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Faut-il prendre du Tamiflu en cas de grippe ?

Efficacité du Tamiflu dans le traitement de la grippe.

Première publication : lundi 14 décembre 2009,
par Dominique Dupagne - Visites : 41856

Depuis le 10 décembre, les médecins français sont vivement incités par les autorités sanitaires à prescrire le plus largement possible un antiviral, le Tamiflu®, afin de contrer l’épidémie de grippe A/H1N1. Cette incitation qui équivaut à un ordre se démarque de l’attitude des principales organisations sanitaires mondiales. Cet article rappelle le contexte et synthétise les données scientifiques sur l’intérêt du Tamiflu en cas de grippe ou de contact avec un grippé.

Dans une note du jeudi 10 décembre 2009, la Direction Générale de la Santé française (DGS) incite tous les médecins à prescrire largement du Tamiflu® (oseltamivir) aux patients grippés ou exposés à la grippe s’ils présentent des facteurs de risque :

"Compte tenu de la progression de la pandémie sur le territoire et de l’augmentation des hospitalisations et formes graves, les recommandations de prescription des antiviraux ont évolué.
Les nouvelles recommandations sont les suivantes et prendront effet le 10 décembre :
-   La prescription du traitement antiviral est systématique chez le patient présentant une grippe clinique.
-   Le prélèvement naso-pharyngé à visée diagnostique préalablement à la mise sous traitement antiviral curatif n’est pas systématique. Ses indications sont restreintes à des cas particuliers comme les formes graves.
-   Il convient de surveiller l’apparition de tout signe d’aggravation et en particulier d’une dyspnée et de recommander, dans ce cas, l’appel au centre 15.
-   Pour une personne non malade et présentant des facteurs de risque (dont les femmes enceintes et les enfants de moins de 1 an) qui a été en contact étroit avec une personne grippée, un traitement antiviral post exposition est recommandé. Le traitement est dit préemptif (à dose curative et pendant 5 jours)
Pour faciliter l’accès aux traitements, le stock d’Etat d’antiviraux va être livré dans les officines de métropole à partir du 21 décembre. Ce stock est composé de deux formes galéniques d’oseltamivir (le Tamiflu 75 mg, sous forme de gélule, à usage adulte et l’oseltamivir PG 30, sous forme de comprimé sécable dispersible, adapté à l’enfant) et de Relenza qui peut être utilisé en traitement post exposition.
Ces produits seront délivrés gratuitement en officine, uniquement sur prescription médicale.

Pour en savoir plus : http://www.sante-sports.gouv.fr rubrique Grippe, espace dédié aux professionnels de santé."

Cette injonction a suscité une vive émotion dans la communauté médicale [1], car elle n’est appuyée par aucune argumentation scientifique. Le 13 décembre, le lien indiqué ne contient toujours aucun élément permettant de comprendre ce revirement des autorités sanitaires françaises : depuis plusieurs mois, il était au contraire recommandé par le ministère de restreindre la prescription des antiviraux pour éviter d’induire des résistances, phénomène bien connu avec les antibiotiques. Le soulignement dans l’extrait suivant était présent dans le texte publié et adressé à tous les médecins en juillet 2009.

Le caractère directif de la note de la DGS met les médecins dans une position très difficile :
- Soit ils appliquent sans discernement la directive, tout en s’y associant par leur prescription.

- Soit ils pratiquent leur métier, et pèsent pour chacun de leurs patients le pour et le contre de la prescription. Ils prennent alors le risque d’une condamnation en cas de complication de la grippe chez un de leurs patients n’ayant par reçu d’antiviral

De nombreux médecins, lassés de devoir en permanence engager leur responsabilité pour protéger leurs patients de décisions sanitaires contestables, risquent de baisser les bras et de prescrire du Tamiflu au moindre nez qui coule, ou à l’entourage de tous les grippés.

Comme pour la vaccination, les patients vont se retrouver seuls pour décider, face à des avis aussi variés que tranchés. Leur médecin, menotté par une injonction qui engage sa responsabilité, ne sera plus libre pour leur apporter un conseil personnalisé. Voici par exemple ce qui qu’écrit le représentant des médecins libéraux de la région Centre :

Chère Consœur, Cher Confrère,

Le Ministère de la Santé nous informe d’une modification importante de l’utilisation des antiviraux dans le cadre de la pandémie grippale actuelle.

L’URML Centre a le devoir de vous informer immédiatement de ce changement dans la stratégie thérapeutique.

Quelle que soit votre opinion sur la campagne actuellement menée par le gouvernement, l’URML Centre vous engage à vous conformer à ces nouvelles recommandations. Une attitude contraire pourrait vous être préjudiciable sur un plan médico-légal en cas de grippe tournant mal vue précédemment en ambulatoire.

Veuillez croire, Chère Consœur, Cher Confrère, à nos sentiments confraternels.

Docteur Alain G. Président de l’URML Centre

Bien sûr, et malgré cette situation, de nombreux médecins continueront à prendre leurs responsabilités. Au mépris du risque judiciaire que l’on agite sous leurs yeux, ils apporteront à leurs patients l’information juste et personnalisée qui leur est due.

Le Collège National des Généralistes Enseignants, principal représentant universitaire des généralistes français, a publié dimanche 13 décembre, un communiqué sans ambiguïté (les antiviraux Tamiflu et le Relenza font partie de la famille chimique des inhibiteurs de la neuraminidase) :

Comme vous le lisez, il y a là matière à désorienter le public. D’autant que la surprenante stratégie de la Ministre et les conflits d’intérêts omniprésents ont altéré la confiance du public dans l’autorité sanitaire en général et l’expertise médicale en particulier.

Comment pourra-t-on convaincre les français que ce revirement brutal, au moment même ou l’épidémie décroît, n’est pas destiné à la fois à liquider les stocks d’antiviraux bientôt inutilisables car périmés et à surfer sur la vague descendante des cas graves pour s’en approprier l’évolution favorable ?

Cet article ne se veut pas polémique et j’arrête là avec le contexte politique. Comme pour l’article sur la vaccination, je vais tenter de faire le point sur les données scientifiques disponibles. En effet, c’est vous qui déciderez finalement si vous prenez ou non le Tamiflu prescrit. Si vous souhaitez vous informer sereinement avant de prendre une décision, cet article est fait pour vous. Par ce préambule, je voulais simplement vous faire comprendre que votre médecin ne sera pas aussi libre qu’à son habitude lorsqu’il vous conseillera de prendre du Tamiflu.

Ce point scientifique s’appuie sur un document remarquable et unique qui tient au jour le jour une comptabilité précise des preuves disponibles concernant des antiviraux de la grippe : http://hldemo.ebscohost.com/Influenza/dm/influenza_antiviral_treatment_prophylaxis.htm.

Ceux qui souhaiteraient des références pour les affirmations qui suivent et qui en sont la transcription sont donc invités à s’y reporter.

La grippe et le Tamiflu® (oseltamivir) : l’état de la science

Il existe en France trois médicaments antiviraux :
Le Tamiflu®, qui contient de l’oseltamivir, qui se prend en gélules ou en comprimés.

Le Relenza®, qui contient du zanamivir, qui se prend en poudre par inhalation.

Le Mantadix®, qui contient de l’amantadine, en comprimé et dont nous ne parlerons pas car il n’est pas actif sur le virus pandémique.

- Le traitement n’est généralement efficace que s’il est pris pendant les premières 48 heures de la maladie, à compter des premiers symptômes (non comprise la fatigue qui peut apparaître la veille de la fièvre et de la toux).
- Le virus A/H1N1 pandémique est globalement encore sensible au Tamiflu, un peu moins au Relenza, et résistant au Mantadix.

Pour qui ?

Il paraît justifié de prescrire un antiviral chez les patients à haut risque de complication.

C’est l’opinion de l’OMS (organisation mondiale de la santé).
C’est celle ces CDC américains (centres pour le contrôle et la prévention des maladies).
C’est enfin celle du NICE anglais (haute autorité de santé britannique).

Aucune des ces autorités nationales ne recommande l’usage systématique des antiviraux chez tous les grippés.

Par haut risque, il faut comprendre risque de complications graves 2 à 10 fois supérieur à celui la population standard qui est lui-même très faible. Voici une liste relativement consensuelle des sujets à risque :

  • Enfants de moins de 2 ans.
  • Adultes de plus de 65 ans.
  • Femmes enceintes ou ayant accouché depuis moins de 2 semaines.
  • Personnes atteintes d’une maladie chronique :
    • Cancer évolutif
    • Maladie broncho-pulmonaire et notamment asthme.
    • Maladie des reins.
    • Maladie du foie.
    • Maladie du sang dont anémie falciforme (fréquente en Afrique noire).
    • Maladie métabolique dont le diabète.
  • Personne souffrant d’une maladie handicapant l’évacuation des sécrétions bronchiques :
    • Paralysie.
    • Handicap cérébral.
    • Lésions du cerveau ou de la moelle épinière.
    • Epilepsie et maladies apparentées.
    • Sclérose en plaques et autres maladies neurologiques invalidantes.
  • Personne immunodéprimées (Sida, greffés).
  • Personnes de moins de 19 ans devant prendre de l’aspirine en continu (risque de syndrome de Reye en cas de grippe).Personnes qui bénéficient de soins chroniques lourds (dont hospitalisation à domicile).
  • Personnes obèses (index de masse corporelle supérieur ou égal à 30) et surtout en obésité morbide.

Comment ?

Chez l’adulte
Le Tamiflu se prend en gélules à 75 mg : une matin et soir.
Le Relenza se prend en inhalations : deux fois 5 mg le matin, deux fois le soir. Non recommandé en cas de maladie respiratoire préexistante.

Chez l’enfant
Le Tamiflu se prend en fonction du poids de l’enfant. Voir. Le ministère va mettre à disposition ses stocks d’Oseltamivir PG30 en comprimés dispersibles à partir du 21 décembre.
Le Relenza s’utilise comme chez l’adulte et à la même dose pour les enfants à partir de 12 ans.

Avec quelle efficacité ?

Le Tamiflu pourrait avoir une certaine efficacité chez les patients hospitalisés, mais nous ne nous intéresserons ici qu’aux antiviraux délivrés en ville en l’absence de complication avérée.

Réduction des symptômes

Les Tamiflu et le Relenza réduisent modestement l’intensité et la durée des symptômes de la grippe. La réduction de la durée des symptômes est de l’ordre de 13 heures chez le sujet bien portant . Il est d’environ 18 heures chez le sujet à risque traité par Tamiflu ; 24 heures chez ceux traités par Relenza. Chez l’enfant, des résultats équivalents ont été observés.

Toujours chez le sujet bien portant, le recours aux antibiotiques a été moins souvent nécessaire sous antiviraux, sans que le nombre de cas observés permettent d’en tirer des certitudes.

Chez l’adulte insuffisant respiratoire, le Tamiflu a permis d’obtenir une réduction importante de la durée des symptômes, de la fièvre, de l’usage des antibiotiques et des complications en général.

Chez l’enfant asthmatique, le Tamiflu a légèrement diminué la durée des symptômes mais n’a pas eu d’effet significatif sur le retour à une activité normale et a parfois exacerbé l’asthme de ces enfants.

Chez différents patients à haut risque, le Relenza a permis de gagner 1 à 2 jours pour l’arrêt des symptômes ou le retour à une activité normale.

Notez que ces tests ont été effectués chez des patients qui se sont avérés a posteriori n’être que 50% a souffrir d’une vraie grippe (on commence le traitement avant d’avoir le résultat des prélèvements). Les résultats ont donc tendance à sous-estimer l’effet des médicaments.

Réduction des complications

Chez le bien portant

L’effet du Tamiflu sur la réduction des complications de la grippe chez le sujet bien portant n’est pas bien établi. Néanmoins, les travaux disponibles portent essentiellement sur des grippes ayant précédé la pandémie.

Les données sont contradictoires et certaines de celles allant dans le sens de l’efficacité du Tamiflu comportent des biais potentiels qui en diminuent ou annulent la portée. La source EBSCO qui fonde cet article cite abondamment une revue récente (8 décembre 2009) du British Medical Journal, qui relativise considérablement l’intérêt du Tamiflu dans la prévention des complications de la grippe.

Le traitement de la grippe du sujet bien portant par Tamiflu, s’il est mis en oeuvre, repose donc sur l’hypothèse que le Tamiflu sera plus efficace sur la grippe pandémique A/H1N1 que sur les grippes saisonnières.

Plusieurs travaux étudiant l’efficacité du Relenza aboutissent à des conclusions similaires, avec toutefois une réduction de la nécessité du recours aux antibiotiques qui pourrait atteindre 50%.

Chez l’enfant à risque

Le traitement par Tamiflu semble réduire le risque de détresse respiratoire, de pneumonie, d’otite et d’hospitalisation.

Que ce soit chez le sujet bien portant ou à risque, les antiviraux n’ont pas d’effet connu sur la mortalité. Il est parfois mis en exergue la différence de mortalité grippale entre le Chili et l’Argentine, le Chili ayant fait le choix d’un usage large du Tamiflu. Ce type de comparaison est trop hasardeux pour permettre une quelconque conclusion.

Prévention en cas de contact avec un grippé

Le Tamiflu et le Relenza sont efficaces pour prévenir l’apparition d’une grippe en cas de contact avec un grippé. Cette efficacité est de l’ordre de 75%, c’est à dire que la prise du produit diminue environ par trois la probabilité de contracter la grippe. L’efficacité est similaire que le produit soit débuté avant l’exposition ou immédiatement après. Le Tamiflu préventif est utilisé à la moitié de la dose curative : 75 mg par jour. Une augmentation de la dose de Tamiflu à 150 mg par jour augmente légèrement l’efficacité mais également les vomissements qui constituent son principal effet indésirable.

Avec quels effets indésirables ?

Le principal effet indésirable du Tamiflu et du Relenza est digestif : nausées et vomissements qui touchent près d’un utilisateur sur trois et qui limitent notablement leur utilisation.

Le Relenza, qui est une poudre à inhaler peut provoquer des crises d’asthmes chez certains asthmatiques.

Ces deux produits sont suspectés de pouvoir provoquer exceptionnellement des troubles psychiatriques graves comme des tentatives de suicides. Ces problèmes sont survenus quasiment exclusivement au Japon. Les autorités françaises se veulent rassurantes à ce sujet, mais les autorités américaines continuent à prôner la vigilance. Une déclaration récente d’épisode psychiatrique aigu semble leur donner raison.

Questions non résolues

L’honnêteté me conduit à préciser quelques éléments importants, à côté de ce relevé de faits scientifiques établis.

Lorsque l’on cherche à mettre en évidence une protection contre des évènements très rares, il est difficile de différencier un effet obtenu grâce à un médicament de l’effet du seul hasard. Par exemple, si une maladie provoque un décès pour 100.000 personnes et qu’un médicament diminue ce risque par deux, ce n’est pas en observant quelques décès (avec ou sans médicament) que l’on pourra tirer une conclusion. Avec la méthode scientifique habituelle, qui consiste à comparer l’évolution de deux groupes prenant un médicament pour l’un, et un placebo pour l’autre, il faut étudier des millions de patients pour arriver à un résultat fiable, c’est à dire non attribuable au hasard.

Il existe donc des domaines pour lesquels tout ce que l’on peut dire est "Ce médicament n’a pas prouvé son efficacité" qu’il serait faux de traduire en "Ce médicament n’est pas efficace". Il est peut-être efficace, sans que nos outils aient pu permettre de le démontrer. A, l’inverse, il peut d’ailleurs être toxique et tuer plus de patients qu’il n’en sauve sans que cet effet délétère apparaisse s’il est très rare.

C’est un peu ce qui se passe pour le Tamiflu chez le sujet bien portant sans facteur de risque : ce médicament pourrait très bien diminuer la mortalité par deux sans que nous ayons pu le démontrer. Il pourrait de la même façon tuer une personne sur 100.000 sans que cela n’apparaisse clairement.

Pour autant, on peut s’interroger sur l’intérêt d’un médicament dont l’effet est tellement modeste dans l’absolu qu’il ne peut être démontré par nos méthodes scientifiques.

Un exemple pris dans la vie courante : se placer dans le wagon du queue du métro diminue le risque de décès par collision avant, mais peut augmenter le risque de décès par collision arrière. Ces risques vous paraissent-ils pertinents quand vous prenez le métro ?

En résumé

Le Tamiflu et le Relenza sont probablement utiles chez le sujet à risque, en raccourcissant modestement la durée des symptômes et la survenue de certaines complications.

Ils n’ont aucun intérêt prouvé chez le sujet bien portant démarrant une grippe.

Ils sont efficaces pour prévenir la grippe en cas de contact avec un sujet contagieux, le Tamiflu étant d’un emploi beaucoup plus commode que le Relenza.

Conflits d’intérêts de l’auteur : je n’ai aucun lien l’intérêt personnel et n’ai jamais touché de rémunération de l’industrie des vaccins ou des antiviraux. Mon épouse travaille chez Sanofi mais hors vaccins.
Notez que cette déclaration, obligatoire, est rarement faite par les médecins experts qui s’expriment sur la prévention ou le traitement de la grippe.


[1Voir à ce sujet le communiqué du syndicat Union Généraliste, celui de la SFMG, et la pétition du Formindep.

Il y a 1 message sur ce forum.

Messages

  • Bonsoir Docteur Dupagne
    En lisant en cette période de confinement de nombreux articles qui laissent rêveurs quant au rôle pour le moins ambigu (je pèse mes mots) de nos "hautes autorités" de santé je tombe sur cet article dont vous êtes l’auteur. C’est incroyable comme quelque soit le régime politique les pratiques restent les mêmes, on pourrait tout de même se demander à qui le crime profite...Je partage entièrement comme simple citoyen votre analyse.
    Mais enfin mon propos était surtout de vous remercier après bien des années car si ma mémoire est bonne et si il ne s’agit pas d’un homonyme vous vous vous étiez occupé avec professionnalisme et surtout beaucoup d’humanité de ma mère finalement hospitalisée à l’Hôpital de la Croix Saint Simon ou elle est décédée en mars 1991. Je tenais après toutes ces années vous témoigner ma reconnaissance. Vous faites un merveilleux métier..
    Bien cordialement.
    Vincent TORRESI

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