocheuses de plus en plus, selon eux, inutiles et dangereuses.
Combien de fois les ai je entendu me dire :
- « Mais, qu’est ce que tu trouves à cet endroit ? il est banal, il ressemble aux autres, ce n’est qu’un amas de roches et il n’offre aucun intérêt qui vaille des prises inutiles. C’est tout simplement absurde, tu ferais mieux de garder tes forces, le sommet est bien plus exaltant »
Et patati et patata …« prises inutiles » ? Mon dieu que je trouvais leur discours ennuyeux et si loin de mon besoin de sensations. Je leur reprochais leur insensibilité, leur esprit trop organisé ou soumis, leur manque de poésie, d’imagination, de folie et j’en passe. Alors je n’ai plus parlé, ça ne servait à rien, je me suis isolée, jouant avec des prises officieuses, pitons ou roches – mes amis, mes proches jouaient aussi de la sorte, par goût de découverte et pour se détendre mais modérément. Je me souviens l’avoir fait avec eux au début puis, je me suis lassée petit à petit : je pensais toujours à mon merveilleux paysage et… au bivouac.
Je me suis donc risquée toute seule sur cette voie : j’ai commencé par une prise que je trouvais assez solide, pas trop risquée, puis une deuxième s’est présentée, tentante, puis une troisième et ainsi de suite. C’était vraiment exaltant. Au delà que ce fut facile et rapide, je me sentais libre, souple, inventive, exploratrice…bref géniale ! Je riais de mes victoires, me sentant toute puissante, pleurait sur toutes les injustices du monde, les horreurs produites par mes congénères et Dame Nature, je hurlais, chantais, imitais des cris d’animaux pour entendre ma voix se cogner sur les parois des autres montagnes, j’insultais le monde entier et étais quasi sûre de rencontrer Dieu.
Autant ces sensations me transportaient lorsque je grimpais, autant je les trouvais franchement ridicules lorsque je rejoignais la vallée dans laquelle je restais quelques jours, le temps de panser mes égratignures, blessures plus ou moins invalidantes et faire face à mes obligations.
J’ai renouvelée l’aventure et de plus en plus souvent jusqu’à ce que mon paysage devienne une croûte ternie comme abandonnée dans une cave. Un jour j’ai dit STOP, le sentiment de malaise ayant dépassé l’exaltation.
Alors je suis restée dans la vallée, revenant escalader la montagne, oubliant certains pitons ou prises rocheuses, avec de temps en temps la nostalgie de mon merveilleux paysage. Les jours ont passés, en fait plus de deux mois, j’ai choisi d’autres pitons, d’autres prises rocheuses , mais qui me semblaient plus ternes ne les ayant pas réellement observés. Mon merveilleux paysage s’estompait de jour en jour et l’idée que je m’en faisais aussi.
Puis, soudain, il est réapparu par flash la semaine passée. Il s’est imposé à moi comme objet de mon désir imminent. J’ai eu une pensée, tenace, plus je la chassais de mon esprit mais plus elle revenait collante, une vraie glue et elle disait : « sans mes prises rocheuses ni ces pitons, pas de paysage. Ces prises sont là, toujours au même endroit sur la montagne, il me suffit de peu de chose pour les retrouver et simplement tendre la main ou y poser mon pied. Elles ne me demandent rien, elles sont là, c’est tout ».
Ha ! Ce paysage, comme il me tentait ! Oeuvre de moi même, de mes sens ! mais je n’ai pas cédé. Je suis redescendue dans la vallée, jetant un regard sur l’amont, cherchant ma terrasse et mon bivouac avec regrets et ne comprenant rien : Est ce mon paysage ? la montagne ? les prises rocheuses et pitons ? Qu’est ce qui est sournois, puissant et déroutant ? Si je peux m’attribuer une réalisation, c’est bien mon paysage et non la montagne puisque moi seule l’atteint, celui-ci restant invisible à mes co-équipiers. Alors, si c’est mon paysage, il vient de moi-même qui est …Non, décidemment cette idée ne me plait pas, mais pas du tout.
J’ai fait un rêve cette nuit, je parlais avec des choses : un piton et une pierre
- Le piton et la pierre : Elsa, ne serais tu pas un peu sournoise, toute puissante et déroutante ?
- Moi, choquée et piquée : (et vlan, prends ça dans la citrouille) Mais non ! Je suis franche, humble, et stable…c’est vous qui êtes diaboliques !
- Le piton et la pierre, s’exclamant et moqueurs : Comment non ! Tu as déjà vu de la matière se transformer en diable !!!?
- Moi, de mauvaise foi : Ben oui, la preuve vous me tentez tout le temps et volez ma volonté,
- Le piton et la pierre, ironiques : Ah bon, parce que maintenant nous sommes doués de volonté ! Admets que tu te trompes d’interlocuteurs, tu ne t’adresses qu’à des choses qui n’ont rien d’humains, tu sais ces individus qui ressemblent à des araignées avec une tête, un corps, des bras et des jambes. Ils tissent des toiles naturellement sans savoir ce que c’est. Il leur arrive de s’empêtrer dedans c’est ce à quoi on les distingue des autres êtres vivants! Ils peuvent être parfois sournois, puissants et déroutants mais pas seulement, ils ont aussi d’immenses qualités !
- Moi, butée : Ben heureusement, merci de me rassurer mais moi je ne le suis pas !
- Le piton et la pierre, impavides et polis : Excuses nous de n’être qu’objets.
Voilà, j’ai écrit cette petite fiction pour vous faire partager l’état d’esprit dans lequel je suis aujourd’hui. Loin de moi l’idée de convaincre, n’étant sûre de rien et bien ignorante. Il se peut que demain je change de vision. Mes lendemains me diront si j’ai, oui ou non, envie de retrouver mon « merveilleux paysage », cette vieille croûte ou bien à jeun d’alcool, regrimper sur cette face et d’autres de la montagne pour d’autres paysages, bivouaquer à nouveau sur cette terrasse pour récupérer mes forces et continuer ma course vers les sentiers d'un versant inexploré.
Bisous à tous et toutes
Elsa