Modifié le 06-04-05 à 17:40 (GMT)Bonsoir,
Dans le Quotidien du Médecin du 14 janvier 2005, un article présente un livre sur "l'hypochondrie de l'esprit", c'est à dire la recherche de la normalité psychique : « le Nouveau Malade imaginaire » par le Pr Michel Lejoyeux (Paris, 2004, éditions Hachette Littératures).
Des malades pas si imaginaires
L'hypocondrie psychique gagne du terrain
Comment résister à « l'utopie du bonheur parfait », s'interroge le Pr Michel Lejoyeux dans son dernier livre intitulé « le Nouveau Malade imaginaire » (Paris, 2004, éditions Hachette Littératures). Selon lui, nous serions de plus en plus nombreux à « céder à une hypocondrie d'un genre nouveau qui ne porte plus sur les organes, mais sur l'esprit ». Michel Lejoyeux, responsable des services de psychiatrie des hôpitaux Bichat - Claude-Bernard (Paris) et Perray-Vaucluse (Essonne), dénonce l'obsession du psychologiquement correct.
LE QUOTIDIEN - Peut-on dire que la recherche à tout prix du bonheur psychique est le reflet de la société actuelle ?
C'est en tout cas le reflet d'une peur de la psychiatrie et d'un besoin de normalité psychique. C'est aussi la manifestation d'une peur des techniques classiques de psychothérapie. Les personnes hypocondriaques ne vont pas au bout de leur démarche : elles n'entreprendront pas un travail d'analyse prolongé. Elles sont plutôt dans la logique du fast-food : grappiller un conseil par ci, une séance par là.
Pourtant l'hypocondrie classique est une maladie connue dès l'Antiquité.
Il est vrai que ce que l'on attendait des philosophes - qu'ils nous donnent des pistes du bonheur -, on l'attend aujourd'hui des psy. On a positionné le psy dans ce rôle.
« A la folie de la médecine et de l'hygiène du XVIIe siècle fait suite une nouvelle obsession collective, la folie psy », écrivez-vous. Quelle est selon vous l'influence des médias ?
Je pense que les médias ne font qu'alimenter les inquiétudes que nous avons déjà en nous.
Vous dénoncez toutefois la manie des guides et des revues sur la santé de proposer des tests « psychologisants » : c'est la « logique du questionnaire » au détriment de celle du questionnement.
Répondre à un questionnaire est beaucoup plus facile et trompeur à la fois. Si vous prenez, par exemple, les items d'un questionnaire de dépression, vous allez pratiquement répondre oui à toutes les questions. Est-ce que, depuis un mois, vous n'avez pas eu un moment de découragement ? Est-ce que, depuis un mois, vous n'avez pas eu un moment de tristesse, de lassitude ? Le fait d'additionner les items expose au risque de surdiagnostiquer les maladies. C'est la logique de l'hypochondrie appliquée à la vie psychique. Si vous acceptez l'idée qu'une vie psychique normale est traversée d'angoisses, de doutes, de regrets, vous n'allez pas demander des soins pour ce qui n'en nécessite pas. De même que l'hypochondriaque classique, quand il a les mains moites, se dit qu'il doit avoir de la fièvre ou que ce sont les premiers signes de l'endocardite. Le désir de classifier, de diagnostiquer traduit cette relation particulière à la médecine que sous-tend l'hypocondrie. L'hypocondriaque est fasciné par la médecine (il s'examine, il joue au docteur avec lui-même pour trouver ses maladies) et, en même temps, il s'en défie, puisqu'il ne va pas faire la démarche la plus simple qui est de consulter son médecin généraliste pour savoir s'il est malade ou pas. Ce double sentiment, attirance pour le corpus médical et méfiance de la pratique des médecins, traduit le besoin de s'examiner soi-même. Les hypocondriaques sont à la recherche de conseils, mais ils ne vont pas suivre les remèdes qui leur seront proposés : ce dont ils ont besoin, avant tout, c'est de garder la maîtrise et de rester acteur de leur propre parcours de soins.
L'hypocondriaque peut-il être comparé à une personne masochiste ?
Je pense, en effet, que l'hypocondrie est une forme de masochisme moral, un jeu avec le pire. Le masochisme de l'hypocondriaque est évidemment plus intellectuel que sexuel, plus inconscient que délibérément pervers : il trouve dans son malheur des satisfactions aussi secrètes que troublantes. Il jouit du bonheur de se faire plaindre et de se présenter comme un grand malade.
Vous expliquez également que Freud décrivait les conduites hypocondriaques comme une manière de compenser un plaisir sexuel défaillant.
Pour Freud, celui qui n'arrive pas à trouver du plaisir dans sa vie sexuelle en trouve indirectement en se croyant malade. Sa libido contrariée se déplace de la sexualité vers le besoin de soins. L'hypocondriaque trouve un plaisir érotique à se livrer à l'examen, à l'intrusion d'un étranger soignant. Freud disait que l'un des traitements de l'hypocondrie, qu'il voyait comme une névrose actuelle, c'est-à-dire qui n'est pas due, comme les autres formes d'angoisse, à des conflits anciens, était de retrouver une relation à la sexualité plus normale et plus active. Personnellement, je ne me permettrais pas de donner des conseils aussi directifs.
L'hypocondriaque joue au docteur avec lui-même
L'hypocondriaque n'est-il pas à la recherche d'une garantie de vie sans risque ?
Je crois que l'on veut tous ça. Le principe de précaution a été tellement intégré comme un principe organisateur de la société moderne que tout ce qui va dans le sens d'une réduction des risques est complètement valorisé. L'hypocondrie se nourrit de cette croyance absolue que l'on a tous de l'extrême importance de la précaution. Mais il s'agit, chez les hypocondriaques, d'une précaution assez particulière : s'ils vont accumuler les consultations chez le médecin, ils ne se vaccineront pas pour autant. Ils ont leur propre échelle du risque. Je suis frappé de voir ces gens qui vont pianoter des heures sur Internet pour trouver de nouveaux traitements, mais qui ne vont pas soigner une maladie psychiatrique caractérisée ou qui refusent de faire des examens de santé de base. Plus on est dans la peur, moins on est dans une évaluation objective du risque.
Comment différencie-t-on un hypocondriaque d'un déprimé ?
On peut être les deux. Globalement, l'hypocondriaque a peur d'être malade. Il a peur que son corps ou son esprit ne fonctionne pas bien tandis que le déprimé est certain qu'il ne va pas bien. Il a acquis une perte de l'estime de lui-même. Les critères de la dépression sont très précis, pathologiques et durables.
Les hypocondriaques sont-ils des accrocs au shopping médical ?
Les autorités de santé en parlent beaucoup aujourd'hui. Cela consiste à ne pas avoir un praticien référent, comme nous y incitent les réformes actuelles, mais à se promener d'un intervenant à un autre. L'hypocondriaque va rencontrer beaucoup de médecins sans jamais se confier complètement à l'un d'entre eux. Nous sommes dans la logique du donjuanisme dans la vie sentimentale : multiplier les rencontres sans que l'une d'entre elles ne prenne vraiment d'importance. On sait que le moyen d'échapper au perfectionnisme médical psychique, c'est d'avoir quelqu'un qui va personnaliser l'information, la hiérarchiser et qui va nous dire ce qui est bon pour nous. La notion de maladie est une démarche diagnostique qui doit être faite par un professionnel. Cela est difficile à entendre pour un hypochondriaque. Pourtant, il est nécessaire que chacun soit dans son rôle, dans le cadre d'une relation médecin-malade.
Votre objectif est-il de mener les patients vers le chemin de la psychothérapie ?
Vers le chemin des professionnels. Ne lisons pas le livre qui va donner des pensées optimistes ou qui va dire comment faire son deuil mais, si l'on ne se sent pas bien, allons plutôt consulter notre médecin généraliste qui saura faire un diagnostic. Ce que j'aimerais surtout, c'est que les gens ne fassent pas des thérapies sauvages, avec n'importe qui. Il faut croire davantage ceux qui posent des questions que ceux qui donnent des réponses. On a plus besoin d'improvisation, de capacité d'adaptation que de principes d'organisation trop enfermants.
> PROPOS RECUEILLIS PAR STÉPHANIE HASENDAHL
Conseils pour éviter l'hypocondrie
Dans son livre, le Pr Lejoyeux donne quelques conseils pour éviter de devenir un malade imaginaire :
« - Je ne prends pas pour moi toutes les menaces dont j'entends parler (...)
- Je ne suis pas les conseils de mes amis qui me proposent d'essayer leur thérapeute (...)
- J'apprends la loi de l'effet inverse. Ceux qui se soignent le plus sont souvent les plus angoissés (...)
- Je ménage dans l'organisation de ma vie des instants de désordre ou d'improvisation (...)
- Je ne rêve pas de faire le vide dans mon esprit (...)
- Je n'essaie pas de suivre toutes les étapes des guides et des méthodes de bien-être que j'achète (...)
- Je relis « Knock » et « le Malade imaginaire » comme de vrais antidotes (...)
- Je choisis un médecin généraliste qui me rassure et me comprend et je lui confie le soin de ma santé (...)
- J'apprends à retrouver le plaisir du quotidien plutôt qu'une assurance sur l'avenir (...)
- Je referme les livres de psychologie que j'ai lus et je ne les utilise pas comme guides régissant mon existence. Celui-ci ne fait pas exception à la règle. »
J'aime bien la dernière phrase !
Reste à savoir si les hypochondriaques de l'esprit achèteront ce livre-là
!
P.S. pour Hervé et son cactus : il coûte 16,15 € chez Alapage 
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Pandore Non médecin, juste "patiente" Modératrice de Santé Psy |