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Les nettoyeurs de réputation sur le web
Première publication : jeudi 18 février 2010,
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La Médecine 2.0 possède un aspect méconnu : sa mémoire. Telles les traces de pas des dinosaures dans les roches du jurassique, les informations restent longtemps gravées sur la toile.
Le problème n’est pas tant leur présence que la facilité avec laquelle un moteur de recherche comme Google les retrouve en quelques instants. Contrairement à l’article compromettant enfoui dans un magazine vieux de 10 ans, l’article qui fâche, la confession intime, le témoignage d’un patient mécontent sont accessibles en deux clics.
Dans ce billet, je ne m’étendrai pas sur les aspects de cette mémoire concernant la vie privée. C’est la réputation des professionnels qui m’intéresse.
J’ai été confronté très tôt à ce problème sur Atoute. Tout d’abord avec un message posté sur le forum citant la condamnation lourde d’un chirurgien québécois. Le message n’était pas agressif et se contentait de faire un lien vers un jugement officiel mis en ligne sur un autre site. En tapant le nom de ce chirurgien dans Google, on tombait sur le message du forum et donc sur la condamnation.
Ce chirurgien a essayé la menace à mon égard, sans succès : à quel titre aurais-je censuré le message de quelqu’un qui relatait, sans agressivité, un fait réel ? Deux ans après, il m’a adressé un message assez touchant me décrivant sa détresse et ses grandes difficultés face à cette contre-publicité. Je me suis laissé convaincre et faute de nouvelles de l’auteur initial du message, je l’ai supprimé. Ai-je bien fait ? J’ai rendu sa réputation à un homme, mais j’ai peut-être supprimé une alerte salutaire pour ses futurs patients. Les casiers judiciaires prévoient l’effacement de certaines condamnations. Doit-on faire de même sur le web ?
Une affaire récente est emblématique de cette situation. Le Dr P est un chirurgien esthétique qui a mal agi par le passé : son site internet a été manipulé pour attirer des patients qui tapaient dans Google le nom d’autres chirurgiens. Le montage (qu’on appelle spamdexing) était suffisamment élaboré pour que l’argument "c’est pas moi, c’est mon webmaster" ne tienne pas devant le conseil de l’ordre des médecins, très chatouilleux (à juste titre) sur ce sujet. Après une (trop) lourde condamnation initiale à la radiation définitive en première instance, la peine a été ramenée en appel à une interdiction d’exercice limitée dans le temps.
Le problème est que cette affaire a été médiatisée. Si la condamnation ordinale du Dr P s’est éteinte, cette affaire continue d’affecter sa réputation par les traces qu’elle a laissées sur la toile. C’est particulièrement ennuyeux en chirurgie esthétique, discipline pour laquelle les patients font souvent des recherches sur internet avant de choisir leur chirurgien. D’autres spécialités sont néanmoins concernées : le Dr Stéphane Delajoux, très médiatisé récemment, traînait de la même façon quelques e-casseroles dont certaines ont été nettoyées.
Enfin, le site Google Maps permet à chacun de laisser une appréciation sur son médecin. Appréciations pas toujours flatteuses. Ce n’est que le début d’un mouvement irréversible qui donne la parole aux patients et une certain forme de pouvoir.
Il est amusant de voir que le Dr P comptait initialement sur Google pour assoir sa réputation, et que cette réputation se retrouve finalement altérée par la mémoire du moteur de recherche. L’ e-arroseur arrosé en quelque sorte.
Pour gérer ce type de problème, des agences spécialisées sont apparues. Leur objectif : nettoyer le web des traces négatives concernant leur client. La méthode est assez simple dans son principe. Elle consiste à :
Intimider les webmasters et gestionnaires de forums pour leur faire supprimer les textes gênants.
En l’absence de résultat, faire pression sur les hébergeurs, co-responsables des contenus du fait de la LCEN.
Publier de nombreux textes portant le nom de la personne à protéger, pour "noyer" les textes gênants dans les résultats de Google, et si possible les faire passer dans la deuxième page de résultats (rares sont les internautes qui vont au delà de la première page de résultats après une recherche).
Je ne sais pas si le Dr P a été conseillé par une telle agence, mais il a porté plainte récemment contre mon confrère Jean-Jacques Fraslin. Cet analyste réputé de la e-santé avait écrit un article sur son site i-med, décrivant les déboires du Dr P. Préalablement, le Dr P avait fait fermer le site i-med en menaçant l’hébergeur (OVH). Il ne s’agit donc pas de simples intimidations et le Dr Fraslin a été contraint de retirer l’article dans l’attente du résultat du jugement (le Dr P a finalement retiré sa plainte).
Le seul vrai procès ayant concerné Atoute a été celui que m’a intenté le Dr Rozenbaum, célèbre gynécologue mécontent d’appréciations portées à son égard. Il a été débouté en appel et je pense qu’il y réfléchira à deux fois avant de renouveler une telle procédure.
La LCEN (loi pour la confiance dans l’économie numérique) prévoit un cadre strict pour obtenir de la part d’un hébergeur une action sur un site litigieux. Il s’agit d’éviter les dénonciations abusives de la part de simples mécontents. La LCEN prévoit notamment une amende de 15000 euros pour toute déclaration ou menace tendancieuse destinée à faire supprimer un document non entaché d’illégalité. Avis aux amateurs ;-)
Messages
9 septembre 2015, 20:47, par Dr Dominique Dupagne
Epilogue :
Le Dr P m’a littéralement harcelé de courriers menaçants recommandés. Il a tenté de faire fermer mon site par mon hébergeur en brandissant la LCEN. Il a fini par me poursuivre devant l’Ordre des médecins en me reprochant de ne pas accéder à sa demande de droit à l’oubli. Etant le dernier site ayant gardé trace de ses agissements passés, j’avais ignoré ses menaces.
Nous avons donc eu un réunion de conciliation avec un conseiller ordinal. J’ai posé à ce conseiller la question suivante : "A votre avis, qui doit l’emporter, l’information du public sur des actes qui ont maintenant une dizaine d’années, ou le droit à l’oubli du Dr P qui a purgé sa peine et subi la présence de cette article négatif lors des recherches sur son nom sur Google".
Le conseiller m’a donné son point de vue : le droit à l’oubli semble prioritaire.
J’ai donc décidé de retirer le nom du Dr P, qui aura finalement réussi à nettoyer sa réputation, tout en l’entretenant positiviment par une pléthore de vidéos et de sites semi-promotionnels.
Je l’ai simplement averti que si je constatais à l’avenir un nettoyage sélectif des commentaires le concernant dans les espaces sociaux, je remettrai son nom dans ce billet pour que le public sache à qui il a affaire.