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Prescriptions hors AMM. Qui est hors la loi et même hors la science médicale ?

Première publication : vendredi 6 janvier 2012,
par Alain Braillon - Visites : 12333

Alain Braillon est un médecin de santé publique qui a eu le tort de s’attaquer à de puissants lobbies (tabac, alcool, cancer-business) et qui a été "lâché" par les autorités sanitaires. Il a perdu son travail au CHU d’Amiens dans des conditions très contestables et se retrouve placardisé par une administration qui lui reproche d’être "incontrôlable". Je trouve personnellement inquiétant que l’on demande aux médecins de santé publique d’être "contrôlable". Ceci explique peut-être le mutisme des universitaires de santé publique français face aux grands enjeux sanitaires actuels, en dehors de leur soutien à des campagnes d’intérêt douteux comme la vaccination antigrippale.

C’est donc avec plaisir que je lui donne la parole. Alain Braillon est mis à l’index en France alors que sa réputation internationale est intacte comme vous pourrez le constater sur son blog.

Dominique Dupagne

La prescription hors AMM (Autorisation de Mise sur le Marché) va être très encadrée avec la réforme du contrôle du médicament que les députés viennent de voter sans les sénateurs.

Dominique Dupagne, dans son analyse de cette nouvelle loi a consacré un paragraphe spécifique à la prescription hors AMM. Il démontre que sur ce point, comme sur d’autres, la nouvelle loi ne s’attaque pas aux racines du mal.

Les incohérences du système sont nombreuses et l’AMM est accordée uniquement sur demande industrielle. Ainsi, des médicaments similaires ont des indications différentes, c’est le cas par exemple des hormones de croissance. Depuis l’arrivée des génériques, les laboratoires qui avaient breveté initialement la molécule ne veulent plus financer le développement de produits qui sont tombés dans le domaine public. Il n’y a donc plus de suivi scientifique d’un médicament quelques années après sa commercialisation : l’AMM reste figée pour ce qui est d’éventuelles nouvelles indications issues de nouveaux travaux scientifiques

C’est un véritable maquis pour le prescripteur. Mais les agences sont aussi responsables. En se contentant de faire un copié-collé des critères d’inclusion des études pivots, elles produisent des libellés d’AMM sont de moins en moins adaptées à la pratique clinique : par exemple,

« Le clopidogrel est indiqué dans la prévention des événements liés à l’athérothrombose chez les patients souffrant d’un infarctus du myocarde (datant de quelques jours à moins de 35 jours) … »

Au 36ème jour votre prescription est hors AMM mais au 34ème c’est OK ! La liste des incohérences est longue, elles ne sont pas que technico-réglementaires.

Le but de ce billet est d’illustrer avec un simple exemple l’incohérence des tutelles concernant l’AMM : La HAS (Haute Autorité de Santé) fait la promotion de prescriptions hors AMM ; pire, cette promotion se fait en contradiction avec les données de la science (la médecine fondée sur les preuves). Or, les caisses de sécurité sociales et les syndicats de médecins se fondent sur les avis de la HAS pour définir les critères de performance des médecins.

La HAS a ainsi établi une recommandation sur l’artériopathie chronique oblitérante des membres inférieurs. La HAS recommande le dépistage de l’artériopathie chronique oblitérante des membres inférieurs chez des sujets asymptomatiques et l’instauration d’un traitement par l’aspirine [1]. Cela malgré l’absence d’étude montrant l’intérêt du dépistage et aussi l’absence d’AMM de l’aspirine dans cette indication.

C’est une double faute vis-à-vis de l’AMM. L’aspirine n’a ni indication en prévention primaire ni en prévention secondaire pour l’artériopathie chronique oblitérante des membres inférieurs. Les indications de la spécialité pharmaceutique KARDEGIC sont :

« prévention secondaire (y compris lors de situations d’urgence pour les dosages160 et 300mg) après un premier accident ischémique myocardique ou cérébral d’origine lié à l’athérosclérose. »

Cette recommandation déconnectée de l’AMM et des données de la science a été publiée au Journal Officiel de la République française [2] dans le cadre conventionnel de l’Accord de Bon Usage des Soins. Elle a donc été validée par les principaux syndicats médicaux La médecine ne s’apprend plus dans les ouvrages de référence comme le Harrison ou les revues scientifiques, mais dans le Journal Officiel, avec pour auteurs les caisses d’assurance maladie et les syndicats médicaux !

Cette recommandation de la HAS est d’autant plus incompréhensible qu’elle s’oppose à celle de son homologue étatsunienne, l’U.S. Preventive Services Task Force, réputée pour la solidité de ses avis, qui va dans un sens opposé : elle attribue le grade D à ce dépistage, c’est à dire qu’elle en déconseille la pratique [3].

Non contente d’avoir promu une nouvelle exception française, la HAS persiste dans l’erreur en ignorant les résultats des travaux scientifiques publiés après la recommandation. Or les recommandations ne sont pas éternelles, elles doivent être mises à jour et c’est le but de la veille scientifique que doit assurer toute institution qui rédige des recommandations. Une étude a démontré en 2010 l’inutilité du dépistage et le caractère dangereux du traitement préventif par l’aspirine dans ce contexte [4].

Cette étude a inclus, d’avril 1998 à octobre 2008, 28 980 hommes et femmes âgés de 50 à 75 ans, sans maladie cardiovasculaire clinique. Parmi eux, 3 350 avec un index de pression systolique à la cheville faible ( inférieur ou égal à 0,95) ont participé a un essai en double aveugle randomisé comparant placebo vs aspirine. L’analyse a été en intention de traiter. L’aspirine ne diminue ni la mortalité, ni les événements cardio-vasculaires mais elle est responsable d’un risque d’hémorragies majeures (HR, 1,71, IC 95%, de 0,99 à 2,97).

Le respect de l’AMM constitue donc un gros problème pour l’avenir de la prescription médicamenteuse :
- De nouvelles indications pertinentes ne sont pas intégrées dans l’AMM faute de demande (payante) des industriels
- Des indications erronées sont accordées par des institutions sanitaires autres que l’agence du médicament, au mépris des données de la science, et avalisées par le journal officiel.

Liens d’intérêts : Le Dr Alain Braillon déclare n’avoir aucun lien d’intérêts avec l’industrie du médicament.


[1Haute Autorité de Santé. Prise en charge de l’artériopathie chronique oblitérante athéroscléreuse des membres inférieurs - Indications médicamenteuses, de revascularisation et de rééducation. Avril 2006 http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/AOMI_recos.pdf p7 II.3.2

[2Avenant à l’accord de bon usage des soins relatif à l’utilisation des antiagrégants plaquettaires. NOR : SJSU0722012X Journal Officiel de la République Française. 19 Décembre 2007 Texte 33 sur 143 http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000017717893

[3Screening for Peripheral Arterial Disease. August 2005 http://www.uspreventiveservicestaskforce.org/uspstf/uspspard.htm.

[4Fowkes FG, Price JF, Stewart MC et al. Aspirin for prevention of cardiovascular events in a general population screened for a low ankle brachial index : a randomized controlled trial. JAMA. 2010 ;303:841-8

Il y a 1 message sur ce forum.

Messages

  • "La prescription hors AMM (Autorisation de Mise sur le Marché) va être très encadrée. "

    C’est genial... on va apprendre la medecine dans le Vidal maintenant !!!

    Deja pour les doses, les AMM ne prennent absolument pas en compte la variabilite des individus et font reference aux individus "moyen"

    Et pour les indications....on est mal barres, en tout cas en psychiatrie ou on utilise beaucoup de medicaments hors AMM avec des bons resultats, soulageant les patients....

    On se demande vraiment quel est l’interet de faire des etudes de medecine et de developer un esprit critique (on espere), d’apprendre a rechercher la literature scientifique si c’est pour se faire dicter la therapeutique par des reglementaires dont le quotidien n’est certainement pas la clinique.....

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