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"La médecine a fait tellement de progrès que plus personne n’est en bonne santé !" *


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Juste soin puissance Ligne de vie

Oser une nouvelle donne dans le domaine santé social

Première publication : mardi 21 mars 2023,
par Philippe Ameline - Visites : 14386

Les images de ce texte sont tirées du site Image Bank Ukraine.

Les sociétés se transforment drastiquement et, dans la plupart des domaines, cette évolution procure un sentiment de perte de contrôle et de déclassement. Le domaine médico-social en est un exemple caricatural, avec un accroissement palpable des déserts médicaux - et, au sens large, une carence croissante des services médico-sociaux. Caricatural et inquiétant, car nous savons que les gros bataillons de « baby boomers » vont très bientôt basculer dans la séniorité et peser lourdement sur une organisation qui ne tient déjà que par l’abnégation de personnels épuisés.

Ce qui caractérise cette crise, à l’image de l’ensemble des crises qui nous frappent, c’est qu’elle nait d’un écart devenu insoutenable entre une évolution sociétale inédite (due à la mondialisation, au vieillissement, etc) et l’inertie des structures (politiques, réglementaires, normatives) qui les fige en garantes de modèles de pensée anciens. On ne peut s’empêcher de penser à une variante moderne de l’aphorisme de Gramsci « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde est empêché d’apparaître et dans la persistance de ce clair-obscur surgissent les monstres ».

Cette mécanique se décrit très simplement en médecine puisque les pathologies chroniques sont dominantes depuis une vingtaine d’années alors que le système n’a pas entamé l’amorce d’une réforme pour quitter une organisation toute entière pensée pour l’aigu. Ce modèle durablement dépassé enferme les raisonnements dans un modèle obsolète et les tentatives de solutions qui en sont issus ne font qu’aggraver la situation ; ainsi, l’université ne pense qu’allongement des études, les assureurs d’état que contrôle d’activité consenti en échange de primes... pendant que les médecins, qui théorisent à l’infini (autour du « centré patient », des maisons pluridisciplinaires, du centré sur les preuves, du transfert de compétences, etc, etc), bien malheureusement dans le vide, sont très occupés à disparaitre.

Rien de neuf. Ceux qui me lisent se souviennent peut être des « nouveaux paradigmes de soins » décrits en 2005 par Jordan J. Cohen comme une évolution nécessaire (et passée inaperçue). Rien d’étonnant non plus, puisque parler de paradigme, c’est se référer à l’ouvrage de référence sur le sujet, « La Structure des révolutions scientifiques », de Thomas Kuhn qui a théorisé au début des années 60 que les paradigmes sont d’autant plus indéboulonnables qu’ils sont obsolètes... car ils ont sélectionné les enseignants et les élites parmi leurs meilleurs « puzzle makers », ceux qui sont les plus habiles à en résoudre les équations, mais aussi les moins aptes à en comprendre les limites.
Le concept de capital risque est né de cette évidence que l’enfermement dans des modèles théoriques autrefois florissants mais devenus stériles entrainerait des crises durables si on ne permet pas à des « atypiques » de proposer les alternatives hors de la boîte qui ouvrent à de nouveaux possibles.

Oleshky Sands, a desert in Ukraine, Kherson region

Le Docteur Georges-Olivier Carissimo est de cette trempe, et son ouvrage le « Juste soin » propose une théorie métier puissante et moderne que ce document souhaite vous faire découvrir. En présentant, dans un second temps, la « Ligne de vie » comme possible levier sociétal, j’espère vous permettre d’envisager la perspective d’une dimension nouvelle d’où il est possible d’envisager d’un œil neuf les problèmes qui nous préoccupent dans le domaine médico-social et - il est permis de rêver - d’y apporter enfin des solutions opérationnelles adaptées.

Et, puisqu’il n’est d’intelligence que collective, Le dernier chapitre traitera du colloque du 11 mai 2023. Car l’urgence est de réunir ceux qui oseront mettre au rencart les vieilles grilles d’analyse et s’investir pour envisager l’avenir sur des fondations qui le rendent possible. .

Entrons dans le vif du sujet par une folle ambition personnelle : vous transmettre l’effet « Eurêka » qui m’a frappé en découvrant le Juste soin.

Juste soin

Comme je l’ai déjà évoqué, le « Juste soin » réfère au livre éponyme écrit par le Docteur Georges-Olivier Carissimo. Cet ouvrage fournit une description très détaillée du concept et ce chapitre n’a surtout pas vocation à en remplacer la lecture ; tout au contraire j’espère qu’il vous incitera à en savoir plus.

Avant de définir le juste soin, l’auteur décrit le dogme en cours, celui du « bon soin » [1] : « Le mythe fondateur de ce dogme est qu’à une pathologie diagnostiquée corresponde une séquence de soin et une seule : la bonne ; et qu’une fois LE diagnostic établi (l’ensemble des critères pour celui-ci obtenus) tout serait résolu, le patient n’ayant plus qu’à suivre un parcours dédié, fléché et balisé. »

On peut gloser à l’infini sur les mille et une raison qui font que cette description est simplificatrice. On peut, par exemple, arguer du fait que le diagramme de Venn de la médecine par les preuves contient, en plus de la « patate » des données de la science celles des objectifs du patient et celle de l’expérience du praticien, mais force est de reconnaître que si l’application des données de la science, donc du bon soin, est parfaitement théorisée, les deux autres concepts restent parfaitement flous… donc très difficilement opposables juridiquement. On peut rappeler que la décision médicale partagée reste un concept fort mal défini (s’agit-t-il de « tout bien expliquer au patient » afin qu’il choisisse lui-même la conduite à tenir qui lui convient ou, tout au contraire, de « se faire parfaitement expliquer les objectifs du patient » afin de sélectionner la démarche la mieux adaptée ?) et que la capacité de décision basée sur l’expérience du praticien est moquée sous le vocable d’« eminence-based medicine ».

Dans la pratique, il est clair que l’ensemble du système médical est bien organisé (dès qu’un traitement symptomatique n’est plus suffisant) pour établir un diagnostic et prescrire le traitement de référence. C’est d’ailleurs parfaitement représenté, depuis les années 50, dans la notion de « dossier orienté problème » popularisé par Lawrence Weed avec sa séquence SOAP qui décrit le flux de la consultation sous forme de quatre étapes : plainte du patient (Subjective), examen clinique (Objective), diagnostic (Assesment) et conduite à tenir (Procedure).

Le juste soin est initialement évoqué dans le livre sous forme d’un ensemble d’« idées simples », mais qui ont vocation à « refonder le système sur la base d’une doctrine stratégique renouvelée » : « un patient au centre du dispositif et acteur de sa propre santé, l’individualisation des soins, le respect de la personne considérée dans sa globalité, le choix de l’autonomie plutôt que de l’aliénation. » [2].

On serait presque tenté de considérer que cette énumération de poncifs ne mérite pas de prolonger la lecture… et on aurait bien tort !

D’abord, comme le note immédiatement après GO Carissimo, parce que ce sont « Autant d’idées systématiquement énoncées et systématiquement laminées par l’application persistante de la norme comme référence pertinente. »
Ensuite parce que ce n’est pas parce qu’une idée est dans tous les cerveaux qu’elle constitue une réalité matérielle ; si on se réfère, par exemple, au médecin généraliste comme « chef d’orchestre », c’est un concept dont on parle depuis tellement longtemps qu’il a fini par générer une illusion de réalité alors que, dans les faits, le généraliste n’a ni la formation, ni les outils, ni l’autorité, ni le mode de rémunération du rôle. C’est factuellement un homme-orchestre qui se rêve chef d’orchestre mais se limite à envoyer le public se faire jouer ailleurs par des solistes « de spécialité » les morceaux trop virtuoses.
Affirmer qu’on va faire du généraliste un chef d’orchestre paraît donc d’une totale banalité, même si « le faire vraiment » resterait une proposition résolument évolutionnaire.

La force du juste soin est précisément de proposer une démarche métier suffisamment novatrice pour permettre de transformer en réalités les incantations vaines de l’ancien paradigme. Il est temps d’entrer dans le vif du sujet.

Le soin ajusté

Le pivot de la démarche est le « soin ajusté », défini ainsi [3] : « Le soin ajusté, c’est le soin qui permet de conduire, pour et avec les malades, une stratégie de mise en santé qui ne fasse l’impasse ni sur les situations individuelles ni sur les connaissances et les techniques acquises. C’est un soin inclusif, projectif et circonstancié, en tout point opposé aux soins dits « pertinents » parce que normés et normatifs. C’est le soin à l’équilibre entre le possible et le souhaitable. C’est le soin, enfin, qui se tient entre l’acharnement déraisonnable et l’abandonnisme. »

Détaillons ces points :

« Inclusif » parce que le malade est inclus dans le processus décisionnel ; « le juste soin est un soin inclusif au sens où il tient compte des souhaits de chacun des patients et qu’il cultive l’idée que l’on bénéficie d’un traitement plus qu’on a à le subir, même s’il faut, quelques fois, en supporter les inconvénients. » [4].

« Projectif », en poursuivant le raisonnement, parce que « L’inclusion suppose un avenir possible. » et que rendre l’avenir possible est un projet à part entière, construit sur des objectifs clairement définis. « Le juste soin attend donc que l’on prescrive à l’objectif et non pas au diagnostic, étant entendu que l’objectif explicité doit être déterminé pour et avec le patient. » [5]
Deux concepts fondateurs apparaissent ici : la notion de projet de santé, qui, nous le verrons, est également le pivot de la Ligne de vie, et la notion de « prescrire à l’objectif » comme démarche tournant le dos à la prescription au diagnostic qui est la norme dans le « bon soin ».

« Circonstancié » signifie que le traitement doit être adapté aux circonstances dans deux dimensions : les multiples paramètres pertinents à un moment donné et l’évolution du contexte au cours du temps. « Les conditions de vie du patient, son entourage, ses comorbidités, sa compréhension de la situation vont créer un halo de contingences qui vont déterminer l’action positive ou négative qu’aura la décision médicale, ici pensée dans une durée si possible définie. […] S’adapter aux circonstances, c’est donc ajuster les décisions à l’évolution prévisible ou attendue du patient et de son entourage. »

« Équilibré » parce que les trois concepts déjà définis autorisent une démarche agile. L’absence de « traitement de référence » et le mode projet permettent à la fois de ne pas s’entêter dans une démarche que le patient ne supporte pas et/ou à laquelle il n’adhère pas, mais aussi de ne pas baisser les bras parce que rien de normé ne convient. « Reste alors le possible que le juste soin accepte comme souhaitable, à condition qu’il soit expliqué comme un écart à la norme. Le souhaitable devient le nécessaire et s’impose plutôt que le renoncement. » [6].

Responsabilité, autonomie et indépendance

Résumons. Le juste soin consiste à élaborer avec le patient un projet et des objectifs, à s’adapter agilement aux circonstances et à prescrire en fonction de cette vision globale et individualisée. Georges-Olivier Carissimo pose alors assez logiquement la question de la responsabilité.
« La responsabilité suppose de pouvoir rendre compte personnellement de ses décisions et de ses actes. Elle réclame donc plus d’autonomie décisionnelle et d’indépendance. La pertinence normative foule aux pieds ces principes essentiels en définissant, a priori, les décisions qu’il convient de prendre. Ces décisions, dès lors, sont d’autant moins indépendantes qu’elles sont de plus en plus formalisées par des procédures et des protocoles, eux-mêmes de plus en plus opposables ou contraints par les techniques informatiques de saisie et de traçage. »

Il ne s’agit pas ici de critiquer en tant que tels les recommandations de bonne pratique ou les systèmes informatiques, mais bien de dénoncer une dérive du « bon soin », qui comme tous les paradigmes en fin de vie devient d’autant plus comminatoire qu’il est obsolète : il devient naturellement une caricature de lui-même et impose sa norme en transformant les outils métiers en systèmes de contrôle au profit d’une conduite normée et fait progressivement dépendre la rémunération des acteurs de leur obédience aux indicateurs de qualité officiels.

Dans ce contexte, la principale difficulté que rencontrera le juste soin (ou tout autre nouveau paradigme) sera de lutter contre une doctrine qui a mis en position de pouvoir ses meilleurs prêcheurs et ne laissera aucun degré de liberté à une véritable innovation de rupture.
Il n’est pas inutile de rappeler, et c’est visible en filigranes dans tout l’ouvrage, qu’un paradigme « étend » toujours le paradigme précédent ; il ne s’agit jamais de mettre au rebut les acquis existants, mais bien d’ouvrir une dimension supplémentaire afin de régler aussi élégamment que possible les équations devenues insolubles dans le domaine trop restreint du paradigme ancien. Le juste soin ne renie surtout pas les acquis de la science, mais se débarrasse du carcan normatif du bon soin au profit d’une démarche agile. Face à une organisation qui ne sait répondre à ses propres dysfonctionnement qu’en calibrant de façon toujours plus normée ses rouages, prétendre améliorer les choses par de nouvelles règles qui mettent en avant l’indépendance et l’autonomie n’est pas un enjeu gagné d’avance.

La démarche clinique du soin ajusté

Revenons à notre ouvrage avec un point clé : la démarche clinique du soin ajusté.
« Bouleversant l’approche symptomatico-déductive classique, la démarche clinique ajustée permet, sur la base d’une évaluation globale compréhensive, de construire un projet pour et avec le malade qui soit à la fois inclusif et circonstancié. »
L’évaluation globale compréhensive se structure sur les fondamentaux du vivant : durer, changer et accumuler tout en s’individualisant. Il s’agit de travailler sur un projet de santé qui « regarde vers l’avenir » et, si celui-ci devient limité, permette de naviguer entre les écueils de l’acharnement et de l’abandon, d’être conscient que tout projet doit être régulièrement réévalué en fonction d’un contexte changeant et, enfin, de tenir compte du fait qu’avancer en âge c’est à la fois accumuler les cicatrices physiques ou morales et les problèmes chroniques, mais aussi, ce faisant, s’éloigner de la norme.

C’est cette naturelle individualisation par accumulation spécifique qui justifie la critique de l’approche symptomatico-déductive. « La formation clinique académique nous apprend qu’un certain nombre de symptômes, regroupés en un faisceau cohérent, permet, éventuellement étayés d’examen complémentaires, d’obtenir un diagnostic et donc, sinon un traitement et la guérison, au moins le soulagement du devoir accompli pour le praticien, lequel n’a qu’une obligation de moyens. […] Pourtant, concernant la prise en charge des personnes polypathologiques, les difficultés que soulèvent cette méthode ne manquent pas. […] En effet, les symptômes, chez les sujets polymorbides sont volontiers absents ou trop nombreux, éventuellement empruntés à d’autres pathologies et, très souvent, déformés. »

La prise en charge globale et l’interdisciplinarité

Pour finir, j’insisterais sur le point qui me semble le plus marquant de la démarche : la prise en charge globale.

« Selon la méthode, la prise en charge globale d’un patient repose, non pas sur la juxtaposition de l’analyse des différentes compétences appelées au chevet du patient, mais sur la détermination effective d’un ou plusieurs objectifs partagés par l’ensemble de l’équipe qui s’occupe du patient, ainsi que par le patient ou son représentant. » [7]

Cette distinction entre une équipe où chacun traiterait de l’organe ou de la pathologie de sa spécialité et une équipe où chacun contribue au projet global est fondamentale. « En soin ajusté, il ne s’agit plus de travailler en pluridisciplinarité – la juxtaposition des compétences n’est ici d’aucun secours – mais bien en interdisciplinarité, chacun, bien que de compétence différente, s’efforçant de construire la même image du patient. » [8]

Juste soin et complexité

Si on devait résumer le juste soin à l’aune de ses fondamentaux, vision projet globale réunissant une équipe interdisciplinaire, agilité dans les objectifs en fonction d’un contexte changeant et refus des approches normées « par problème », le plus pertinent serait probablement de qualifier cette démarche de prise en charge moderne de la complexité en médecine.

En effet, ce qui qualifie le plus clairement un problème complexe, c’est qu’on ne peut pas le résoudre classiquement par décomposition en sous-problèmes élémentaires. Pour le dire simplement, tout « bricolage local » y aggrave généralement la situation globale.
La médecine s’est structurée en spécialités à une époque où les pathologies étaient principalement aiguës et où, face à la complexité naturelle du corps humain et de ses dysfonctionnements, il était indispensable de disposer d’une diversité de spécialistes dédiés à des sous-domaines eux-mêmes complexes. Le vieillissement de la population (avec, nous l’avons vu, l’individualisation par accumulation spécifique) et la multiplication des pathologies chroniques (donc de la polymorbidité puisqu’en présence d’une pathologie chronique même les épisodes aigus deviennent de la comorbidité) font qu’un nombre toujours croissant de patients nécessite une prise en charge complexe globale que ne permet pas le système de santé actuel qui, faute d’en faire le bilan, devient de plus en plus dysfonctionnel.
Fort de cette analyse, le juste soin propose une véritable nouvelle donne adaptée au niveau de complexité des enjeux contemporains.

Nous avons évoqué la difficulté attendue à diffuser un nouveau paradigme, penchons nous maintenant sur la Ligne de vie en tant que potentiel système numérique de diffusion du juste soin.

Poppy field, Mykolaiv

Le juste soin par la Ligne de vie

Commençons par le point de jonction le plus clair : la Ligne de vie est conçue comme un outil de gestion de projets individuels. La notion de projet est donc immédiatement commune aux deux concepts, ainsi, naturellement, que celle d’équipe, puisque équipe et projet sont deux notions duales (l’équipe existe pour le projet et le projet fédère l’équipe).

Du processus interprofessionnel au projet de santé personnel

Si la Ligne de vie est née au début du siècle pour équiper les médecins, les travaux menés alors au sein d’un collectif inter-URML (feu les unions régionales de médecins libéraux) ont rapidement débouché sur l’évidence que si projet il y a, il devait, par essence, être celui du patient. Pour le dire autrement, si l’objectif est de mettre en partage des processus communs aux professionnels dans le cadre d’une personne donnée, qui a voix au chapitre, seule cette personne est légitime à porter le système dans la durée puisque, potentiellement, l’ensemble des autres acteurs sera renouvelé au cours du temps.

Après la dissolution du collectif (en 2005, chaque URML participante a pu faire valoir son avance conceptuelle sur le sujet afin de participer aux consortiums industriels d’expérimentation du DMP – avec le succès qu’on sait), l’idée qu’il était impossible de cantonner un tel concept à la médecine est devenu évidente. En effet, fournir à un patient son propre gestionnaire de projet de santé revient à le rendre « porteur » de ce système d’information, ce qui est équivalent, en vidéo, à lui fournir une « caméra embarquée ». Si on réfléchit à ce que filmerait une caméra posée sur la tête de Madame Dupont, on réalise immédiatement que ce n’est certainement pas une « caméra patient », mais bien la caméra d’une personne pleine et entière qui verrait défiler quelques soignants, mais surtout l’ensemble de l’univers social de la personne.

Cette évidence est née de la rencontre avec un directeur de centre de soins pour jeunes enfants, qui m’expliquait que cohabitaient dans son environnement une équipe médicale, une équipe sociale et une équipe éducative, avec fort peu d’interactions, que ce soit pour de bonnes (secret médical) ou de mauvaises (gestion du temps, indifférence…) raisons. Il est apparu clairement que chacun de ces enfants avait ainsi trois projets en cours, avec trois équipes distinctes et que l’espace commun entre ces univers clos était celui de la gestion du risque (par exemple, si un problème médical particulier – et couvert par le secret médical vis à vis des enseignants – crée un risque particulier d’échec d’apprentissage, il est possible à la couche de gestion du risque, qui a une vision holistique, d’injecter des objectifs adaptés dans le projet éducatif).

L’évidence d’un renversement copernicien au profit de la personne

D’une certaine façon, la Ligne de vie est donc plutôt plus extrême que le juste soin, dont ce n’est pas le sujet, dans le renversement copernicien qui consiste à fédérer les silos informationnels des prestataires de service par l’outil de gestion de projets « vie pleine et entière » de la personne. Mais c’est à la fois un point obligatoire car, comme nous l’avons évoqué, on ne peut plus parler de « patient » quand on lui fournit les outils du juste soin, mais aussi un point très intéressant car, si le juste soin se préoccupe de traiter de la complexité des enjeux contemporains en médecine, l’essentiel de son propos est généralisable aux autres domaines (bien évidemment le domaine médico-social, mais également l’éducation « vie entière », la gestion de carrière ou d’actifs) qui, eux aussi, ont vu leur degré de complexité augmenter drastiquement.

Dans les détails, l’adaptation de la ligne de vie au juste soin reste à faire. Plusieurs concepts sont bien adaptés et nécessiteront des réglages fins, comme la couche de gestion du risque. Certains autres sont des axes de recherche à finaliser, comme le « staff virtuel » et son système QOC (pour question, options, critères) qui permet de prendre des décisions en équipe interdisciplinaire (je dois avouer qu’il y a peu j’aurais écrit pluridisciplinaire).

Colloque

Pour évoquer tous ces points, et bien d’autres, je profite de la venue en métropole du Docteur George-Olivier Carissimo pour vous annoncer la tenue d’un colloque le jeudi 11 mai 2023, à Paris ou proche banlieue, où sont invités tous ceux qui souhaitent contribuer activement à la démarche.

Le colloque traitera essentiellement du domaine médico-social, mais les compétences d’autres domaines restent les bienvenues puisqu’il s’agit bien de considérer la personne dans sa sphère bio-psycho-sociale. Par ailleurs, il s’agit réellement de construire ensemble puisque les technologies de la Ligne de vie sont toutes en open source… et que le juste soin est un pur concept.

Si vous êtes intéressé, adressez moi rapidement un mail à l’adresse colloque@justesoin.fr en vous présentant, ainsi que votre démarche, sans oublier de préciser si vous préférez assister au colloque en visio ou en chair et en os.

Evolutions

31/03/2023 Le colloque avait été annoncé le 4 mai... mais les vacances scolaires auraient empêché certains d’y assister. Il est donc reporté au 11 mai.


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Il y a 5 messages sur ce forum.

Messages

  • Bonjour,
    J’ai lu avec beaucoup d’attention ce texte qui résume le livre de Carissimo mais je suis loin d’en partager l’enthousiasme et le point de vue.

    Je pourrais contester pont par point mais cela serait fastidieux.

    Je dirais ceci, le fruit de mes réflexions : les points centraux oubliés, ce sont 1) les représentations collectives de la santé, 2) le mythe de la bonne santé, 3) la notion de silence des organes comme corollaire en droit de la tolérance zéro, 4) l’emprise de la normativité sur les individus (pas seulement en médecine, voir Christopher Lasch), 5) l’absence d’une base de données scientifiques pour la majorité des prises en charge médicales, 6) 80 % des "maladies" sont dues à des facteurs non médicaux, 7) la décision partagée est une donnée juridique anglo-saxonne permettant de décharger le soignant de sa responsabilité, 8) l’éducation thérapeutique a été dévoyée, 9) le mythe de la chronicité et de la complexité inventés par les médecins, 10) ad libitum.

    J’aimerais beaucoup en discuter avec Carissimo et Ameline.

    Bonne journée.

    • Merci pour ce message... si je ne retiens que la dernière phrase, alors bienvenue au colloque ;-)

      Pour le reste, réponse en trois parties :
      1) Il faut lire le livre car il contient déjà la réponse à plusieurs points.
      2) La question n’est pas tant d’énumérer ce qui ne va pas dans l’ancien paradigme (de toute façon, si on continue dans cette impasse quelques années, rien n’ira plus).
      3) Le vrai sujet est de construire sur de nouvelles bases, et de le faire au mieux, sans naïveté. Il me semble utile de "repenser" les questions dans cet axe : quels sont les écueils à éviter, lesquels sont déjà traités par principe par la nouvelle démarche et quels sont les points d’attention qui peuvent permettre de se prémunir des autres ?

      Cette discussion sera, par essence, utile et passionnante en permettant d’expliquer la théorie et, en touchant du doigt ses limites, d’élaborer un socle théorique encore plus élaboré.

      Si ce document n’avait comme seul effet que de libérer des imaginations qui bouillonnent de frustration dans le carcan de la doctrine technocratique et de la novlangue Shadok, alors il aurait amplement rempli son office.

      Merci d’avoir ouvert les débats.

  • Bonjour,
    Effectivement, le livre se veut comme une goutte qui ferait, enfin, déborder le vase de la conformité. La plupart des points soulevés par docdu16, trouve, je le crois, réponse dans le livre.
    C’est en discutant et en enrichissant nos points de vue que l’on pourra développer la méthode d’un soin ajusté dont le juste soin se veut le principe organisateur ou la politique.
    Au delà des concepts, fabrication d’outils adaptés à une démarche qui se veut concrète est une nécessité.
    A bientôt.

  • Bonjour,
    J’ai dévoré cet opus "le juste soin" avec appétit : d’un style direct rafraichissant, j’y trouve une pensée systémique ET "foucaldo-canguilhemienne", approche stratégique et projet de soin avec le patient et son environnement, hiérarchisation et surtout renversement à 180°de l’existant fonctionnel -et soyons fous - structurel. C’est sur ce point que l’évolution risque de coincer, et tous les systémiciens se posent la même question : comment embarquer politiques (le et la) et acteurs du système de santé actuel, dans un environnement étouffé par la gouvernance algorithmique (Rouvroy/Supiot)/bureaucratisation du monde (B. Hibou) ? Comment procéder pour que les concepts ne soient pas dévitalisés par une énonciation performative dans les textes de réformes successives ?

    J’aurais adoré être en France le 4 mai pour participer à ce colloque. Inscription, replay possible ? merci

  • I would have loved to be in France on May 4 to participate in this colloquium.

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