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Simone Veil, le VIDAL et l’industrie pharmaceutique
Première publication : mercredi 5 juillet 2017,
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Simone Veil a joué un rôle majeur et peu connu en matière d’information sur le médicament. Elle a notamment soutenu sans faiblir un de ses conseillers qui a repris en main l’information pharmacologique destinée aux professionnels de santé.
L’histoire que je vais vous raconter n’est pas publique, je la tiens de la bouche d’un ancien conseiller de Simone Veil, qui me l’a racontée il y a une dizaine d’années. Je m’étais promis de la publier un jour et le décès de Simone Veil m’en donne l’occasion.
Tout le monde ou presque connaît le dictionnaire VIDAL, ce gros livre rouge qui trône sur le bureau de tous les médecins. Il regroupe des notices d’information professionnelles sur les médicaments. Ces notices (appelées monographies) sont strictement conformes aux documents officiels de référence élaborés par les agences du médicament française et européenne et ne comportent donc aucun contenu publicitaire.
Il n’en a pas toujours été ainsi. Depuis la naissance du VIDAL en 1914 jusqu’à la fin des années 70, ces monographies étaient élaborées en toute liberté par les laboratoires, qui pouvaient y vanter leurs produits sans aucune retenue. Voici par exemple que que l’on pouvait lire dans l’édition 1973 :
En 1976, Simone Veil est Ministre de Santé depuis 2 ans, le tumulte autour de sa loi sur l’avortement est à peine retombé. Un de ses conseillers, Jean-Pierre Bader, est professeur de gastro-entérologie et pharmacologue. Il participe à des commissions internationales sur le médicament. C’est lui qui va être à l’origine de la naissance du "nouveau VIDAL". Je retranscris ci-dessous l’histoire telle qu’il me l’a racontée :
Alors que je participe à un dîner regroupant des pharmacologues, je suis assis à côté d’un collègue américain qui représente la Food and Drug Administration (FDA) et qui parle français. Quand il apprend que je représente la France, il s’exclame :
"Waouh, vous, les français, vous avez un truc extraordinaire ! c’est le dictionnaire VIDAL ! À la FDA, quand une réunion se prolonge et que nous sommes tous un peu fatigués, je sors un VIDAL et je traduis une page ou deux à mes collaborateurs. On rigole un bon coup, ça nous détend, et on peut recommencer le travail. Vraiment, merci, votre dictionnaire des médicaments est trop marrant !"
Je ris jaune. Dès le lendemain, je parcours la dernière édition du VIDAL (1976). Il avait malheureusement raison : le contenu du dictionnaire des médicaments utilisé par tous les médecins et pharmaciens français était absolument pathétique.
Je m’en ouvre à Simone Veil et lui propose de monter une commission pour contrôler et réécrire l’information contenue dans le dictionnaire VIDAL. Elle me donne carte blanche.
Je recrute un jeune pharmacologue, Jean-Michel Alexandre, qui crée avec quelques collègues une commission chargée de reprendre une à une toutes les monographies des médicaments, et d’imposer à l’industriel et à l’éditeur du VIDAL un texte enfin conforme aux données de la science [1] et purgé de ses allégations publicitaires.
C’est un casus belli pour l’industrie pharmaceutique qui tente à plusieurs reprises de nous faire renoncer à notre projet, mais nous résistons et la Commission Alexandre avance à grands pas. Jacques Servier se déplace en personne au Ministère avec sa garde rapprochée pour m’expliquer que je signe la mort de l’industrie pharmaceutique française ! Me sentant soutenu par la Ministre, je tiens bon. C’est alors que son chef de cabinet me convoque et me tient ce discours :
“Monsieur Bader, une des missions fondamentales d’un chef de cabinet est de protéger sa Ministre. Il se trouve que votre histoire avec le VIDAL provoque des remous dans les plus hautes sphères de l’État. Vous êtes en train de mettre en danger Mme Veil, et je ne peux pas l’accepter. Il faut que vous arrêtiez.”
Je lui réponds que je comprends très bien la situation, au vu des pressions que j’avais moi-même subies, mais que je n’arrêterais que si Mme Veil me le demande elle-même.
Une réunion est organisée au Ministère. Nous sommes quatre : Simone Veil, son chef de cabinet, Jean-Michel Alexandre, et moi-même.
Le chef de cabinet explique à la Ministre à quel point la situation est tendue, du fait des pressions de l’industrie du médicament sur l’appareil politique. Je prends ensuite la parole pour lui expliquer l’importance de notre rénovation du VIDAL pour la santé publique française. Je termine en déclarant que je me conformerai à ses directives.
Suivent quelques secondes de silence qui me paraissent interminables. Elle lève les yeux pour réfléchir, puis me fixe du regard, et me dit d’une voix ferme "Monsieur Bader, vous continuez". Fin de la réunion !
J’adore cette histoire, qui honore la mémoire de Simone Veil. Elle illustre une capacité peu répandue chez les hommes (ou femmes) politiques : celle de se mettre en difficulté pour faire avancer une cause juste. L’oeuvre de Simone Veil dépasse largement celle de la dépénalisation de l’IVG et touche parfois des domaines peu connus.
Quelques années plus tard, Jean-Pierre Bader soutiendra le financement d’un projet de revue pharmacologique indépendante : c’est grâce à une subvention ministérielle que la Revue Prescrire pourra se lancer à la même époque, avant de devenir autonome financièrement une dizaine d’années plus tard.
Jean-Michel Alexandre sera président de la commission d’AMM, avant de devenir consultant pour l’industrie et d’être mis en examen dans l’affaire du médicament MEDIATOR pour ses liens financiers étroits avec les Laboratoires SERVIER.
Les propriétaires du VIDAL, persuadé que cette "rénovation" ferait fuir les industriels (qui contribuent à la diffusion gratuite du VIDAL auprès des prescripteurs), le vendront à un entrepreneur visionnaire (Vincent Hollard) qui avait compris que bien au contraire, cette nouvelle crédibilité assurerait l’avenir de cette référence pharmaceutique. La société VIDAL appartient actuellement à la société japonaise M3.
Liens d’intérêt
Je suis consultant pour les éditions du VIDAL depuis 1992, date à laquelle j’ai été embauché pour rédiger la version grand public du dictionnaire des médicaments, avant d’évoluer vers un rôle d’expert web. Je n’ai pas soumis ce texte à la société VIDAL et j’en assume donc seul l’entière responsabilité.
[1] Ces monographies révisées se distingueront pendant une dizaine d’années par la présence d’une étoile à côté du titre
Messages
5 juillet 2017, 09:12, par Jeanne
Merci pour cette belle histoire, quelle grande dame !
5 juillet 2017, 10:54, par Annick Opinel
Merci pour cette précision historique.
6 juillet 2017, 08:00, par Dr Dominique Dupagne
Un autre témoignage extraordinaire sur cette femme extraordinaire http://www.liberation.fr/debats/2017/07/04/simone-veil-ministre-de-la-sante-pas-que-devant-les-cameras_1581535 J’ai eu les larmes aux yeux en le lisant.
6 juillet 2017, 15:52, par Michel Gerson
Belle histoire, merci Dominique.
11 juillet 2017, 17:58
Monsieur Alexandre, cité dans l’extrait, est-il le même que celui-ci ?
http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20111220.OBS7200/mediator-cet-etrange-m-alexandre.html
13 juillet 2017, 06:59, par Dr Dominique Dupagne
Oui, il a fini par tomber du côté obscur de la Force... Il faut dire que l’Empereur était particulièrement habile pour attirer les "hauts potentiels" (ce qui n’est pas une excuse).
24 juillet 2017, 23:20, par Tranquiloman
"...“Monsieur Bader, une des missions fondamentales d’un chef de cabinet est de protéger sa Ministre. Il se trouve que votre histoire avec le VIDAL provoque des remous dans les plus hautes sphères de l’État. Vous êtes en train de mettre en danger Mme Veil, et je ne peux pas l’accepter. Il faut que vous arrêtiez.”..."
"14 Menace de façon déguisée, ou pratique un chantage ouvert"
http://pervers-narcissiques.fr/les-30-criteres-du-manipulateur/
9 octobre 2017, 18:57, par Isabelle
Bonsoir,
Je n’ai pas compris cette femme, d’un côté il est sauvé des vies, et d’un autre, elles sont enlevées.
http://www.israelvalley.com/2017/06/30/disparition-de-simone-weil-beaucoup-disraeliens-lui-doivent-vie/
Le combat de Simone Veil pour l’avortement : « Je n’avais pas d’état d’âme. Je savais où j’allais »
http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2015/07/15/01016-20150715ARTFIG00233-vente-d-organes-de-foetus-la-video-qui-embarrasse-le-planning-familial-americain.php
Varivax Vaccin de la varicelle Merck & Co., Inc. 1_800_672_6372 produit en utilisant le saccharose, phosphate, glutamate monosodique, gélatine : cellules diploïdes humaines (provenant du tissu foetal humain d’avortements)
http://www.altermonde-sans-frontiere.com/spip.php?article6132
Science sans conscience ....
10 octobre 2017, 15:27, par Dr Dominique Dupagne
Même contre les mortes, il reste des chiennes de garde qui viennent mordre son cercueil. Laisser entendre que Simone Veil n’a pas eu d’états d’âme face à l’IVG et faux et odieux.
10 octobre 2017, 21:02, par Isabelle
Le combat de Simone Veil pour l’avortement : « Je n’avais pas d’état d’âme. Je savais où j’allais »
Le 26 novembre 1974, la ministre de la santé défend, face à l’Assemblée nationale, la loi autorisant l’interruption volontaire de grossesse. Extrait de son autobiographie « Une vie » (Stock, 2007).
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/mort-de-simone-veil/article/2017/06/30/le-combat-de-simone-veil-pour-l-avortement-je-n-avais-pas-d-etat-d-ame-je-savais-ou-j-allais_5153720_5153643.html#x3tC1TQBOWxQIBPK.99
11 octobre 2017, 09:08, par Dr Dominique Dupagne
Simone Veil parle de ses états d’âme face aux attaques dont elle a été victimes. Elle n’avait pas d’états d’âme dans le sens ou elle savait qu’elle entrait dans la fosse aux lions et qu’elle était déterminée.
En revanche, tout au long des débats, elle a affirmé qu’elle considérait l’avortement comme un choix terrible, mais que son combat était uniquement d’éviter que des centaines de femmes meurent tous les ans. Elle n’était pas "pour l’avortement", mais contre sa pratique clandestine et dangereuse.
10 octobre 2017, 21:14, par Isabelle
M Dupagne,
Je ne permettrais jamais de juger qui que cela soit.
Ce que je tentais de faire comprendre,
Comment se fait il, qu’avec tout les moyens disponibles, depuis longtemps, des femmes doivent passer par une si douloureuse épreuve ?
Rien ne sert de s’attaquer aux effets, alors que les causes profondes sont niées.
Bien à vous,
19 décembre 2017, 16:01, par Neptune
Bonjour Mr Dupagne
Je cherche désespérément à savoir ce que recouvre le terme de "fréquence" pour des effets secondaires dans les notices obligatoires des médicaments, ainsi que sur les sites officiels (ANSM etc)
Car il existe 2 termes précis : "incidence" = % de nouveaux cas par unité de temps (en général incidence annuelle) ou "prévalence" = % de personnes avec l’effet sans tenir compte de la date de survenue.
Par exemple si mon antipsychotique a une incidence de 1 % par an de tel effet secondaire (par exemple diabète), alors les personnes qui en prennent depuis 10 ans ont en général une prévalence de 10 %.
Or les notices sont vagues et parlent de "fréquence". Y a t il une norme obligatoire ou pas ? Si non, peut-on en déduire que les notices donnent des incidences à court terme (1 mois...) pour minimiser les effets indésirables ?
Merci de vos lumières.
20 décembre 2017, 09:46, par Dr Dominique Dupagne
Bonjour,
La fréquence est le pourcentage de sujets ayant décrit l’effet indésirable dans les essais cliniques (dont la durée est variable). C’est en effet assez flou (on ne sait pas si le problème est survenu au début ou pendant le traitement, ni combien de temps il a duré si le médicament a été poursuivi, ni au bout de combien de temps il a disparu à son arrêt.
22 décembre 2017, 17:04, par Neptune
Merci.
Exiger que les notices soient plus précises pour apprécier un risque à long terme notamment pour les prises chroniques, ferait peut-être que plus personne ne prendrait d’antipsychotiques.
Manifestement les notices sont fausses. Prenons l’exemple de la clozapine et du diabète type II.
Définition consensuelle du diabète type II : glycémie à jeun supérieure à 1,26 g/l (American Diabetes Association 1996, ANAES France, 1999)
La notice et l’ANSM disent "rare" = 0,1 % à 1 %. Et donc les preneurs ou prescripteurs ne s’inquiètent pas trop d’autant qu’ils pensent ne pas avoir le choix vu la littérature.
Or si l’on creuse les ouvrages spécifiques , le chiffre de prévalence est de 37% ( Source : N.Franck, F. Fromager, F. Thibaut, "Prescrire les antipsychotiques", 2015, citant Nasrallah, 2003 ; Henderson et al, 2000) chez des auteurs plutôt pro-neuroleptiques et pontes du sujet en France, or ils prennent comme seuil 1,40 g/l. Mais même là ça n’a plus rien à voir. Si on se fie à drugs.com (USA), c’est 60 %. (1)
Comme disait un psychiatre Suisse à propos de l’information aux patients "Informer « vraiment » sans affoler est en réalité tout simplement impossible au vu de la lourdeur et du danger potentiel, même si très rare, de quasiment toutes les démarches médicales." (2)
Pourtant selon une enquête, 99% des "patients" exigent de tout savoir (3)
Qu’en pensez vous vous même et que pensez vous du "devoir de ne pas inquiéter" évoqué par ce psy ? (je crois deviner votre réponse)
(1) http://www.forumpsy.net/t1068-clozapine-leponex-effets-secondaires#metabolique
(2) http://www.forumpsy.net/t1027-information-des-personnes-la-france-tres-en-retard-sur-les-usa
(3) http://www.forumpsy.net/t664-sondage-ai-je-envie-de-tout-savoir-sur-les-effets-secondaires-de-mes-medicaments
Amicalement,
PS : ça serait bien que votre site notifie par mail en cas de réponse