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Euthanasie : l’affaire Chantal Chanel et Laurence Tramois pourrait créer une jurisprudence

Première publication : jeudi 8 mars 2007,
par Dominique Dupagne - Visites : 25443

Une infirmière et un médecin de l’hôpital de Saint-Astier sont jugés devant une cour d’assises pour empoisonnement et complicité d’empoisonnement, à la suite du décès d’une patiente atteinte d’un cancer généralisé qu’elles avait activement aidée à mourir.

L’infirmière Chantal Chanel et le docteur Laurence Tramois ont été mises en examen pour "assassinat" et "complicité d’assassinat" après avoir, pour la première, pratiqué et, pour la seconde, ordonné, une injection mortelle de chlorure de potassium le 25 août 2003 sur Mme Druais âgée de 65 ans et en phase terminale d’un cancer du pancréas. L ’assassinat a été requalifié en "empoisonnement".


Pourtant, dans cette affaire qui suit celle de l’euthanasie de Vincent Humbert tout est exemplaire :
- La famille soutient les soignants,
- Des témoignages concordants indiquent que la malade avait exprimé le désir de voir abréger ses souffrances,
- La maladie était au stade terminal et avait provoqué une occlusion intestinale signant un décès à très court terme.

Dans ces conditions, où est le problème, s’interroge tout un chacun ? Pourquoi traîner devant les tribunaux des soignants qui n’ont fait finalement que leur devoir et que l’on souhaiterait avoir à ses côtés lors de l’échéance finale ?

Dura Lex

Le problème est dans la loi française. La loi qui n’accorde que très peu de dérogations à l’interdiction de tuer. S’il en est une bien connue qui est la légitime défense, ou en général la défense d’un autre intérêt vital (soldat en temps de guerre, protection d’un tiers menacé), la souffrance associée à l’agonie des malades n’en fait toujours pas partie.
En pratique, l’euthanasie active, c’est à dire le décès délibérément provoqué du malade, est en 2007 toujours interdite par la loi française. En revanche, l’euthanasie passive, consistant à accélerer la mort par l’arrêt de soins devenus inutiles ou superfétatoires est autorisée légalement depuis l’affaire Humbert.

Le débat est purement juridique : tout le monde ou presque s’accorde sur le fait qu’il faut agir, mais les deux grandes options divisent les experts :
- Légaliser l’euthanasie, c’est à dire l’encadrer juridiquement comme dans certains pays, au risque de dérapages et d’assassinat déguisé ?
- La dépénaliser, c’est à dire mettre en place une demi-mesure permettant au juge de tenir compte des situations difficiles.
En pratique, l’euthanasie active ou semi-active est pratiquée tous les jours par les médecins confrontés à la souffrance terminale ; semi-active car la morphine utilisée pour supprimer la douleur finit par endormir le malade pour toujours, sans que l’on puisse déterminer avec certitude si l’on a soulagé la souffrance ou abrégé la vie. C’est en tout cas comme cela que je procède dans l’immense majorité des cas. Il m’est néanmoins arrivé par le passé comme dans cette affaire d’utiliser le chlorure de potassium, dont l’effet est extrêmement brutal puisque le patient décède en quelques secondes par arrêt cardiaque en cas d’injection intraveineuse et que la volonté de mettre fin à la vie est alors évidente.

Cet article n’a pas pour but de lancer ce débat difficile et souvent animé. Le lecteur intéressé pourra par exemple prendre connaissance de cette revue de presse ou consulter le site de l’ADMD. Je souhaite parler ici de l’argumentation de l’avocat de Chantal Chanel, Pierre-Olivier SUR, qui développe le concept "d’état de nécessité".

L’état de nécessité


Son argumentation sur l’état de nécessité peut se résumer en une phrase "Dans des circonstances extrèmes, le champ de la loi ne s’applique plus car l’acte illégal a été commis face à une nécessité équivalente ou supérieure à celle que contient l’esprit de la loi.

Il s’appuie pour cela sur l’article 122-7 du Code Pénal

« N’est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace ».


Ainsi, Maître Pierre-Oliver SUR rappelle une jurisprudence qui a conduit à l’acquittement d’un médecin qui fournissait du cannabis à un de ses patient que seul ce produit soulageait :


      « Les souffrances constantes supportées par le prévenu constituaient pour lui un danger actuel qui le menaçait ;

      L’usage de tisane à base de cannabis réalisait l’acte de sauvegarde nécessité par ce danger ;

Il n’y avait pas disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace ».
(Arrêt de la Cour d’appel de Papeete - 27 juin 2002).



Plus largement encore, l’état de nécessité est envisagé comme comprenant la protection de certains intérêts moraux supérieurs, telle que la dignité de la personne humaine, ou même la qualité de son alimentation, dans l’affaire dite des « OGM » :

 

      (jugement du Tribunal Correctionnel d’Orléans - 9 décembre 2005, confirmé par la Cour).« ... l’état de nécessité autorisait justement une action préventive permettant de sauvegarder les valeurs sociales prééminentes en sacrifiant les moindres valeurs représentées par les enseignements pouvant être tirés de ces essais... qu’ainsi, la commission d’une infraction pénale pour remédier à la situation de danger... était en l’espèce fondée au regard des enjeux en cause, sans qu’il puisse être exigé des prévenus d’attendre la réalisation des risques nés du danger... que s’agissant de la proportion entre les moyens employés et la gravité de la menace, il sera relevé que les prévenus ont revendiqué au plan politique et philosophique, d’inscrire leur action dans un mouvement collectif de désobéissance civile non violent... qu’ils ont adopté un comportement responsable au regard de l’infraction commise et de ses conséquences, sans chercher à se soustraire à l’action publique... qu’ainsi une stricte proportionnalité a été observée entre les moyens mis en œuvre et la gravité de la menace en cause... que la présente décision autorise simplement le constat que les poursuites justement engagées en l’espèce, en considération de la commission effective d’infractions pénales, sont cependant paralysées, au regard de la responsabilité pénale, par la justification d’un danger actuel ou imminent » 


Ainsi, la proportionnalité entre les moyens employés et la gravité de la menace, c’est-à-dire la notion même de « nécessité », résulte d’un bilan coûts / avantages dans le caractère exceptionnel de l’acte analysé.


Et, l’affaire dite du « sang contaminé », a donné lieu à une motivation de principe très extraordinaire : 

      « L’utilisation de fractions coagulantes contaminées pourrait, à titre exceptionnel, être justifiée, par l’état de nécessité, à défaut de toute autre solution en cas de péril grave et imminent ». (Arrêt de la Cour d’appel de Paris - 13 juillet 1993).


Au total pour Maître P.O. SUR, dès lors que la souffrance est aujourd’hui reconnue par la jurisprudence comme ayant valeur de « danger actuel ou imminent menaçant la personne », l’acte commis par Madame Chantal Chanel, sur ordre écrit du médecin traitant, dont les relations de famille avec Madame Druais, supposait l’accord de ladite famille, était le seul possible pour sauvegarder Madame Druais dans sa dignité, qui était d’ores et déjà particulièrement atteinte (occlusion, vomissements verdâtres pré-fécaloïdes...), alors qu’aucun traitement ne pouvait plus apaiser sa souffrance (coma réactif à la douleur provoquée).


La contrainte


L’autre élément que Maître P.O. SUR développe dans son mémoire est la contrainte :
l’article 122-2 du Code Pénal définit la contrainte comme suit :

« N’est pas pénalement responsable la personne qui a agi sous l’empire d’une force ou d’une contrainte à laquelle elle n’a pu résister ».


Pour lui, l’affaire dite « Vincent Humbert » devra être examinée par la Cour et il convient de se rapporter à cette jurisprudence. 

L’ordonnance de non-lieu rendue par le Juge d’Instruction du Tribunal de Grande Instance de Boulogne sur Mer, le 27 février 2006, est ainsi motivée : 

      « Au regard des recommandations et de l’article 38 du Code de Déontologie Médicale, le médecin, qui n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort en injectant au mourant des produits à visée létale doit l’accompagner jusqu’à ses derniers moments en préservant sa dignité... 

      Dès lors, le débat se porte sur l’intention réelle du Docteur Chaussoy. Etait-ce celle d’un simple thérapeute qui de fait a pratiqué un acte d’euthanasie active et donc pénalement punissable, mais moralement compréhensible ? Etait-ce celle du même praticien, porté et soutenu par son équipe, mais également contraint d’agir contre ce qui est sa pratique habituelle, contrainte résultant de la pression médiatique, de la pression des professionnels ou anti-euthanasie qui ont voulu en faire une figure emblématique ? 

      En réalité, s’il est indubitable que le Docteur Chaussoy était parfaitement conscient de l’acte et de ses conséquences, il n’en demeure pas moins au vu de toutes ces circonstances qu’il ne peut être relevé à son encontre une intention dolosive. D’autant qu’il existait un vide législatif. En effet, jusqu’à la loi du 22 avril 2005, ce domaine a été celui du non-dit et par conséquent, de la prise de risque, par des médecins isolés et susceptibles d’être poursuivis.


Ainsi, en l’espèce, il convient de dire que lors de l’administration du chlorure de potassium à Vincent Humbert, le Docteur Chaussoy n’avait pas l’intention de lui donner la mort au sens pénal du terme, mais de préserver sa dignité et celle de sa famille... ». (Pièce n° 1 : Ordonnance de non-lieu dans l’affaire Humbert).


Pour ce qui concerne le Dr Laurence Tramois, entendue à l’instruction, le médecin a confirmé avoir fait "une prescription illégale", "sous le coup d’une pression psychologique, familiale et sentimentale très importante" du fait de lien familiaux indirects avec la malade.


Nécessité et contrainte ne font pas loi

J’espère à titre personnel que cette solide argumentation convaincra les juges et les jurés. Il serait dramatique que Laurence Tramois et Chantal Chanel soit condamnées pour avoir simplement aidé autrui.

Est-ce nuire à quelqu’un que d’aider, à sa demande, à abréger d’intolérables souffrances ? La justice devra se pencher un jour sur ce problème d’un façon ou d’une autre.

En attendant, des affaires identiques seront probablement encore jugées. On ne peut que recommander aux médecins et aux soignants en général d’être très prudents dans leurs actes. Je pense que l’usage du chlorure de potassium doit être proscrit, tant son injection, qui est un empoisonnement à l’exclusion de toute autre fonction, peut mettre le soignant en difficulté devant les juges.

Nous disposons actuellement d’antalgiques efficaces, qui peuvent être couplés dans une perfusion avec des calmants puissants, dont l’association aboutit si nécessaire à un décès rapide et sans souffrance par arrêt respiratoire. La nature de ces coktails, associants sédatifs et antalgiques, ne peut être contrairement au chlorure de potassium, assimilée à un poison, et le contexte dans lequel ils sont utilisés permet au médecin qui les prescrit et au soignant qui les administre de justifier leur attitude sans craindre la justice.
Il faut enfin rassurer le public : cette forme d’euthanasie semi-active se pratique tous les jours, partout, et permet aux malades en fin de vie de quitter ce monde sans souffrance. L’affaire Tramois Chanel-Druais, comme l’affaire Chaussoy-Humbert sont les pointes émergées de iceberg qui assure la sérénité à des milliers d’agonisants tous les ans et nous permet notamment d’accomplir jusqu’au bout notre devoir d’assistance aux hommes et aux femmes qui nous ont fait confiance.

Vous pouvez réagir dans les discussions du forum qui ont abordé ce sujet :
- Euthanasie et accompagnement des mourants
- Une loi pour l’euthanasie ?
- Prise en charge d’une personne en fin de vie
- Avez-vous peur de la mort ?
- Euthanasie pour troubles psychiques

Enfin, vous pouvez lire l’article de Wikipédia sur le sujet.

Ajout du 5/7/2007 : Une affaire similaire semble sur le point d’être instruite à Besançon :

Une information judiciaire a été ouverte, lundi 2 juillet, par le procureur de Besançon, Jean-Yves Coquillat, pour "empoisonnement de patients en fin de vie". Cette décision, qui concerne le service de réanimation du centre hospitalier universitaire de Besançon, clôt une enquête préliminaire de cinq ans.

Au printemps 2002, plusieurs infirmiers et aide-soignants du service avaient accusé certains médecins de pratiquer des euthanasies. Selon une expertise médicale menée en 2004, sur dix-huit cas de patients décédés au service de réanimation chirurgicale du centre de 1998 à 2001, quatorze ont fait l’objet d’euthanasie. Sur ces quatorze patients dont l’état se situait "au-delà de toute ressource thérapeutique", quatre ont subi une euthanasie "directe" par injection de produits ayant pour objet d’entraîner la mort. Les dix autres ont subi une euthanasie "indirecte", résultant de l’administration de substances antalgiques, pouvant soit avoir un simple effet calmant, soit provoquer une dépression respiratoire aboutissant à la mort.

En mai 2002, un premier rapport administratif rédigé par trois médecins-inspecteurs de santé publique de la direction régionale de l’action sanitaire et sociale de Franche-Comté avait conclu à l’existence de pratiques "visant à accélérer le processus de fin de vie". Quatre mois plus tard, un rapport de l’inspection générale des affaires sociales estimait que cette affaire résultait "des carences dans le management du service, dont bon nombre relèvent d’une responsabilité partagée entre la chef de service et les instances dirigeantes du CHU".
Source AFP

On notera que ces affaires font suite à des plaintes, très rares, et qu’elles constituent donc la partie émergée de l’iceberg. Dans l’affaire bisontine, c’est encore l’attitude des soignants qui est contestée par leurs propres équipes.

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