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La presse médicale va mal, c’est parfait !

Une source d’économies simple, immédiate et gratuite

Première publication : samedi 7 juillet 2012,
par Dominique Dupagne - Visites : 8883

La presse médicale gratuite constitue une force promotionnelle intense pour les médicaments inutiles, dangereux ou trop chers. Il suffirait de réexaminer quelques dossiers de commission paritaire pour faire un ménage salutaire dans la presse médicale professionnelle.

Ce billet inaugure une nouvelle rubrique sur Atoute : "Les économies qui ne coûtent rien". Ce pléonasme apparent décrira des mesures qui permettent réellement à notre système de santé de faire des économies, et qui sont rarement mises en oeuvre car elles sont les seules à léser des intérêts privés proches des pouvoirs politiques.

Je vais aborder l’épineux problème de la presse médicale, et plus particulièrement de la presse professionnelle diffusée gratuitement aux médecins. Enfin, pas n’importe quels médecins : ceux qui prescrivent en moyenne quelques centaines de milliers d’euros de médicaments par an, c’est à dire la grande majorité d’entre eux.

Le concept de la presse médicale professionnelle gratuite est apparu dans les années 70, pour accompagner l’essor du marketing pharmaceutique alors triomphant.

Dans un premier temps, les revues médicales traditionnelles qui vivaient en grande partie de leurs abonnements ont augmenté la place des pages de publicité et ont conservé leur indépendance rédactionnelle. Mais rapidement, deux phénomènes sont venus dévoyer l’éthique journalistique et augmenter par ricochet les dépenses de santé.

Le premier est simple et trivial : le payeur devient rapidement le décideur, et il est très difficile de garder son indépendance éditoriale. C’est le drame de la presse en général et je ne m’étendrai pas sur cet aspect.

Le deuxième est plus pervers et bien plus grave. Face à la manne publicitaire, certains éditeurs ont décidé il y a une quarantaine d’années d’abandonner le principe de la diffusion payante (comme le font depuis peu quelques quotidiens grand public). En diffusant gratuitement leur journal à la majorité des médecins prescripteurs, ils ont fait exploser leur audience et donc leurs revenus publicitaires. Ces journaux sont devenus des sources de revenus considérables pour leurs propriétaires, surtout entre 1980 et 2000 (depuis 2000, l’irruption des médicaments génériques a asséché les budgets publicitaires et ces supports survivent avec difficulté).

L’impact de la diffusion massive de ces journaux gratuits a été double :
- Ils ont intensifié la visibilité de la publicité pharmaceutique et du publi-rédactionnel pour les prescripteurs.
- Ils ont ruiné les revues qui continuaient à vivre en grande partie de leurs abonnés et à respecter une charte éthique pour protéger l’indépendance de leur contenu. Les médecins, inondés d’informations gratuites, n’ont pas renouvelé leurs abonnements aux revues éthiques. Le secteur s’est donc concentré dans les années 80-90. Les revues éthiques exsangues ont été rachetées par les groupes éditant les journaux gratuits, ou ont disparu. Le modèle gratuit s’est généralisé, à l’exception notable des revues Prescrire et Pratiques, villages gaulois résistant avec succès à l’invasion du gratuit.

Le coût induit de cette omniprésence de la publicité et du publi-rédactionnel est faramineux, à défaut de pouvoir être calculé précisément. Cette promotion était bien sûr orientée vers la prescription de médicaments inutiles, coûteux, chers ou dangereux, c’est-à-dire ceux qui ont besoin de cette promotion. Il s’agit au minimum de plusieurs milliards d’euros par an et nous avons des preuves solides concernant des comportements inacceptables de journalistes médicaux aux ordres d’industriels du médicament.

Presque tous les journaux médicaux de qualité qui ont tenté de se lancer depuis ont été confrontés à la même difficulté : impossible d’équilibrer son budget avec ses seuls abonnés, tant la concurrence du gratuit sponsorisé est forte. Certains ont disparu (EBMJournal) d’autres sont menacés (Médecine).

Or, faire cesser cette situation détestable autant que coûteuse est très simple : il suffit d’appliquer les lois et règlements existants.

Ces journaux bénéficient d’aides facilitant la diffusion de la presse. Cette aide est accordée après avis de la Commission paritaire des publications et agences de presse(CPPAP) qui attribue à la publication un "numéro de commission paritaire". Il est très difficile de survivre sans cet agrément, notamment du fait du coût postal qui devient alors prohibitif.

Or, un des critères d’attribution de cette aide est l’existence d’une diffusion payante significative de la publication, au numéro ou par abonnement. Par un mystère qui m’échappe, les revues médicales diffusées gratuitement ont réussi à convaincre la Commission paritaire de l’existence d’abonnés payants. Lors d’une recherche récente pour une de ces publications (appel Twitter largement diffusé, principales listes de discussion médicales), il ne m’a pas été possible d’identifier un seul abonné payant pour ce journal.

Il suffirait donc que la CPPAP réexamine avec la plus grande attention les comptes des journaux et revues médicales professionnelles pour qu’un grand nombre d’entre elles perdent leur agrément et disparaissent.

Cette disparition aurait un double effet positif :
- Diminuer la pression publicitaire sur les prescripteurs
- Inciter les médecins à s’abonner à des revues de qualité

Chiche ? Il suffit qu’un ministre en fasse la demande et d’être un peu exigeant vis-à-vis des justificatifs produits par ces journaux et revues...

Il y a 11 messages sur ce forum.

Messages

  • Vous avez raison !
    Mais ce n’est pas le trou de la sécu que ces économies combleraient (même si elles restent bonnes à faire).
    C’est vraiment ahurissant que ce type de journaux obtienne un agrément. Et seul un ministre peut avoir un recours ?

    • Je suis intimement persuadé que cette mesure, associée à quelques autres qui protègeraient les médecins des influences pharmaceutiques délétères, suffirait à combler le déficit de la sécurité sociale.

      Non seulement les médecins prescriraient mieux et moins, mais :
      - Les médecins seraient plus disponibles pour leurs patients
      - Les laboratoires disposeraient des sommes économisées pour faire de la recherche. En privé, ils ne sont pas contre, ils souhaitent juste que la règle soit la même pour tout le monde. Cela ne les amuse pas d’être la vache à lait du corps médical et de la presse, mais le laboratoire qui sortirait du jeu sortirait aussi du marché. D’où l’intérêt d’une règle commune et d’un assainissement général des pratiques.

  • La presse médicale gratuite va mal mais la presse médicale payante également (mais pas pour les éditeurs, pour les lecteurs). Sur le blog de Richard Smith qui fut rédacteur en chef du BMJ on en apprend de belles (même si on savait cela depuis longtemps). http://blogs.bmj.com/bmj/2012/07/03/richard-smith-medical-journals-a-gaggle-of-golden-geese/?utm_source=feedburner&utm_medium=feed&utm_campaign=Feed%3A+bmj%2Fblogs+%28Latest+BMJ+blogs%29&ga=w_blogs_bmj-com
    Quant à la presse dite gratuite sur internet (PLoS One) elle est catastrophique pour les auteurs qui doivent payer très cher pour être publiés et pour la qualité des articles. http://www.h2mw.eu/redactionmedicale/2012/07/la-cuvée-2012-des-facteurs-dimpact-plos-one-baisse.html
    Ainsi, les revues gratuites sont plus transparentes que les revues payantes car les pubs sont évidentes (j’oublie les publireportages) alors que dans les revues payantes ce sont aussi les labos qui paient en sous-main.
    Il faut trouver un autre modèle que Elsevier et PLoS One.

    • Je parlais de la presse d’information professionnelle "générale", qui fait une synthèse de la littérature, en français.

      Pour les revues scientifiques où sont publiés les travaux originaux en anglais, les liens que tu indiques confirment qu’il y a un vrai problème. les sociétés savantes ont abandonné leurs publications à des groupes de presse qui les rendent inaccessibles autant au lecteurs qu’aux auteurs. C’est un autre débat qui sera sans doute tranché par le Web, même si PLoS One ne convainc pas encore.

  • Cet article est définitif après un appel à relecture de 24h. J’ai bien noté (c’est d’ailleurs dans une des sources) que la Commission paritaire a déjà sévi avec un des titres de la presse professionnelle tabloïd.

    Mais nous savons tous que certains de ces journaux ont une part d’abonnés infime. Je ne sais pas par quel tour de passe-passe ils ont réussi à abuser la Commission ( faux abonnements payés par des tiers ?) mais un peu d’investigation ne ferait sans doute pas de mal. Je ne connais pas les pouvoirs de la Commission à ce sujet.

  • Vous dites "les économies qui ne coûtent rien"... que faites-vous des salariés de ces groupes de presse ?

    Sinon, comme d’habitude, vous ne citez que Pescrire et Pratiques ; mais une grande majorité des revues médicales françaises (de spécialités essentiellement) vivent des abonnements. Les revenus venant de l’industrie pharmaceutique ne représentant pas plus de 30 % du CA. Les rédactions y sont indépendantes et seuls les comités de rédactions décident ce qui est publié, après une expertise plus ou moins complexe.
    Ne mettez pas dans le même panier la presse "gratuite" d’information (qui se dit aussi de formation) et les vrais revues scientifiques de recherche et de formation.

    • Bonjour,

      Le problème des salariés de ces entreprises n’est pas pertinent. Si leur salaire sert à plomber les comptes sociaux et altérer la santé publique, autant en effet qu’ils changent de métier.

      Vous citez des revues de spécialité financées à 70% par leurs abonnements et gardant une éthique éditoriale. Elles ne sont donc en rien menacées par une réévaluation par la Commission paritaire telle que je l’appelle de mes voeux, bien au contraire : elles souffrent aussi d’une presse gratuite pour spécialistes qui détourne leurs abonnés.

    • un peu simpliste comme réponse. Groupe Impact (qui je le reconnais à fait beaucoup de mal à la presse médicale) près de 50 salariés sur le carreau...
      La presse "vendue à l’industrie pharmaceutique" n’est qu’un élément (en fait mineur) dans ce phénomène qui plombe les comptes sociaux et altère la santé publique. Et c’est prendre les médecins pour plus naïfs qu’ils ne sont... ils ont bien d’autres raisons pour prescrire des médicament inutiles et/ou dangereux que la presse d’information gratuite !

    • Bonjour,
      Prendre les médecins pour plus naïfs qui ne se croient est une attitude saine et souvent judicieuse. Quand bien même la presse gratuite ne représenterait que 10% des causes de malprescription, cela me paraît suffisant pour examiner de très près leur dossier de diffusion payante, c’est à dire tout simplement appliquer rigoureusement la Loi.

    • juste un petit calcul rigolo

      - les industries du médicament pèsent environ 100 000 emplois

      - le salaire moyen français est de 2 100 euros nets mensuels en 2010 (dernière donnée disponible), arrondissons à 2 500, ça fait du 5 000 mensuels toutes cotisations
      ça fait donc du 6 milliards par an pour ces 100 000 emplois

      - le médicamenteux pèse en France 38 à 40 milliards par an, 580 euros par habitant contre 300 au Danemark, 18 milliards annuels d’économies potentielles au minimum

      - ipso facto si on descend au niveau danois, on peut se permettre de payer 100 000 personnes (+ la poignée de salariés des gratuits médicaux) à ne rien faire, on économise encore 12 milliards par an -)))

  • Juste un détail :
    "ces économies qui nous coûtent cher" n’est pas un pléonasme mais un oxymore ;-)

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