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En route vers la Santestroïka ?
Roselyne au pays des soviets
Première publication : jeudi 26 mars 2009,
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La réforme de Mme Roselyne Bachelot, dite HPST (hôpital, patients,santé et territoires) va sans doute être votée au terme des allers-retours parlementaires.
Je voudrais vous faire réaliser que nous appliquons de plus en plus à
notre système de santé un modèle de gestion soviétique planifiée de
triste mémoire. Ce n’est pas un poisson d’avril.
Alors que les américains mangent leur chapeau de chantres du
libéralisme dans un pathétique sauve-qui-peut financier, notre ministre UMP affine une proposition de gestion du système de santé français directement
inspirée du Gosplan soviétique. Elle n’a pas initié ce processus enclenché depuis une vingtaine d’années. Elle met juste une dernière touche à l’oeuvre de ses prédécesseurs. Je pense plus particulièrement à Philippe Douste-Blazy et à Xavier Bertrand.
À l’origine de ces deux reniements du libéralisme, une même cause : une panique
devant des gouffres financiers abyssaux, eux-même provoqués par vingt
ans de gestion à courte vue insensible aux signaux d’alerte émis de
toutes parts. Certains considèrent d’ailleurs que c’est l’abandon du libéralisme pourtant affiché, et l’étatisation progressive de l’économie qui a provoqué la crise financière.
Les similitudes entre l’économie soviétique stalinienne et l’organisation du système de santé français sont saisissantes. Dans les deux cas, les débuts ont été prometteurs :
croissance économique robuste et chômage nul d’un côté,
structure solidaire et efficace de
l’autre, aboutissant à un des meilleurs système de santé au monde.
Mais la similitude touche aussi la chute du système, effective en URSS, programmée chez nous.
Revue de détail :
Définition des besoins et de la qualité par des experts
Contrairement à l’économie de marché, dont se réclament les
libéraux, ce ne sont pas les utilisateurs qui définissent et évaluent
leurs besoins, mais des experts. Ces experts sont présents à tous les
niveaux : choix de l’offre, répartition, contrôle qualité,
validation... C’est exactement le principe de la planification
soviétique, censée œuvrer pour le bonheur des masses populaires en définissant les meilleurs produits. Le résultat est connu.
Production uniformisée, laissant peu de place aux variantes nées de besoins particuliers réels.
Hors du plan, point de salut : il faut suivre les recommandations, les protocoles, les référentiels. Il n’y qu’une seule bonne façon de traiter le diabète,
l’hypertension, le cancer. Gare au soignant ou au patient qui sort des
"clous". La variété de l’offre de soins et des approches thérapeutiques sera bientôt aussi misérable
que celle des produits de consommation soviétiques.
Contrôles tatillons, envahissants et paralysants
Patients et médecins sont prévenus : l’ère de la gouvernance est en marche. Et les contrôles vont se généraliser ! Non pas tant sur les
malversations et abus, mais sur les écarts au plan et aux référentiels
médico-économiques que la Haute Autorité de Santé est priée de produire au plus vite.
Convocation des agents hors-norme pour les remettre dans le "droit chemin"
L’individualisme était mal vu chez les soviets, il en est de
même dans la réforme Bachelot : à tous les échelons, des contrôleurs
vérifient que les pratiques sont en accord avec les normes qui sont
passées du statut de statistiques à celui de recommandations puis de référentiels. Les
mots ont du sens. La santé devient normée.
Inflation de l’administration du service, au détriment de ses acteurs
La mise en place du contrôle des dépenses à l’hôpital a
induit une bureaucratie dont la masse salariale approche celle des
soignants. Personne n’a tenté de faire le bilan financier de cette dérive. Cette bureaucratie aussi stérile qu’envahissante est un des
éléments qui ont provoqué la chute du système soviétique. Elle génère
actuellement une dégradation de la qualité des soins évidente à
l’hôpital. On en est à vouloir mettre des bracelets d’identification aux patients car les intérimaires qui bouchent les trous des plannings ne les connaissent pas et le risque d’erreurs augmente.
Produits et services dépassés, évoluant peu
Traquer et interdire l’initiative individuelle pour imposer
le respect de la norme a une conséquence grave qui est peut être la
principale cause de la chute de l’URSS : l’innovation disparaît, car
l’innovation résulte justement de la diversité spontanée et de l’initiative individuelle. L’appareil industriel soviétique est devenu progressivement obsolète après des succès initiaux trompeurs, car il n’a pas su développer initiative et diversité.
L’état des hôpitaux français se dégrade, les
matériels ne sont plus remplacés et l’espace de recherche foisonnant qu’il a été se meurt sous le carcan administrativo-réglementaire censé améliorer son fonctionnement.
Survalorisation des procédures et des produits "bien conçus" à défaut d’être utiles ou efficaces
Ah, la démarche qualité en santé ; quelle merveilleuse machine à détruire... la qualité ! Il suffit de l’avoir vécue pour
le comprendre. La démarche qualité (ou pire la qualité totale) est
sans doute la pire verrue idéologique que nous ayons appliquée à la
santé. L’Homme, sa santé et le soin sont bien trop complexes pour
supporter cette approche industrielle réductionniste et stérilisante.
Les russes aussi n’en pouvaient plus de leurs produits ternes, mal
fichus, uniformes et sans génie, mais conformes au cahier des charges
issus du Gosplan.
Déconnexion du client et de ses besoins
Dans l’économie soviétique, le client n’existe pas, il n’y a
que des camarades.
Dans le système de santé français, il n’y a pas de
clients non plus, il n’y a que des patients, et on ne leur demande pas
leur avis : ce sont avant tout des usagers.
Files d’attente, délais, produits ou services chroniquement indisponibles ou mal répartis
Il n’y a pas de différence fondamentale entre des magasins
soviétiques en rupture d’approvisionnement et les attentes
interminables à l’hôpital ou les délais de rendez-vous à 8 mois de
certains spécialistes.
Les médecins généralistes disparaissent des
campagnes, ils ne seront pas remplacés et il est illusoire de penser
que l’on pourra forcer des jeunes médecins à aller là où la Poste ne
reste pas. Tel un trou noir, la planification absorbe les énergies et
sclérose l’activité.
Démotivation des agents les plus brillant
Les acteurs les plus performants d’un domaine ne sont pas ceux qui respectent les procédures, mais ceux qui savent faire mieux.
Un travailleur efficace est quelqu’un qui sait s’adapter à l’imprévu, à
l’accident, au hors-norme.
Or, comme l’ouvrier soviétique enfermé dans une
procédure de production stérilisante, le soignant 2008 est prié de ne
pas s’écarter du chemin tracé par le référentiel. Les simples s’y
épanouissent, les bons s’y morfondent. "La médiocrité chérit la règle" écrivait Flaubert.
Institutionnalisation de la corruption
Dans un système contrôlé par des experts, et dans lequel les prescripteurs concentrent l’ordonnance des dépenses, la corruption
s’installe très vite. Dans le projet de loi actuel,
il n’est mention nulle part de garde-fous contre l’énorme influence de
l’industrie pharmaceutique sur les dépenses de santé : la loi anticadeaux officialise en fait les cadeaux ; chaque médecin français est l’objet de 25000 euros de dépenses
promotionnelles par an de la part de l’industrie pharmaceutique. Cette
industrie finance notamment massivement la formation des médecins. Elle
risque bientôt de financer l’éducation des patients, nouveauté du
projet de loi.
L’économie soviétique, du fait de la centralisation des organes décisionnels, est tombée elle aussi dans ce travers de la corruption.
Apparition d’une économie parallèle inaccessible aux plus démunis
Avec la paralysie progressive du système de production soviétique par le
plan, une offre "privée" a permis aux plus riches et aux apparatchiks
d’accéder à des biens inaccessibles même à la classe moyenne.
Dans le système de santé français, c’est le secteur II (honoraires libres) qui joue ce rôle. Lorsque la pénurie s’installe, il existe toujours un
marché noir, c’est juste une question de sémantique. Le secteur II
n’est pas le problème, c’est la conséquence d’un système qui n’arrive
plus à rémunérer ses acteurs.
Grands chantiers à la gloire du Secrétaire général/Leader Maximo/ Président (rayer la mention inutile)
Est-il besoin de détailler les similitudes ?
Nous nous trouvons dans une situation d’inversion de valeur tournée vers l’administration du service : dans tous les groupes constitués d’au moins 100 personnes, la gestion et l’administration du service prennent progressivement le contrôle total de l’activité, mais surtout se persuadent de leur caractère indispensable.
L’hôpital meurt de son administration, mais ses gestionnaires sont persuadés qu’ils sont indispensables. Or seuls les soignants, les patients et les fournitures sont indispensables.
L’assurance maladie s’enfonce dans le déficit. Ses gestionnaires sont persuadés d’être indispensables. Ils pensent notamment que les soignants ne pourraient survivre sans eux car ils solvabilisent leur clientèle. C’est faux, seuls les soignants, les patients et les fabricants de produits de santé sont indispensables. Les gestionnaires ne font que prélever l’argent des patients pour le distribuer. Sans ces prélèvements, la solvabilité augmentée des patients leur permettrait de financer les mêmes services (à eux de mettre en place les mécanismes de solidarité permettant de faire face aux coups durs sans reconstituer l’usine à gaz actuelle).
Les banquiers sont persuadés d’être indispensable à l’industrie. C’est faux, il peut exister une production de biens sans banque, mais jamais de banque sans production de biens.
Les exemples peuvent être déroulés à l’infini. Il ne s’agit pas de dire que la gestion est inutile, mais qu’elle doit être au service de la production de biens et services et non à sa tête.
Bref, vous aurez compris que ce ne sont pas des amendements qu’il
faut à ce texte.
Nous avons besoin d’une véritable refonte de nos
systèmes de valeurs. En modifiant les structures de "gouvernance" du
monde de la santé, la Ministre va de plus paralyser le système de santé pendant plusieurs années : les luttes de baronnies vont générer une désorganisation durable.
C’est peut-être le moment de lire Edgar Morin, au moins son introduction à la pensée complexe : un problème aussi riche et multifactoriel qu’un système de soins ne
peut se gérer avec une démarche aussi simpliste que celle perpétuée
dans ce projet de loi. Nous ne savons toujours pas, en 2009, évaluer la
qualité en santé. Nous faisons semblant de le faire, mais nos outils ne
le permettent pas. On n’est pas un bon médecin parce que l’on prescrit
tel examen tous les trois mois chez le diabétique ou que l’on prescrit
systématiquement des mammographies à toutes ses patientes. La santé, la
maladie, la vie, sont plus compliquées que cela et ne peuvent entrer dans les cases d’un système normé. Il faudra un jour que nous réfléchissions à des outils permettant d’évaluer vraiment la
qualité, car quand on ne sait pas dire qui travaille bien ou mal, on ne
peut pas progresser (ni faire d’économies). Ce sera alors le début
d’une vraie réforme, d’une véritable révolution sanitaire.
En attendant, nous allons droit vers le désastre, la
Santéstroïka , et le dépeçage des restes de la sécu par des
prédateurs, comme cela s’est passé pour l’économie de feu l’URSS. Si
l’on veut arrêter le massacre, il va falloir agir vite, très vite, et
imaginer des approches vraiment nouvelles.
Messages
26 juin 2012, 00:44
un medecin bobo socialo a la ramasse .