Bonjour,En ce qui concerne le rapport de l'Inserm, voila l'article paru dans l'édition du 6 octobre 2004 du Monde.
Bonne lecture,
Pandore
PSYCHOLOGIE
Les ratés méthodologiques de l'évaluation de l'Inserm
Les psychanalystes sont gens plutôt feutrés, et il est rare que leur confrérie - laquelle regroupe, en grande majorité, des médecins psychiatres et des psychologues titulaires d'un diplôme d'Etat - se mobilise publiquement. En un an, elle en aura pourtant, et par deux fois, saisi l'occasion.
Il y eut d'abord l'adoption par l'Assemblée nationale, en octobre 2003, de la première mouture (modifiée depuis) de l'article de loi relatif à la réglementation concernant les psychothérapeutes. Mais il y eut aussi, en février, la publication des résultats d'une expertise collective portant sur l'efficacité comparée des trois principaux types de psychothérapies : les thérapies cognitivo-comportementales (TCC), les thérapies analytiques (rebaptisées pour la circonstance "psychodynamiques") et les thérapies de groupe (conjugales ou familiales).
Réalisé à la demande de la direction générale de la santé par un groupe de chercheurs de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), le rapport de cette expertise concluait en effet, dans presque tous les troubles mentaux, à la supériorité des TCC sur les deux autres types de thérapies (Le Monde du 26 février). En s'appuyant sur une méthodologie qui, à y regarder de plus près, serait pour le moins discutable.
"Nous avions à notre disposition une énorme quantité de travaux scientifiques, mais ils ont été mal utilisés", affirme le psychiatre parisien Jean-Michel Thurin. Chargé par l'Inserm de l'expertise des psychothérapies psychodynamiques, il rappelle que les experts se sont tout d'abord accordés sur les difficultés qu'il y avait à "effectuer des comparaisons entre les différentes approches". Leur travail a ensuite consisté à réaliser la "méta-analyse" de plusieurs méta-analyses déjà existantes, comprenant au total "près de 700 études effectuées depuis soixante ans".
Faire une méta-analyse, cela signifie colliger les publications portant sur un problème particulier, en évaluer la pertinence et en tirer des conclusions générales dans un effort de systématisation.
Les chercheurs s'étant réparti la tâche, chacun ne disposait pas de l'intégralité des articles. Ce n'est donc qu'après la publication du rapport que Jean-Michel Thurin a pu examiner en détail les 94 articles composant la bibliographie d'un de ses chapitres-clés, intitulé "Bilan des études comparatives".
De cette lecture attentive, le psychiatre a tiré plusieurs enseignements. "D'une part, beaucoup d'études "comparatives" ne concernent de fait que les TCC. D'autre part, celles qui comparent les TCC et les psychothérapies psychodynamiques ne montrent pas ou très peu de différence de résultats entre les méthodes", précise-t-il.
Par ailleurs, il apparaît que les auteurs de plusieurs articles "recommandent de façon permanente un abord plus précis que celui des comparaisons "globales" et font de nombreuses recommandations sur ce que peut être une étude comparative intéressante. Comment se fait-il que cet avis (qui revient en permanence depuis une quinzaine d'années) n'ait pas été pris en compte pour cette expertise ?", s'interroge Jean-Michel Thurin sur le site Internet (www.techniques-psychotherapiques.org) qu'il a monté depuis lors, à l'intention de ses confrères, pour protester contre la méthodologie employée.
"On ne peut qu'approuver l'intention de ce travail. Il est en effet devenu indispensable d'éclairer les professionnels et, au-delà, le public, sur l'utilité de psychothérapies dont l'offre prolifère, selon des techniques qui vont du plus sérieux au plus fantaisiste", estiment quant à eux, dans un texte commun placé sur ce même site, cinq chercheurs et professeurs universitaires de psychologie.
Mais "encore faut-il qu'une telle évaluation soit objectivement conduite, et que, prétendant établir la valeur scientifique des thérapies examinées, elle soit elle-même scientifique. Tel n'est pas le cas", poursuivent-ils. Avant de passer longuement en revue l'accumulation de biais méthodologiques et la généralisation abusive des résultats dont, selon eux, souffre ce rapport.
"Les conclusions de cette expertise reposent sur une philosophie bien précise de la prise en charge psychothérapique, empiriste et utilitariste, qui évacue de fait les thérapies analytiques", commente Dominique Cupa, professeur de psychopathologie à l'université Paris-X-Nanterre et cosignataire de ce texte. "Tout le monde souhaite que les traitements visant à soulager la souffrance psychique soient rapidement efficaces. Mais ce n'est pas toujours possible pour autant !"
Pour tous ces spécialistes, l'expertise de l'Inserm n'a confirmé qu'une chose : lorsqu'on aborde des problèmes simples, par une méthode thérapeutique artificielle, on obtient des résultats... Mais des résultats de "laboratoire", pas ceux que donnent les psychothérapies telles qu'elles se font dans la pratique clinique quotidienne, en institution ou en cabinet privé. Et moins encore lorsqu'il s'agit de thérapies analytiques, sur l'évaluation desquelles les praticiens eux-mêmes se cassent les dents, tout en la sachant indispensable à l'avenir de leur discipline.
Si les résultats des TCC, qui visent la guérison d'un symptôme précis, sont relativement faciles à évaluer, on ne pourra pas tester le bien-fondé de méthodes complexes, quelles qu'elles soient, sans tenir compte des réalités de la cure, ajoutent ces psys en colère. Ni sans la participation, pour obtenir des méta-analyses de qualité, de méthodologistes expérimentés dans ce domaine.
Catherine Vincent