Modifié le 05-10-04 à 16:47 (GMT)
Rebonjour
Revoilà cette fois l'origine du post de tout à l'heure..
Je m'étais un petit peu égarée..
Le terme "criminel" m'avait fait penser à un autre monde à la fois si lointain et si proche de nous ..
Parler une nouvelle(et dernière)fois de l'univers carcéral , non pas pour essayer de justifier leurs actes ou leurs non-actes, leurs culpabilité ou leur innocence ..Ou encore moins discuter sur le sens de leur peine..
Mais juste pour souligner ''une'' leur souffrance, qui existe et qui est si souvent condamnée au silence.
Une post-réflexion m'a ainsi beaucoup aidé dans ma reconstruction.
Un début de réponses qui fait tout simplement grandir..
Pour comprendre, voir et entendre de l'autre côté de la ligne jaune..
En prison, il y a un vrai message à faire passer..
Il s'agit juste d'y tendre l'oreille..
Un message "hors champ", mais qui lui aussi possède cette"la liberté fondamentale: se détruire ou rester en vie"
Un message pour comprendre et réfléchir davantage à un souci qui nous concerne tous. Où que nous soyons, qui que nous soyons...
Chaque jour, 3 tentatives de suicide sont comptabilisées dans les prisons françaises (soit une moyenne mensuelle de 90 tentatives), et 3 débuts de grève de la faim. Avec un suicide effectif tous les trois jours, le taux est sept fois plus élevé qu’à l’extérieur.
La période d’arrivée en prison (mise sous écrou), par la violence de son impact, entraîne un maximum de suicides. Pour beaucoup, la concentration du temps, la perte des repères, la restriction spatiale et l’absence de futur entraînent un désespoir sans fond.
Le sujet se sent pris et traqué comme dans « une souricière ».
Il ne lui reste plus de solution. L’espace, en se resserrant, abolit le temps. Un temps synonyme de non-vie.
Il ne lui reste plus qu’un vague sentiment ‘’d’étouffement’’ qui fait que pour lui aucune dynamique de force présente n’existe plus.
Et la femme ou l’homme, pris dans une telle nuée, n’a plus qu’une issue. Il supprime le problème, au lieu de le résoudre, selon la formule d’Albert Camus. Lorsque la souffrance est trop atroce, il n’existe qu’une seule urgence : la faire cesser, quel que soit le moyen.
Deux univers ‘’prison’’ et ‘’liberté’’ incompatibles, bien que conjoints et qui ne sont pas sans faire ressentir un effroi de peur et d’angoissse face aux couloirs de cellules.
L’être humain naît, croît, vieillit et meurt à travers le temps.
En y regardant d’un peu plus près encore, le temps apparaît n’être rien d’autre que le déroulement d’une vie.
En des termes différents, il n’est rien d’autre qu’un individu à la naissance, au cours de l’enfance, de l’adolescence, de la vie adulte, de la vieillesse et de la mort. C’est une autre façon de parler de l'être humain. A partir de là, le prisonnier sait parfaitement qu’il s’agit de lui et de personne d’autre.
Quoi qu'il en soit, cette réduction du temps intervient comme une privation de liberté, dans le sens où le détenu en prison ne dispose plus de son temps. Maintenant, il se trouve amputé de son propre projet d'existence. Un seul objectif lui reste en tête : sortir.
Mais en attendant, comment se situer dans ce qui représente pour lui un temps mort, vide ? Avec un agencement du temps qui désormais lui échappe, pour ne se présenter que sous la forme d'un emploi du temps rigide et programmé, chaque jour sera semblable à la veille et au lendemain.
Aux mêmes heures bien précises puisque désormais, cet intervalle de vie appartient à l'administration pénitentiaire, qui fixe un rythme lent, pesant et inexorable entre: Lever, toilette, travail… Soupe et coucher.
Le mot cellule: la plus petite unité du vivant résumant ici l’espace de cloisonnement de l’homme. Enfermement ou claustration. Enfermement;isolement. Le nombre de détenus lucides et conscients de leur néant occupationnel. qui ne peuvent rien faire, rien.
Ni lire, ni écrire, ni même se concentrer sur une émission radiophonique ou télévisuelle. Rien. La prison agissant comme un détersif qui déroberait à l’être humain ses fonctions intellectuelles les plus rudimentaires.
Où ne lui resteraient que dans bien des cas, des réflexes, des mécanismes quasi-végétatifs, de simples ‘’élans de survie."
C’est tout le livre de la prison et, au-delà, de ces existences condamnées, et de détenus qui s’ouvre à même la personne, leur corps et leur parole.
En prison, ils sont entrés dans un autre monde, où plus rien n'a tout à fait le même sens. Pourquoi?
Simple exemple, dès l'entrée en prison, l'intimité n'existe plus.
En passant des fouilles au corps, de la possibilité constante d'une fouille cellulaire, l'œilleton à la porte laisse au surveillant le loisir de voir à tout moment ce qui se déroule en cellule....
Les rondes de nuits réveillant ainsi régulièrement les détenus. Dès lors, la seule intimité restante au détenu est celle de son corps, un corps qu'il peut à tout moment modifier, embellir ou agresser par l'automutilation. Lorsque la survie exige de ne plus succomber au jour le jour à la douleur et à l’abandon et qu’aucune raison d’être ne vous a jamais été signifiée, la solution est dans la négation des envies, des nécessités inassouvies , sources principales de souffrance, rappels du manque. Manques de liberté et de sa vie antérieure, à l’extérieur qui sont subitement et cruellement effacés. C’est pourquoi ils sont si nombreux à devenir "obsessionnels" ou "paranoïaques".
La prison est un univers "totalitaire" qui rend fou.
Pour s’en défendre, il est indispensable de se métamorphoser "en quasi-machine de guerre." Il n'y a pas de vie sans souffrances, et pourtant tout regard sur elle suscite le rejet . Parce qu’elle dérange.
Le Moyen Age nous racontait que le malheur sur terre, dans une vallée de larmes, nous permettait d'espérer le bonheur, ailleurs.…
Le XIX° siècle nous expliquait que le bonheur, était quelque chose qui se méritait et que les plus malchanceux se trouvaient à leur place, puisqu'ils avaient échoué dans la conquête de cette faveur. Aujourd'hui, le discours qui légitime et sacralise les plus belles performances technologiques, nous demande de croire que le malheur est une maladie due à une chute de la raison humaine. Misère, délits, pauvreté et violence, tout semble se résoudre à cette équation.
On croit ici en Occident apporter aux gens le bonheur qui leur fait défaut par des produits analogues à forces de substances chimiques, de médicaments et de mondes fictifs jusque dans les médias.
Quand le sentiment de vide provoqué par la représentation d'une absence, n'est pas rempli par des créations affectives et mentalisées, l'angoisse du détenu se transforme en force inutile, en pulsion vers le néant, comme une violence informe qui le pousserait au bord d'une fenêtre.
Quand l'homme coupable ne trouve pas autour de lui les structures émotionnelles, sociales et culturelles qui lui permettraient de transformer sa souffrance en surplus d'humanité, il ne lui reste que l'auto agression voire même la mort pour moins souffrir...
Elles signifient clairement que le détenu a choisi d’en finir.
Un peu comparable à la mythologie du héros, qui tombe les armes à la main et meurt debout. Sans avoir le même panache, celui qui se lance dans une grève de la faim sans soutien médiatique arrive à un résultat identique.
Le temps était trop long.
Il a mieux valu mourir.
Le choc de l’arrestation est tellement violent que c’est comme si le temps s’arrêtait. Puis le second choc, celui de l’incarcération, enfonce le prisonnier dans une chape de béton qui ressemble à un tombeau. L’incarcération est un choc, un terrible traumatisme.
L’individu se retrouve en état de stupeur.
Il lui devient même parfois totalement impossible de s’approprier l’impact de l’événement. Le passage de la vie (extérieure) à la mort lente de la détention est par-là même inimaginable pour toute personne qui n’est pas allée en prison. Il a pourtant été beaucoup écrit sur le sujet.
Mais sans doute résistons-nous davantage à de telles vérités qui nous glacent d’horreur et de honte….
Les contacts avec le milieu pénitentiaire conduisent sûrement à une réflexion sur la nature humaine, la société… Oui, la vie en milieu carcéral est dure.
Outre la privation de liberté et ses frustrations, le prisonnier souffre d’une promiscuité permanente, souvent aggravée par la surpopulation, avec un ou deux compagnons non choisis, 24 heures sur 24 dans 8 m2, toutes formes de délinquance confondues. On peut parler ‘’d’université du crime’’ pour le plus timide des postulants.
A l’issue d’une période plus ou moins longue d’hébétude, ce choc sera souvent à l’origine d’une remise à plat complète de son parcours pour le détenu. Ainsi voit-on, chez un jeune majeur par exemple, pour qui l’école cristallisait toutes les défaites, tous les échecs, une façon nouvelle d’envisager la classe et ce que l’on y fait. Celui dont l’absentéisme était notoire quelques mois seulement auparavant devient assidu, demande des « devoirs » à faire en cellule et travaille sérieusement, du mieux qu’il peut.
Ailleurs voit-on ce monsieur d’un âge mûr avouer son illettrisme et s’en remettre "au prof" parce qu’il lui faut répondre au courrier de ses enfants et de sa femme. Et puis tout simplement parce qu’il est prêt à vous redonner sa confiance.
Une confiance de la dernière chance, qu’il ne faudrait surtout pas décevoir mais porter et soutenir jusqu’à la victoire.
POURQUOI s’ y rendre ? Pourquoi donc s'évertuer à aller enseigner dans un monde clos? Où la loi du silence semble régner et faire place de maître à un ordre invisible, si ce n'est omniprésent pour étouffer le malaise d'une ignorance? Le malaise ou le mal-être d'une société qui rechigne parfois à laisser place à chaque individu. Un individu, tel qu'il soit, mais qui reste lui aussi concerné par les droits fondamentaux de la dignité humaine.
Une dignité, une certaine qualité de l'homme qui grandit pour peu à peu se redécouvrir. Bien sûr certains parleront d'une innocente utopie...
Un leurre qui prend parfois la tournure d'un curieux revers de manche! Soyons réalistes, il est vrai... Mais , une fois la porte franchie, il reste souvent ce vaste sentiment d’usure, et d’impuissance…Comme englobée par le bruit récurrent de clés et de verrous qui s’entrechoquent, à l’entrée, puis à la sortie. Comme emportée par l’amas de souvenirs en forme de petits paragraphes "succincts" en paroles mais si riches d’amertumes et de souffrances. Des flashes sereins et isolés qui surgissent de la mémoire fragmentée de celle qui n’a jamais vécu ni même dormi en prison. L’arrivée dans le métier, dans les lieux va être elle-aussi marquée par un choc carcéral…
Bien que ce terme soit habituellement utilisé à propos de la première incarcération d’un détenu, il n’en est pas moins adéquat pour exprimer ‘’l’impact de l’arrivée’’ en détention des différents personnels : "Choc manifeste" à travers l’observation, l’intensité émotionnelle et la clarté de la découverte, à travers la toute première confrontation avec l’univers carcéral. "Le premier choc, à proprement parler, fut ressenti au moment où l’on franchit un couloir impénétrable…Une première entrée, une première fois que l’on n’oublie pas."
Un choc à la fois fait de surprise, et de peur car il y a toujours eu un décalage entre la représentation de l’univers carcéral et sa réalité. En effet, la prison dans ses représentations les plus communes sera celle le plus souvent d’un univers sans vie, immobilisé, figé, morne et silencieux. Il est difficile d’admettre que les prisons sont ainsi, et constituent, en fait, de vastes chambres de solitude et d’abandons.
Sourde et muette, la conscience de l’homme opte souvent pour le silence…Même si dans la réalité de la détention, les mouvements incessants, les bruits, les odeurs sont autant de signes d’une vie ‘’intense’’ qu’aucun oubli ne peut réduire ni annuler.
L’idée dominante de la prison s’attarde sur l’arbitraire d’une porte de cellule fermée, et s’épuise sur celle sous-jacente de mort.
PASSER la porte d’entrée, c’est pénétrer un autre monde; être saisi(e) par ce fond sonore incessant amplifié par les murs, les couloirs, les allées et venues des uns et des autres, puis sentir ‘’cette odeur’’, une odeur spéciale mais indéfinissable…une odeur qui semble juste caractériser un lieu…Et surtout découvrir avec stupeur et peur ces mouvements incessants. …Surpris par l’agitation, on l’est "surpris" par une circulation infinie dans tous les sens…
Une première fois où cette vie déambulatoire à la fois lointaine et cloisonnée impressionne le visiteur, le fait réfléchir sur la conséquence de la pénétration dans un monde clos… Que suis-je venue faire ici?…
_Mlle (...). L’unité scolaire, C’est là-bas.
Au fond sur votre droite.
En prison, ils sont entrés dans une autre sphère, où plus rien n'a tout à fait le même sens. Ces détenus, à la fois si loin et si proches de nous, expriment leur détresse, leur besoin de dignité, leurs désirs, et cette envie de vivre, malgré tout. L’enseignement en milieu pénitentiaire offre une alternative. C’est le dernier filet pouvant récupérer les failles du système social, les abandonnés du système scolaire, tous ceux qui ne connaissent d’autre discours que celui de la violence.
« Je m’accroche à ce bateau ivre qu’est ma vie. Tenant la barre avec mes pauvres mains, avec mes tripes comme compas, mon cœur comme boussole, ma foi comme étoile du berger…En paix avec moi-même, je me surprends à écouter le silence, à boire ces instants qui étanchent ma soif de vie et d’envies… » Patrice "Paroles de Détenu"