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Dépistage du cancer de la prostate : nouveautés 2009
Que penser des travaux publiés récemment et qui apportent un nouvel éclairage sur ce dépistage ?
Première publication : dimanche 22 mars 2009,
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Résumé : Deux études de grande envergure viennent d’être publiées concernant le dépistage du cancer de la prostate par dosage des PSA. Celle réalisée en Europe montre une diminution de la mortalité par cancer de la prostate chez les hommes soumis au dépistage. Un dosage des PSA tous les 4 ans permet de diminuer de 20% la mortalité par cancer de la prostate, sur une durée moyenne de suivi de 9 ans. En pratique la probabilité de mourir de ce cancer passe de 4 à 3 pour 1000. La survie globale n’est pas modifiée.
Les effets secondaires fréquents et parfois invalidants des traitements destinés à enrayer la propagation de ce cancer après un dépistage doivent être mis en balance avec ce résultat modeste.
L’étude étatsunienne montre un effet délétère du dépistage sur la mortalité par cancer de la prostate, mais la différence (10%) n’est pas statistiquement significative.
Le dépistage du cancer de la prostate par dosage sanguin des PSA est un sujet controversé. Je fais partie de ceux qui se sont opposés à
la promotion de ce dépistage du fait des incertitudes qui l’entourent, notamment dans un manifeste signé par une centaine d’autres confrères. En suivant ce lien, vous trouverez les arguments justifiant cette position, et notamment une vidéo qui explique un paradoxe apparent : tous les cancers ne sont pas bons à dépister. Ces mêmes arguments avaient conduit jusqu’ici la Haute Autorité de Santé française et
l’Organisation Mondiale de la Santé à ne pas recommander ce dépistage
en routine.
Jusqu’au 19 mars 2009, les choses étaient assez simples : un
travail scientifique unique et assez médiocre avait évalué l’intérêt de ce dépistage. Pratiqué au Canada, il a concerné 46000 hommes répartis en deux
groupes par tirage au sort. Le premier groupe était incité à pratiquer le dépistage par PSA, l’autre non.
Après 8 ans de suivi, le nombre de décès par cancer de la prostate était très légèrement supérieur dans le groupe incité au dépistage par rapport au groupe témoin. Cette différence de mortalité était infime : 1% et ne permettait aucune
conclusion. En revanche, les hommes du groupe dépistage avait été souvent inquiétés, opérés ou irradiés, avec le cortège d’effets indésirables graves en rapport avec ces interventions. Malgré ce résultat décevant justifiant les recommandations de prudence des les autorités sanitaires, le dépistage systématique du cancer de la prostate a été largement promu et pratiqué par les urologues et la majorité des généralistes, notamment aux
USA et en France.
Deux études publiées le 19 mars 2009 feront date dans le débat
Le 19 mars, le New England Journal of Medicine publie deux articles qui apportent un éclairage important sur l’intérêt de ce dépistage controversé. Malheureusement, les travaux décrits dans ces deux articles aboutissent à des résultats
contradictoires et n’éteignent pas la controverse, comme le souligne l’éditorial de Michael J Barry dans le même numéro de la revue.
Une première étude réalisée aux USA a évalué le dépistage du cancer de la prostate par dosage sanguin des PSA chez 76000 hommes, soit 30000 de plus que l’étude canadienne. La moitié de ces hommes a été incité au dépistage, l’autre non. Après 10 ans de suivi, les hommes incités au dépistage sont 10% plus nombreux à
mourir d’un cancer de la prostate que ceux qui n’y ont pas été incité.
Voila qui est aussi décevant que surprenant. Pour autant, ce résultat paradoxal n’est pas statistiquement significatif [1]
L’autre étude est européenne et concerne cette fois 162000 hommes, toujours tirés au sort pour être incités ou non au dépistage du cancer de la prostate par dosage sanguin des PSA. Cette fois, l’incitation au dépistage a un effet positif et après un suivi moyen de 9 ans, la mortalité par cancer de la prostate dans le groupe dépistage est inférieure à celle du groupe témoin. La différence atteint 20%, elle est significative (p < 0,04).
Dans ce genre de situation, il est d’usage que chaque "camp"
défende sa position en valorisant l’étude qui conforte son point de vue et en dénigrant celle qui le fragilise. Je ne tomberai pas dans ce travers. Les résultats publiés sont encore préliminaires ; du fait des implications sanitaires colossales de ce dépistage qui concerne tous les hommes d’âge mûr, je fais confiance aux spécialistes pour "décortiquer" ces travaux et y relever d’éventuels biais qui expliqueraient leurs résultats opposés. Je vais partir ici du principe que leur publication dans une grande revue médicale (NEJM) leur apporte un crédit suffisant et m’intéresser à celle qui est la plus "puissante" sur le plan statistique.
L’étude européenne, la plus "puissante" sur le plan statistique, met en évidence une diminution de mortalité par cancer de la prostate chez les patients incités au dépistage
Voyons donc quels sont les implications pratiques de l’étude
européenne. Cet article se destine autant au confrère qui souhaite éclairer le choix de ses patients qu’au lecteur capable suivre l’argumentation scientifique qui va suivre (je rappelle que comme toujours sur internet, aucune décision importante concernant votre santé ne doit être prise sans la soumettre à votre médecin. C’est lui qui peut vous éclairer, sur votre propre cas qui est unique, et dans la relation singulière qui fait de lui votre référent santé).
Le suivi concerne un effectif total de 162387 hommes, assignés par tirage au sort à deux groupes :
72952 seront incités à pratiquer un dépistage par dosage des PSA tous les 4 ans.
89435 n’y seront pas incités.
La durée moyenne de ce suivi est de 9 ans.
L’étude a concerné de nombreux pays et il existe quelques variantes d’un pays à l’autre dans la stratégie de dépistage : les biopsies étaient pratiquées à partir d’un taux sanguin de PSA de 4 ng/ml, mais parfois seulement 3. Le toucher rectal n’était
pas systématique. A mon sens, ces variantes de protocole n’ont pas d’influence sur les résultats et leur crédibilité.
Quel a été le devenir de ces hommes en fonction de la stratégie qui leur a été proposée ?
Le premier résultat important est que le nombre de cancers de la prostate mortels a été abaissé de 20% par l’incitation au dépistage.
Il y a eu 261 décès par cancer de la prostate chez les 72952 hommes incités au dépistage par PSA, soit un taux de mortalité sur 9 ans de 0,3%.
Il y a eu 363 décès par cancer de la prostate chez les 89435 hommes non incités au dépistage par PSA, soit un taux de mortalité sur 9 ans de 0,4%.
Cette baisse du risque relatif de 20% correspond à une baisse de risque absolu d’environ 0,1% [2].
Nous disposons de chiffres détaillés par tranche d’âge :
Pour les hommes chez qui le dépistage a débuté entre 50 et 54 ans, l’effet
du dépistage aboutit à augmenter de 50% la mortalité par cancer de la
prostate, mais il y a très peu de morts et le hasard peut facilement expliquer cet effet délétère apparent du dépistage. Cela concerne tout de même 55000
années-hommes incités au dépistage (par exemple 5500
hommes suivis pendant 10 ans ou 10000 hommes suivis pendant 5,5 ans).
Pour les hommes ayant débuté le dépistage entre 55 et 59 ans, c’est cette fois une diminution de la mortalité par cancer de la prostate qui est
observée, de 27%, sur 316000 années-hommes incités au dépistage
Entre 60 et 64 ans, la diminution de la mortalité par cancer de la prostate diminue seulement de 6%, pour 191000 années-hommes incités au dépistage.
Entre 65 et 69 ans, la diminution de la mortalité est de nouveau de 26% pour 135000 années-hommes.
Enfin, pour ceux qui débutent le dépistage entre 70 et 74 ans, la mortalité par cancer de la prostate s’inverse de nouveau en faveur du non-dépistage et augmente de 26% pour 38000 années-hommes incités au dépistage, comme pour les hommes de moins de 55 ans.
L’efficacité du dépistage est modeste et ne concerne que les hommes dont l’âge est compris entre 55 et 69 ans
En découpant ainsi l’effectif par tranche d’âge, on constate que
l’essentiel du bénéfice est obtenu entre 55 et 69 ans. Les variations observées pour les trois tranches d’âge comprises entre ces bornes (par exemple entre 60 et 64 ans où le bénéfice est curieusement faible à 6%), ne sont pas significatives et sont donc très probablement liées au hasard.
L’analyse statistique, qui montre que la différence observée de
20% est significative a exclu les deux tranches d’âge extrêmes (moins de 55 et plus de 69 ans) dans lesquelles le dépistage s’est révélé délétère (il a augmenté la mortalité par cancer de la prostate). Cette exclusion lors du calcul n’est pas critiquable car elle était prévue avant la fin de l’étude si l’on en croit le résumé. Notons néanmoins que l’inclusion dans l’analyse statistique de ces hommes couramment dépistés en France actuellement, conduit à une baisse de mortalité de 15%, non significative (non citée dans le texte de l’article, mais visible dans le Tableau 2) [3].
En résumé, sur une durée de suivi moyenne de 9 ans, un homme âgé de 55 à 69 ans qui ne pratique pas de dépistage
à environ 4 "chances" sur mille de mourir d’un cancer de la prostate et celui qui pratique un dépistage par PSA +/- toucher rectal voit cette probabilité baisser à 3 pour mille.
La survie est inchangée
Une autre question intéressante est celle de la mortalité totale : toutes causes de décès confondues. Vit-on plus vieux en pratiquant ce dépistage ?
La réponse est négative : la mortalité totale n’est pas modifiée par le dépistage du cancer de la prostate, dans l’étude européenne comme dans les autres études.
Deux éléments sont susceptibles expliquer cet absence d’effet sur la survie globale :
Le dépistage, le diagnostic et les effets secondaires du traitement peuvent provoquer indirectement des décès de causes diverses qui pourraient "annuler" les quelques patients sauvés par le dépistage. Vivre avec un cancer, une impuissance ou une incontinence peut diminuer l’élan vital. Nous y reviendrons.
La diminution (faible) de la mortalité par cancer de la prostate
(faible elle aussi) aboutit à un impact tellement modeste sur
l’espérance de vie qu’il n’est pas mesurable, même dans une étude concernant 160000 hommes suivis pendant une durée moyenne de 9 ans.
L’objectif de cette étude était de mesurer l’impact du dépistage
sur la mortalité prostatique spécifique et non sur la mortalité globale, et cette mortalité d’origine prostatique est le principal résultat à retenir. Il est néanmoins difficile de ne pas tenir compte du fait que la survie est inchangée par le dépistage, car le but ultime du dépistage des cancers est d’augmenter son espérance de vie et non de choisir la cause de sa mort. Une amélioration de la survie qui, si elle existe, est trop faible pour être mesurable sur un échantillon de 160000 hommes suivis pendant 9 ans a-t-elle une pertinence ?
Questions non résolues
La question qui se pose au vu de ces résultats est celle de l’impact éventuel d’une durée de suivi plus longue. Un suivi moyen de 9 ans est-il suffisant pour mettre en évidence l’intérêt du dépistage ? Du fait des progrès thérapeutiques et notamment des traitements hormonaux, la survie après diagnostic peut être très longue. Tout le monde connaît un exemple célèbre où le délai entre la découverte des métastases osseuses et le décès a été de 13 ans.
L’examen de la courbe de mortalité cumulée de l’étude européenne laisse penser que l’effet du dépistage s’accroît avec le temps. J’ai extrait la courbe ci-dessous de la publication originale, mais en ne gardant pas la durée totale de 14 ans. En effet, l’effectif suivi diminue drastiquement avec la durée du suivi. La partie de la courbe au delà de 12 ans n’a aucune signification car elle ne concerne qu’une poignée de sujets. La conservation de ces données pourrait apporter de la confusion à la réflexion pour ceux qui ne sont pas familiers des courbes de mortalité cumulée.
On note que la divergence entre le groupe dépistage et le groupe contrôle progresse après la neuvième année de suivi. Que faut-il en penser ?
Tout d’abord, on doit déplorer que l’étude ait été interrompue par ses promoteurs en 2006. La réponse à cette question aurait été plus simple avec la prolongation du suivi. Ensuite, nous n’avons pas l’effectif suivi pour des durées longues. Nous ne savons donc pas si ce que nous lisons sur cette courbe est significatif ou non.
Il est tentant de faire le pari d’une augmentation de l’effet du dépistage sur la mortalité avec le temps, au delà de la moyenne de 9 ans. Ce n’est qu’un pari, et pour un problème aussi grave, il est ennuyeux de ne pas avoir de données plus solides sur le long terme. D’autant que si l’on sort du coeur de l’étude, il faut comparer ces données avec celles de l’étude américaine qui ne montre aucune tendance à l’amélioration du sort du groupe dépistage avec le temps, bien au contraire. Attention donc à ne pas faire dire à l’étude européenne ce qu’elle ne dit pas. Les auteurs s’en gardent bien.
Quel est le "coût" du dépistage en termes d’effets indésirables du traitement destiné à éviter le développement du cancer ?
Considérons comme un acquis cette diminution du risque de mourir d’un cancer de la prostate chez les patients se soumettant à un dépistage et intéressons-nous maitenant aux inconvénients de ce dépistage.
Pour la majorité de ceux qui remettent en cause l’intérêt de ce
dépistage, ou au moins de sa promotion médiatique, le principal problème n’est pas tant dans sa modeste efficacité que dans le prix à payer pour lutter contre la mortalité
liée à ce cancer. C’est le cas notamment de l’éditorialiste du NJEM déjà cité et du Dr Mary McNaughton-Collins qui intervient dans la remarquable vidéo-débat publiée sur le site de la revue.
Dans l’étude européenne, nous avons donc grâce au dépistage, évité environ un décès par cancer de la prostate pour 1000 patients de 55 à 69 ans suivis pendant 9 ans.
Qu’est-il arrivé globalement à ces 1000 patients pour permettre d’éviter le décès par cancer de la prostate chez l’un d’entre-eux ? Nous avons une partie des réponses dans l’article publié :
Chacun de ces 1000 hommes a pratiqué tous les 4 ans un test sanguin pour les PSA. En moyenne, chaque homme a pratiqué 2 tests. Sur le total de tous les tests, 16% ont été positifs. Nous ne disposons pas du pourcentage d’hommes ayant eu au moins un test positif, mais il doit être de l’ordre de 15% (certains hommes ont pu avoir plusieurs tests positifs). Donc, 150 hommes ont été informés d’un risque potentiel de cancer de la prostate.
Chez ces 150 hommes ayant eu des PSA anormales, 85% ont accepté la réalisation de biopsies de la prostate. Il s’agit de prélèvements multiples de cellules prostatiques à l’aide d’aiguilles introduites par le rectum. Il n’y a eu aucun décès lié à ces biopsies pendant toute l’étude européenne (les biopsies sont connues pour pouvoir provoquer des hémorragies et des septicémies graves). Parmi nos 1000 hommes suivis, 125 ont donc accepté de subir des biopsies au cours des 9 ans de suivi.
Chez ces 125 hommes biopsiés, le diagnostic de cancer a été confirmé une fois sur quatre soit 30 cas diagnostiqués et traités.
Parmi ces 30 hommes (encore une fois, ces chiffres sont approximatifs, c’est l’ordre de grandeur qui compte), nous ne connaissons pas le pourcentage d’impuissance et d’incontinence consécutives à la chirurgie ou d’autres ennuis liés à la radiothérapie. Les auteurs ont annoncé une publication future sur la qualité de vie dans le cadre de ce dépistage.
Par d’autres sources, nous savons que ces traitements provoquent généralement une impuissance quasi totale chez plus de la moitié des opérés, et une incontinence grave chez environ 5 % d’entre-eux. Il s’agit de chiffres datant de l’époque où cette étude a été réalisée. La chirurgie
prostatique a fait des progrès importants depuis quelques années. Pour autant, nous ne savons pas si ces nouvelles techniques, moins mutilantes, protègent autant des récidives cancéreuses que la chirurgie radicale pratiquée lors de l’étude.
En résumé, pour 1000 hommes âgés de 55 à 69 ans participant à un dépistage du cancer de la prostate sur une période moyenne de 9 ans :
150 auront des PSA anormalement élevées.
Sur les 125 qui accepteront des biopsies, 30 découvriront qu’ils sont atteints d’un cancer de la prostate.
Sur les 30 cancéreux traités, 20 seront définitivement impuissants,
15 souffriront de troubles urinaires et 2 seront totalement
incontinents (nécessité de porter une poche à urine en permanence).
Sur les 30 cancéreux traités, 1 homme ne mourra pas de son cancer de la
prostate alors qu’il serait mort en l’absence de dépistage.
Nous ne pouvons avoir la certitude que dans notre groupe de
1000 hommes, l’ensemble des inconvénients liés au dépistage n’a pas été indirectement responsable de la mort d’au moins un autre homme, ce qui annulerait le bénéfice global du dépistage.
Cette présentation est plus parlante que des statistiques brutes, et surtout plus honnête que des titres que j’ai pu lire dans la presse, laissant entendre que le dépistage du cancer de la prostate permettait une diminution de 20% de la mortalité (oubliant de préciser qu’il s’agissait uniquement de la mortalité par cancer de la prostate).
C’est celle que je ferai à mes patients, lorsque je les informerai
sur ce dépistage. Ils décideront s’il choisissent la voie du dépistage ou celle de l’abstention. Personnellement, je continuerai à leur suggérer l’abstention, sans leur imposer bien sûr.
Sauf à disposer d’un test vraiment fiable pour éviter biopsies et traitements inutiles, je ne pense pas changer d’avis à court terme. Il me paraît indéniable en revanche, que l’étude Européenne modifie les explications à fournir aux patients et constitue un progrès dans la connaissance de l’effet du dépistage.
Le vrai débat sur le dépistage, la décision que chacun doit prendre, se situe avant le dosage des PSA, et non après. Certains urologues recommandent de pratiquer le dépistage, de diagnostiquer les cancers par biopsie, et de ne traiter que ceux qui paraissent vraiment dangereux, en pratiquant des biopsies de contrôle tous les ans. Voila une recommandation qui tient peu compte de l’impact d’une telle révélation sur la santé
mentale de nos patients. On vit mal avec une annonce de cancer, même assortie de paroles rassurantes.
Pour ceux tentés par le dépistage, ce que je peux tout à fait comprendre, il est préférable de suivre le protocole qui a obtenu pour la première fois un résultat significatif, soit un dosage des PSA tous les 4 ans. Dans l’étude étatsunienne, le dosage a lieu tous les ans et aboutit au contraire à une surmortalité par cancer de la prostate dans le groupe dépisté. Cet effet délétère d’un dépistage trop fréquent a déjà été constaté pour d’autres dépistages car il augmente le risque de faux positifs et d’excès de traitement [4].
En conclusion et pour paraphraser une boutade célèbre, voici un dialogue qui résume bien la situation pour ce dépistage toujours controversé :
Docteur, est-ce que je vivrai plus vieux si je pratique le dépistage du cancer de la prostate par les PSA ?
Non, non, vous ne vivrez pas plus vieux, mais la vie pourrait vous paraître plus longue...
A chacun de décider de ce qu’il souhaite, assisté dans son choix par le médecin en qui il a confiance.
Je voudrais apporter une précision importante car je sais par expérience que beaucoup d’hommes ne s’intéressent vraiment à ce débat que le jour où on leur découvre les PSA élevées, sans les avoir avertis avant ce dosage de la problématique de ce dépistage. Tombant sur un de mes articles sur internet, ils cherchent à m’interroger sur la stratégie à suivre, par mail, sur mes forums, voire en tentant de prendre RV avec moi (je ne prends aucun nouveau patient, merci de ne pas essayer de le faire). Or cette étude, comme l’étude canadienne ou étatsunienne, ne nous renseigne que sur l’intérêt du dépistage par les PSA, et non sur l’intérêt de poursuivre les investigations ou d’opérer après des PSA élevées ou des biopsies positives. C’est un tout autre débat. Les études dont nous disposons montrent un effet modeste mais réel des différents traitements sur la mortalité par cancer ou l’apparition de métastases [5]. Mais surtout, chaque cas est absolument unique et ne peut être débattu qu’en tête-à-tête, avec le médecin en qui on a confiance et qui dispose de la connaissance globale de son patient. Un article à ce stade n’est d’aucune aide. Ce qui est général et statistique (le dépistage chez un sujet qui ne souffre de rien), devient personnalisé et singulier chez celui qui présente une anomalie révélée par le dépistage. |
[1] Pour les lecteurs non familiarisés avec les statistiques médicales, quelques explications sur la notion de "significativité" sont nécessaires. Lorsque l’on constate un écart entre deux résultats, écart censé matérialiser l’impact une action médicale, il est fondamental d’apprécier la probabilité pour que cette différence soit due au seul hasard. Par exemple, si vous jetez une pièce 10 fois et obtenez 7 fois face et 3 fois pile, le hasard peut très bien expliquer cette différence. En revanche, si vous jetez 1000 fois la pièce et obtenez 700 fois face et 300 fois pile, la probabilité pour que cette différence soit due au hasard est infinitésimale. La pièce ou le lancer sont sans doute asymétriques. Dans le cas d’un test médical, cela veut dire que la différence observée est très certainement due à l’intervention médicale étudiée, ou à autre chose, et non au hasard ou à la chance. Par convention, on retient la probabilité de 5% comme seuil pour dire qu’une différence observée est significative. Au dessus de 5%, la différence observée n’est pas jugé convaincante car pouvant être due au hasard. On exprime cette probabilité par la lettre p. Lorsque vous voyez à côté d’un résultat "p<0,01", cela signifie que la probabilité d’observer un résultat identique par le seul fait du hasard est inférieure à 1%.
[2] Les calculs exacts donnent 0,29% dans le groupe dépistage et 0,36% dans le groupe témoin, soit une diminution de 0,071% mais j’ai arrondi (en faveur de l’effet positif du dépistage) pour simplifier l’explication. D’ailleurs, cet arrondi traduit une réalité : le fait que dans le groupe témoin, des sujets non incités au dépistage l’on pratiqué quand même. On parle de "contamination" du groupe témoin. Cet effet atténuateur de la différence observée s’ajoute au fait que des sujet incités au dépistage ne l’ont pas réalisé. Or l’analyse statistique concerne le groupe d’attribution, ce que l’on appelle "l’intention de traiter" et non l’attitude effectivement suivie par les sujets. Cette approche évite des biais mais diminue la puissance de l’étude. L’étude canadienne, citée plus haut, avait commis l’erreur d’analyser des groupes reconstitués en fonction de leur choix final et non de leur groupe d’attribution par tirage au sort.
[3] Un article de 2003 cite les deux l’analyses statistiques prévues (mais 2003 est une date tardive, il faudrait savoir ce qui était prévu avant de commencer l’étude). Il y est clairement exprimé que l’analyse portera sur le coeur (55-69 ans) mais aussi sur la totalité de l’effectif. Or la publication dans le NEJM ne met en valeur que l’analyse sur les hommes de 55 à 69 ans, groupe dans lequel le dépistage a un résultat favorable contrairement aux deux extrêmes. Cette présentation partisane et partielle des résultats est tout de même bien gênante et sème le doute à la fois sur la significativité du résultat publié et sur la rigueur des auteurs. Certains ne manqueront pas de relever que si l’étude US montre une surmortalité spécifique non significative par le dépistage, la sous-mortalité spécifique de l’étude européenne, considérée sur la totalité de l’effectif, est elle aussi non significative.
[4] C’est le cas pour le cancer du col de l’utérus. Le délai recommandé entre deux frottis de dépistage est de trois ans. Un délai plus court augmente le nombre de faux positifs (cancers traités à tort) sans améliorer l’effet positif du dépistage.
[5] Un travail scandinave a comparé la mortalité des hommes opérés d’un cancer de la prostate avec celle des non-opérés et seulement surveillés. Après 12 ans de suivi, 80% des hommes non opérés et 88% des hommes opérés sont encore vivants. Encore une fois, cette étude n’évalue pas l’effet du dépistage, mais de l’opération chez des hommes dépistés, ce qui est différent.