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Que faut-il penser des parabènes (parabens) ?
Une réponse difficile pour une question d’actualité
Première publication : lundi 30 mai 2011,
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L’annonce a fait l’effet d’une petite bombe. À la surprise générale, l’Assemblée nationale a adopté le 3 mai en première lecture une proposition de loi interdisant « la fabrication, l’importation, la vente ou l’offre de produits contenant des phtalates, des parabènes ou des alkylphénols ». Quelques semaines plus tard, le journal Le Monde a publié un liste de 400 médicaments contenant des parabènes.
Le public est décidément bien secoué par l’actualité sanitaire. Or, après la pseudo grippe du siècle en 2009 et le scandale du Médiator, il a compris qu’il ne peut plus faire confiance à l’information sanitaire officielle.
Le téléphone portable est-il cancérigène ? L’aspartame est-il dangereux ? Les cosmétiques aux parabènes ont-ils des effets hormonaux ou cancérigènes ? Dans un monde régi par les conflits d’intérêts et quasiment privé d’expertise indépendante fiable, chacun se sent perdu face à ces questions.
Au risque de vous décevoir, je vais vous expliquer pourquoi vous n’aurez probablement jamais de réponse claire sur l’innocuité ou la dangerosité des parabènes.
Les parabènes sont des conservateurs largement utilisés dans les produits alimentaires, les cosmétiques et les médicaments.
Les conservateurs permettent essentiellement d’éviter les moisissures, qui surviendraient rapidement en leur absence. Ils luttent aussi contre la prolifération des bactéries, qui pourraient provoquer des maladies en cas d’ingestion ou d’application sur la peau.
Les produits sans conservateurs doivent généralement être consommés rapidement et conservés au frais, le froid constituant un frein au développement des champignons et des bactéries.
Garder la totalité de ses médicaments, crèmes pour le corps, sirop, gateaux au frigo, et les jeter au bout de quelques semaines, ne serait pas simple.
Les conservateurs ont donc une importante utilité sanitaire, sociale et économique.
Cette utilité suppose qu’ils n’exposent pas à d’autres risques sanitaires, et c’est là que les points d’interrogation apparaissent. Le mercure a été utilisé, notamment dans les vaccins, mais il n’est plus à la mode...
Les parabènes sont des conservateurs efficaces, et ils ont été utilisés massivement et sans problème évident depuis des dizaines d’années.
Les travaux scientifiques sont contradictoires
Comme pour l’effet cancérigène possible du téléphone portable sur le cerveau [1], il existe des travaux scientifiques contradictoires qui évoquent la possibilité d’effets délétères en cas d’ingestion ou d’application sur la peau.
Ces effets délétères suspectés des parabènes sont
Des risques d’allergie cutanée en cas d’application locale.
Des risques de perturbations hormonales par effet proche d’hormones naturelles (estrogènes) avec d’éventuelles conséquences sur le développement des organes sexuels des enfants et la fertilité des hommes.
Des risques cancérigènes, toujours par effet analogue aux estrogènes, essentiellement sur le sein.
Nous disposons pour tenter de répondre à ces questions d’une synthèse scientifique parmi d’autres, qui a l’avantage d’être récente et d’origine universitaire :
http://ressources.ensp.fr/memoires/2009/persan_igs/parabens.pdf
Malheureusement, nous n’avons pas de mentions d’éventuels liens d’intérêts de leurs auteurs. Ce mémoire aurait très bien pu être financé directement ou indirectement par des fabricants de parabènes [2].
Ce mémoire passe en revue les différents éléments scientifiques disponibles, et ses conclusions sont mesurées.
Les allergies cutanées sont très rares. J’ajoute que ces risques d’allergie sont observés avec la majorités des constituants appliqués sur la peau, et très inférieurs à ceux liés à la lanoline ou aux substances balsamiques.
Les allergies par ingestion sont trop rares pour être mises en évidence. Leur fréquence mise en rapport avec l’utilisation massive des parabènes est infime. Elles sont infiniment plus rares que les allergies à des aliments comme le poisson ou les fruits. Il faut d’ailleurs signaler que les fruits contiennent des parabènes (en infime quantité), qui sont donc des produits "naturels".
L’effet perturbateur endocrinien (hormonal) reste à prouver, du fait d’études contradictoires. L’effet estrogénique intrinsèque des parabènes est infime et il faudrait donc imaginer une accumulation massive du produit pour avoir un effet. Cette accumulation n’est possible que par application cutanée, car après ingestion, le produit est détruit.
L’effet cancérigène reste également à prouver, pour les mêmes raisons.
Voilà qui paraît rassurant. Mais ce n’est pas si simple. La majorité des études citées concernent des expositions brèves et à un type de parabène. Dans la vraie vie, nous sommes exposés pendants des dizaines d’années à des produits multiples.
La réponse, décevante, est que pour les parabènes comme pour les autres risques faibles, nous ne pourrons jamais faire la preuve que le risque n’existe pas, et nous n’avons pas actuellement la preuve que ce risque est réel. Nous sommes face à un risque potentiel
Un risque potentiel est un risque pour la santé qui, s’il existe, est trop rare ou trop faible pour pouvoir être mis en évidence avec nos outils actuels.
À titre de comparaison, un verre de vin n’est pas un risque potentiel : l’alcool est un cancérigène avéré à des doses à peine plus importantes. De même, la consommation de viande rouge augmente de façon très probable le risque de cancer du côlon. Enfin, le soleil est un agent cancérigène prouvé, même pour des expositions prudentes et modérées.
Les parabènes exposent donc peut-être à des risques, et nous n’aurons sans doute jamais de réponse certaine sur la réalité de ces risques.
Se pose alors la question de la réponse que doivent donner les autorités sanitaires face à ce risque potentiel, et c’est là que les problèmes commencent
Nous avons en France une tradition jacobine qui nous conduit à persister dans deux attitudes qui ne sont plus acceptables au XXIe siècle :
Ne pas diffuser l’information disponible.
Décider à la place du public de ce qui est bon pour lui ou non.
Autant l’interdiction de commercialisation de produit dangereux de façon certaine est licite (mais le tabac et l’alcool sont en vente libre) autant l’interdiction de commercialisation pour les risques potentiels n’a aucun sens.
Ce qui a du sens, c’est que chacun dispose d’une information adéquate et d’une possibilité de choix.
Le public veut pouvoir accéder à l’information brute, pour deux raisons :
afin que ses propres experts, ses médecins ou ses apomédiaires [3], puissent l’éclairer dans ses choix
parce qu’il sait que trop souvent, les synthèses fournies par l’autorité sont surtout destinés à étayer des stratégies boiteuses décidées en haut lieu [4].
Encore récemment,un médicament antidiabétique cancérigène et sans intérêt clair a été maintenu sur le marché, parce que la décision d’interdiction paraissait excessive aux experts de l’agence du médicament. Pour autant, les patients qui prennent ce médicament ne sont pas informé de ce risque. Une décision simple si l’on voulait différer le retrait aurait été d’imposer la mention sur la boîte ou sur l’ordonnance de la mention : "Médicament augmentant le risque de cancer de la vessie à n’utiliser que si aucune alternative n’est possible, en attendant les résultats d’une étude scientifique en cours".
Dans le cas des parabènes, il existe un problème car leur remplacement par d’autres conservateurs n’est pas simple. Il faudrait au moins que ces produits soient moins suspects de toxicité que les parabènes. Ces conservateurs idéaux n’existent pas actuellement. L’usage de méthodes physiques (chauffage, UV, irradiation) n’est pas toujours possible.
Il existe une attitude simple, honnête, évidente : créer l’obligation de mentionner clairement sur les conditionnements ou les notices la présence de parabènes, avec leur dosage [5].
Dans le même temps, les autorités sanitaires pourraient mettre à disposition sur leurs sites internet
l’ensemble des travaux scientifiques disponibles
diverses synthèses émanant d’experts, en précisant pour chaque document les liens d’intérêts de ces experts.
Bref, considérer les citoyens comme des êtes doués d’intelligence et respecter leur liberté de choix. Dans notre organisation sociale pyramidale, la tête sous-estime toujours la capacité de réflexion de la base, notamment de sa réflexion collective dans les nouveaux espaces sociaux.
Chacun serait libre de suivre les avis de son choix, et pourrait vérifier sur chaque produit la présence ou non de parabènes. De même que chacun peut choisir de boire de l’alcool, manger de la viande, s’exposer au soleil, chacun serait libre de choisir des produits avec ou sans parabènes.
Nul doute que cette mention stigmatisante donnerait un coup de fouet à la recherche de nouveaux conservateurs... On n’a encore rien trouvé de mieux que l’économie de marché pour stimuler le progrès technique.
Je suis personnellement partisan d’un monde idéal sans conservateurs, mais je ne suis pas certain que nous y soyons prêts culturellement. En attendant, il est tout de même facile à défaut d’être économique de limiter les boissons industrielles, de privilégier les produits frais, et de mettre un minimum de cosmétiques sur la peau. À ce sujet, la peau a surtout besoin de ne pas être dégraissée par un lavage intempestif au savon, et il existe des cosmétiques bon marché sans parabènes pour les peaux sèches. Pour ce qui est des médicaments de la liste du Monde, il est probable qu’il n’y a pas de danger immédiat à continuer à les utiliser, et l’industrie du médicament, fortement "stimulée" par cette médiatisation, va certainement trouver rapidement des alternatives aux parabènes, quitte à raccourcir la durée de conservation de ses produits.
L’auteur n’a aucun lien d’intérêts avec l’industrie des conservateurs, agroalimentaire, ou pharmaceutique. Voir ici.
Remerciements aux confrères qui m’ont aidé dans ma réflexion pour rédiger cet article : Bernard Becel, Pierre Rosset-Cailler, Michel Aujoulat, Christian Lehmann, Jean Lamarche, Catherine Dormard, Philippe Brissaud, Yves Jeanmaire, Jean-Claude Grange, René Magniez, et une mention particulière pour Louis-Adrien Delarue.
[1] Le lendemain même du jour où je publiais ce billet, l’Organisation Mondiale de la Santé décidait de classer le téléphone portable et les ondes électro-magnétiques qu’il émet dans la catégorie des cancérigènes "possibles" avec le café, la laine de verre et le nickel. J’espère que le public saisira la nuance entre "cancérigène" et "cancérigène possible".
[2] L’origine universitaire d’un travail scientifique ne présume malheureusement en rien de son indépendance. Les partenariats industrie-université sont légion.
[3] Les apomédiaires sont des intermédiaires dans l’information, à qui nous accordons notre confiance dans certains domaines. Nous ne les connaissons pas forcément, mais nous apprécions leur expertise sur certains sujet. Par exemple, Maître Eolas, bien qu’anonyme, est un apomédiaire juridique pour de nombreux internautes. Voir Eysenbach.
[4] Tout le monde se souvient de la campagne de vaccination contre la grippe A/H1N1 et de la communication ministérielle sur la maladie. Cette communication avait pour seul but de valider la campagne de vaccination, au lieu d’informer le public. Plus récemment, le Formindep a obtenu l’annulation de plusieurs recommandations sanitaires de la Haute Autorité de Santé, grevées de nombreux conflits d’intérêts.
[5] Les parabènes sont présent naturellement à très faible dose dans certains fruits, et la quantité joue un rôle dans la probabilité du risque.
Messages
16 novembre 2016, 03:37, par BEOTIEN
Suis preneur de plus d’informations sur les phtalates car me souvenant de l’air emmerdé de certains interviewés de Marie-Monique Robin (un patron de l’OMS notamment si mes souvenirs sont bons) l’effet cocktail doit être autre chose qu’une légende.