Bonjour docteur, Vous m'avez bien eue : voici plusieurs heures que je me tiraille la cervelle à trouver une définition satisfaisante du transfert. Une définition qui soit compréhensible, et la plus générale possible. Aîe aïe aïe. Ca m'apprendra, tiens.
Bon alors voilà. J'écris ce que je crois, mais c'est peut-être inexact.
Le transfert est un processus psychique complètement inconscient.
Il consiste à projeter sur une personne des parties de ma personnalité que je n'arrive pas à exploiter et qui me sont à ce moment cruellement nécessaires.
J'ai en moi un potentiel que je n'arrive pas à exploiter, alors je le projette (inconsciemment) sur la personne. Puis je regarde à quoi ça ressemble.
Ainsi, l'illusion est totale : je suis persuadée que cette personne détient la clé de mon mieux-être, je vis en plein fantasme. J'interprête chaque parole comme étant l'expression de ce potentiel.
L'ennui, si je ne suis pas conscient du phénomène, c'est que je deviens dépendant(e) de la personne en question, qui en général ignore tout de l'histoire.
Ca peut se finir en incompréhensions, et en conflit.
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Pour donner un exemple, vous imaginez un lycéen (nommons le "D") qui ne se sent plus de joie lorsque son prof de sciences nat lui lance "élève D., expliquez à vos petits camarades la différence entre la mitose et la meïose".
A ce moment, l'élève D. ressent envers ce prof un mélange d'amour et de gratitude. Car la confiance du prof résonne chez l'élève D.
Le prof a réveillé un potentiel fondammental de l'élève D. , potentiel sur lequel il va même baser sa carrière.
Si l'élève D. a une personnalité un peu fragile (ce qui m'étonnerait mais bon, ça arrive), il risque de ne pas dissocier son potentiel personnel de l'image que lui renvoie son prof. Et hop, voilà le transfert : il va s'accrocher au prof et devenir dépendant, en ignorant complètement que ce qu'il cherche est en lui et pas dans le professeur.
Il faudra donc qu'il prenne conscience du truc, et qu'il réccupère son "bien".
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Ben voilà : dans mon cas, c'est la guérison que j'ai projetée sur mon médecin. Et je suis coincée, dépendante. J'essaie donc de ramasser mes morceaux de personnalité, mais cette histoire de guérison, je n'arrive pas à la "conceptualiser" (à cette heure ci, j'aime bien employer des mots comme ça).
Ce qui fait que je me bats pour le médecin, mais pas pour moi. Du coup ce n'est pas solide, ça ne vaut même pas grand chose. Il suffit d'un mot de travers, ou pire, d'un peu d'indifférence, pour que mon moteur ne fonctionne plus.
C'est vrai, quoi, c'est agaçant de dépendre de quelqu'un pour aller mieux.
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Bref, la première fois que j'ai vu ce médecin, il y a juste un an, il a évoqué la notion de guérison. Ca a tout de suite fait écho : ça a éveillé quelque chose de très important en moi, et c'est ce quelque chose que j'essaie d'atteindre, de cerner, de ramener à la surface.
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Ca va, vous n'en avez pas encore marre ?
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En tant que médecins, vous (je m'adresse à tous les médecins) vous avez un rôle très important dans les fantasmes des malades. Vous représentez l'autorité, la tradition, la bienveillance, que sais-je...
Je crois que vous êtes un peu des miroirs sur lesquels vos malades projettent leurs soucis, leurs craintes, leurs espoirs.
La maladie est toujours un bouleversement psychique, donc je pense que quelque soit la pathologie, physique ou mentale, vous jouez malgré vous un rôle de choix dans la vie de vos patients.
La consultation chez le médecin découle de tout un rituel à la limite du religieux. On s'habille bien, on se fait beau, on consacre une demi-journée rien que pour ça. On stresse à l'approche du rendez-vous, on se pose des questions... Jamais je ne suis sortie d'un RV dans le même état psychique où j'étais arrivée. Et je crois que je n'ai jamais oublié aucun médecin, même pour des consultations anodines.
Le médecin a un statut bien plus important que le professeur, on lui livre non des copies, mais un corps et parfois un peu de son âme. On ne fait pas ça avec n'importe qui, quand même.
Bref. Je dévie, je dévie... c'était pour dire qu'il m'est bien plus utile de faire un transfert "sur" mon médecin que sur Georges Clooney.
Et j'aimerais bien guérir aussi, le jour où j'aurai compris ce que ça veut dire.
Cécile